Les essais de Luc Ferry : Ferrari BB512

La BB512 fut une pionnière chez Ferrari, premier modèle de la marque à moteur douze-cylindres installé à l’arrière. Elle pouvait se définir ainsi comme une Formule 1 de la route. La monoplace de Lauda n’était-elle pas structurée de la même façon, avec son flat-12 hurlant juste derrière le pilote ?

L’habitude de nos voitures modernes rend toujours un peu décevant les premiers tours de roues au volant des grosses GT de cette époque. Direction lourde et comportement un peu pataud pour la BB, mais sur une autoroute sèche, ce serait autre chose.

Quand j’ouvre l’œil, ce dimanche matin de mars, je me précipite à la fenêtre : caramba, il pleut des hallebardes ! Pas de chance, vraiment : c’est justement le jour où mon camarade Thierry Soave doit passer me chercher pour m’emmener à Ollainville, dans le 91, pour essayer une des Ferrari les plus mythiques qui soit : la fameuse BB 512 à injection. Traduisons toute de suite : « BB » pour « Berlinetta Boxer », « 5 » pour 5 litres de cylindrée (en réalité 4 943, mais on ne va pas chipoter) et « 12 »  pour le nombre de cylindres – à plat, comme il se doit sur un moteur « boxer » (encore que les spécialistes en discutent, certains prétendant qu’il ne s’agit pas d’un authentique boxer, mais d’un V12 à l’angle tellement ouvert qu’il est quasiment à plat – mais là aussi, on ne va pas en faire une histoire). Et tant qu’on y est, débarrassons-nous des chiffres en nous en tenant à l’essentiel : la BB 512 voit le jour, dans sa première version à carburateurs, en l976 pour concurrencer la Miura de Lamborghini. Elle succède à une Ferrari tout aussi mythique, la Daytona, et précède la non moins fameuse Testarossa. 923 exemplaires seront produits avant que l’on passe à la deuxième version, celle à injection que je dois justement essayer aujourd’hui et qui, elle, sera produite à 1 007 exemplaires entre l981 et l984.

Sur le mouillé, gare à la puissance ! Ici, pas d’ESP ou d’antipatinage, seul le pilote commande.

Les performances ? Elles sont excellentes pour  une voiture de route de l’époque (il faut dire que le moteur est une version dérivée de celui qui équipe la F1 de Niki Lauda). Avec  les 340 ch de la version « i » (360 sur la 512 à carbu, abandonnée parce que jugée trop polluante au regard des normes américaines), on atteint aisément les 280 km/h et les accélérations ne sont pas en reste : à peine plus de 14 secondes au 400 m, 25 s au 1 000m, et 6,5 secondes pour passer de 0 à 100 km/h. 

            Donc, il pleut,  et je me dis qu’il va falloir être raisonnable. Nous arrivons à Ollainville et c’est Charles Collin, le fils de Pierre Collin, le fondateur de Cecil Cars, qui nous accueille. Quand il ouvre la  grande porte du garage, les bras, comme on dit, m’en tombent des mains. C’est la caverne d’Ali Baba. J’aperçois aussitôt une sublime Aston DB4, rutilante, comme neuve, devant une pléiade de Ferrari, dont une superbe Dino rouge, comme celle de Tony Curtis dans « Amicalement vôtre ». Plus loin, une magnifique Jaguar XK120 cabriolet, une XK 150 entièrement refaite à neuf, une vieille Riley des années trente, sur le côté, dans un autre espace, une Jaguar Mark V des années 40, une antique Daimler en restauration, et une quantité de Type E et autres merveilleuses machines roulantes.

Jusque dans les années 80, les phares des sportives restaient le plus souvent invisibles, ne se dévoilant que la nuit venue.

Je suis scotché, d’autant que Charles, aussi sympathique que compétent, n’est pas avare de son temps, ni de ses  commentaires, toujours intéressants, sur ces voitures qu’il connaît par cœur. L’ami Cyril, notre photographe, prend ses clichés et, assez trainé, il est temps d’aller voir ce que la BB a dans le ventre.

