Car Life
Hervé Poulain : « Une expression du génie humain, scientifique et esthétique. »


Commissaire-priseur, vice-président et associé de la maison Artcurial,
Hervé Poulain est considéré unanimement comme l’homme qui fait référence dans l’association de l’art et de la vitesse. Il a notamment inventé les mythiques « Art cars », voitures de course qu’il pilotait lui-même aux 24 Heures du Mans, après en avoir confié la décoration à des maîtres de la création contemporaine : Calder, Lichtenstein, Stella, Arman, Warhol ou César.

Pierre Gascar a finement observé : « Tous les progrès de la civilisation ne sont qu’utiles. L’automobile, elle, est vécue. » Or, dans le même objet symboliquement incomparable, s’expriment les deux pointes du génie humain, scientifique et esthétique, dans la mécanique la plus raffinée et dans la pureté des formes.
Or, si le poète prête une âme aux objets inanimés, comment ne pas s’extasier devant cette machine bâtie pour la vitesse, qui bouleversa la perception et la sensibilité des hommes ?
« Nous déclarons que la splendeur du monde s’est enrichie d’une beauté nouvelle : la beauté de la vitesse », manifestait Marinetti en 1909. Or, cette capsule d’acier conçue pour la conquête de l’espace terrestre est habitée. L’être entier, prolongé par les accessoires qui lui apportent une superpuissance, se propulse dans la direction choisie, lui donnant l’illusion d’avoir dans chaque nerf des ondes de force : « Nous faisons corps », nos membres en osmose avec les éléments mécaniques.
Hélas, le mythe libérateur s’est dégradé. La pollution, la banalisation des modèles, l’engorgement des voies de circulation, les limitations de vitesse et les hécatombes dominicales ont saboté les espérances.
Dans cette bulle à l’intérieur de laquelle nous nous croyons abrités, le moindre panneau routier, le plus léger incident, viennent nous rappeler que nous y sommes menacés. Nous voudrions être l’âme et le cerveau de l’engin, nous en sommes devenus les esclaves. Notre petit monde clos a perdu son autonomie, et l’ivresse de l’espace s’est dissipée par des contraintes et des dangers. Nous conduisons de plus en plus des véhicules raisonnables, qui se ressemblent tant les uns les autres que la dernière aventure semble se situer dans le choix de la couleur de carrosserie ou le confort des sièges. La publicité sollicite nos pulsions de puissance en vantant des pointes que le code de la route limite à 130 km/h !
Les artistes pop des années 60 – témoins de leur temps – se sont acharnés contre l’objet phare de la civilisation de consommation. Dans L’art et l’automobile, publié en 1973, je dressais l’inventaire du massacre de la bagnole : Arman et Miralda figeaient des Dinky Toys dans des coulées angoissantes de matière plastique ; César et Chamberlain érigeaient les stèles de modernes « Vanités » en saisissant le dernier éclat d’un chrome sous la masse du casseur, Warhol produisait des « Crash » en série et Franta peignait des mêlements insoutenables de chair et d’acier ; ErrÓ et Pascarel peignaient des cimetières d’épaves ; Brice les drapait d’un linceul ; Vostell élevait le tombeau de l’auto en pétrifiant une Cadillac dans un cube de béton sur le campus de Chicago ! Le critique Jean-Jacques Lévêque lâcha le diagnostic : ces jeunes iconoclastes développaient un « complexe de Pompéi »…
Désormais, le dernier état du rêve automobile s’exprime dans la nostalgie et le lyrisme, les collections d’anciennes et la course : dès le fracas des moteurs, qui va crescendo jusqu’au rugissement au moment du départ, un sentiment libératoire anime la foule. Devant elle se joue l’ultime fête de la vitesse, dans le seul endroit, au seul moment et avec les seuls bolides qui aient le privilège de s’y lancer. Par procuration, elle vit à l’unisson des pilotes qui enflamment la piste par le tonnerre de centaines de chevaux débridés…
A suivre.



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