Car Life
Louis Schweitzer : « La science progresse bien plus vite que l’art »


Louis Schweitzer reste un observateur avisé du monde de l’automobile. Il a dirigé Renault avec succès de 1992 à 2005 : on lui doit notamment la création de la marque Dacia sous sa forme internationale et le rachat de Nissan. Il est né le 8 juillet 1942 à Genève et a été nommé commissaire général à l’investissement le 23 avril 2014.

En 2004, la France a fabriqué plus de trois millions de véhicules. Aujourd’hui, bien moins de deux millions, avec la clé, plus de 100 000 emplois supprimés. Au-delà des crises, l’Europe occidentale est un marché soumis à cycles, qui ne croît pas. Les chutes sont toujours plus brutales que prévu et les reprises plus rapides qu’on ne l’imagine. En Europe, il est capital de préserver la compétence, ce qui implique une puissance concentrée, comme ce que nous avons fait à Guyancourt avec le Technocentre Renault. Acquérir cette compétence, c’est une affaire de plusieurs dizaines d’années. Les Chinois savent fabriquer des automobiles, mais ils ne savent pas encore concevoir et développer un bon produit.On progresse plus vite dans la science que dans l’art. Et l’automobile, c’est autant un art qu’une science. L’automobile est une industrie où, dans les marchés ouverts, il n’y a pas de naissance. On ne peut naître qu’à l’abri. Aucun grand constructeur automobile n’est né en Europe depuis 1939. Le dernier fut Volkswagen. Au Japon, aucun depuis les années 50, le dernier fut Honda. Il en est né en Corée qui était un marché fermé. Il en naîtra en Chine et, sans doute, en Inde. Je ne suis pas convaincu des théories « à moins de X millions, vous êtes condamné ». C’est une industrie où les gens se battent au couteau, car les marges sont faibles. La mort est un risque constant.  Pas nécessairement pour les plus petits, il suffit de regarder General Motors, sauvé in extremis par le gouvernement américain.
Pourtant, je continue à croire au « made in France », sans fatalisme aucun. Dans les années 80, on m’expliquait que les constructeurs français étaient condamnés, notamment à cause de l’ouverture de l’Europe au Japon. Dans l’automobile, vous avez intérêt à fabriquer près des lieux de vente. Il n’est pas intelligent, pour vendre des voitures en grande quantité, de les fabriquer en Chine pour les exporter en France, à cause du coût du transport, des problèmes logistiques, de l’instabilité des taux de change. Ensuite, il est économiquement rationnel de rapprocher les lieux de conception des lieux de fabrication. Toutefois, en France comme en Europe, les ventes d’automobiles ne remontent pas. Cela veut dire qu’il faut aussi produire là où les marchés croissent, dans les pays émergents. La sauvegarde de la base de production française dépend essentiellement de la dynamique entrepreneuriale. Mais la qualité du travail, la productivité en France sont tout à fait au même niveau qu’en Allemagne.
Historiquement, les industriels allemands ont toujours défendu et valorisé leur base de production, sachant qu’elle n’était, du point de vue des coûts, pas la plus efficace. Mais ils en ont fait un atout de vente, un atout de qualité. Ils ont aussi travaillé de manière très pertinente en structurant la filière. En France, cela vient d’être engagé par la plateforme automobile que préside M. Rollier qui réunit, pour la première fois dans une organisation commune, les constructeurs et les équipementiers. Et puis, les Allemands, dans le haut de gamme, ont pris une position extraordinairement forte qu’il serait vain de contester de façon frontale. Il faut capitaliser sur nos spécificités. Ce que fait Citroën par exemple, avec sa griffe DS et qui est très juste, c’est ce que nous avons fait chez Renault avec le concept Baccara ou Initiale, en disant : il ne faut pas associer des prestations haut de gamme uniquement à des grosses voitures. Je pense que les contraintes sur le réchauffement climatique, sur le prix des carburants, font que les clients vont rechercher des voitures plus légères et moins consommatrices. Les constructeurs français savent le faire.
Dans une industrie aussi compétitive, rien n’est jamais gagné. L’enjeu fondamental reste l’innovation, et il y a en France des gens qui cherchent des idées « out of the box ». Le problème n’est pas que technologique, il est aussi conceptuel. Il faut réfléchir à autre chose. L’électrique, par exemple, est un pari dont les résultats ne sont pas encore tombés. Rien n’est jamais gagné d’avance. Renault a déjà perdu des paris… Personne ne gagne dans 100 % des cas. Pour citer Edgar Faure, il n’y a pas de politique sans risques, il n’y a que des politiques sans chance. Si vous ne faites pas de paris, vous êtes sûrs de perdre. Le suiveur ne gagne jamais. Je serais très déçu que l’automobile française ne surprenne pas.



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