Petit coup de démarreur et aussitôt le moteur ronronne gentiment, pas agressif. Charles monte à mes côtés, je passe la première, et la bête démarre doucement. Seconde, troisième dans la ruelle qui rejoint bientôt une route plus large, à quatre voies. Je me dis que je peux tout de même envoyer un peu, je préviens mon « copilote », que je sens légèrement crispé (il est comme moi, il déteste être conduit par un autre). Une fois que la Ferrari est en ligne droite, volant bien droit  lui aussi, (je vous rappelle que la route est glissante à souhait, tandis que les pneus sont froids), j’enfonce le champignon  en seconde. Oups ! Je prends un bon travers arrière –que je rattrape aussitôt d’un léger contrebraquage, remettant immédiatement la voiture dans la bonne direction. D’un coup œil discret vers la droite, je vois les deux mains de Charles qui se crispent sur les accoudoirs tandis que sa jambe droite ne peut pas s’empêcher de freiner ! On rigole tous les deux, et je le rassure : je n’ai aucune intention d’abîmer ce qui est à mes yeux bien plus qu’un voiture, un objet d’art. A l’arrêt ou à basse vitesse, pour les manœuvres du genre créneau, je ne vais pas vous mentir : c’est un vrai 15 tonnes ! Jamais rien conduit de plus lourd depuis les vieilles Bugatti 57 de mon père. Bonne nouvelle : Charles me dit qu’il est facile de faire installer une direction assistée électrique déconnectable et, franchement, ce n’est pas du luxe. Cela dit,  dès qu’on passe 10 km/h, c’est une merveille. La sonorité du 12 cylindres est délicieuse, douce et mélodique, mais fort impressionnante lorsqu’on monte dans les tours.

Position de conduite correcte, visibilité bien meilleure que dans les sportives d’aujourd’hui et une qualité de fabrication pas si mauvaise. La preuve, tout est encore bien en place dans cet habitable vieux de près de quarante ans.

La tenue de cap est parfaite et le confort excellent, grâce à des sièges en cuir Connolly  qui vous maintiennent en place impeccablement. Avec un peu d’habitude (la  célèbre grille Ferrari ne pardonne pas les approximations), le passage des vitesses est un bonheur tant le levier tombe bien sous la main. Bref, au bout d’une heure,  je n’ai aucune envie de rendre la voiture. Timidement, je demande le prix à mon gentil voisin : entre 300 000 et 400 000 € pour avoir une BB 512 comme celle que je pilote aujourd’hui, c’est à dire en état quasiment neuf. Mais  il faut compter aussi avec l’entretien. Par exemple, il convient de changer les courroies de distribution au moins tous les trois ans, et pour ce faire, il faut carrément déposer le moteur –l’opération globale supposant plusieurs jours de travail. Hors de portée. Mais si on laisse ces considérations bassement matérielles de côté, cette BB, qui n’est certainement pas à mettre entre toutes les mains, est un vrai régal.

Ferrari, seule marque au monde, à produire des douze-cylindres depuis soixante-dix ans sans interruption.

Ferrari BB 512i

Prix neuf en 1982                   75 800 € (182 000 € actuels)

Cote 2015 :                             350 000 €

Année de production             1981-1984

Nombre d’exemplaires          1 007

Moteur                                   12 cylindres à plat

Cylindrée                               4 942 cm3

Puissance                               340 ch à 6 000 tr/mn

Couple                                    451 Nm à 4 200 tr/mn

Transmission                         aux roues arrière

Boîte                                      mécanique à 5 rapports

Pneus                                      240/55 VR 415 (Michelin TRX)

Dimensions                            4,40 x 1,83 x 1,12 m

Poids                                      1 499 kg

Réservoir                               100 l

Vitesse maxi                          280 km/h

0 à 100 km/h                          5s4

Consommation mixte            26,5 l/100 km



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