Car Life
Jean-Pierre Beltoise : « Sécurité routière : merci aux constructeurs »


Première star du sport automobile français, Jean-Pierre Beltoise reste le seul pilote de Formule 1 à avoir mis sa science de la conduite au service du public avec ses stages de formation Conduire Juste. Il mériterait un immense respect, uniquement pour cette raison, mais il y en a bien d’autres…

Parmi les anciens pilotes de Grand Prix, je suis le seul à m’être reconverti dans la formation des conducteurs. Dans les années 60 et 70, que ce soit en compétition ou sur la route, la mortalité automobile était un véritable fléau. Personnellement, j’ai perdu un de mes frères et ma première femme dans des accidents de la route. En course, mon beau-frère François Cevert et de nombreux copains ont trouvé la mort. Alors, avec Christian Bonnal, un pilote qui est devenu mon associé à Conduire Juste, on s’est dit qu’avec tout ce que nous savions faire avec un volant, nous avions beaucoup de chose à apprendre aux gens.
Il y a quelques années, on a failli monter un centre Conduire Juste à la Réunion. Cela ne s’est pas fait et c’est dommage parce que nous aurions pu démontrer l’efficacité de nos formations dans un périmètre bien précis, pratiquement en autarcie. Cela pouvait devenir un département-pilote, un exemple, d’autant que la sécurité routière y est vraiment sinistrée.
Car il ne faut pas s’y tromper, le permis à points est un scandale. Combien de bons conducteurs n’ont plus de permis ? Combien de chauffards continuent à rouler n’importe comment ? Je serais pour un permis progressif, mais je sais que ça n’existera jamais. Il y aurait un permis simple, avec un signe distinctif comme le « A » actuel pour les débutants. Mais au lieu de devenir automatiquement des conducteurs confirmés au bout de deux ans comme c’est le cas –période durant laquelle certains n’auront d’ailleurs peut-être jamais pris le volant !-, il faudrait, pour ceux qui le désirent, passer une épreuve plus contraignante pour se libérer du « A ». Et, pourquoi pas, réfléchir ensuite à une sorte de « super permis » pour les meilleurs conducteurs. J’estime que toutes les pistes doivent être explorées.
Reste que mon comportement au volant a changé. Déjà, je roule moins qu’avant à cause des radars. Je ne prends pas le train ou l’avion parce que j’aime toujours la liberté que procure l’automobile. Je pars quand je veux, je reviens quand je veux et j’ai toujours un véritable bazar dans mon coffre. Au niveau de la vitesse, ça n’a rien à voir. Sur l’autoroute, je me cale à 139 km/h compteur au régulateur. Mais je ne suis plus concentré, je fais autre chose en même temps, je travaille. Il faut se faire une raison. Il n’est plus possible de se comporter comme il y a 35 ans. A l’époque, j’avais une Mercedes 300 SEL 6.3. Je roulais rarement en dessous de 220 km/h. Aujourd’hui, même en faisant attention, vis-à-vis des autres, ce n’est pas raisonnable. Doubler une voiture avec 100 km/h d’écart, ça peut provoquer des réactions dangereuses. Je n’ai de toute façon plus les moyens de rouler à ces vitesses, et comme ça je pollue moins. Bref, je suis en train de devenir un mauvais conducteur, car moins concentré au volant.
Certes, l’on pourra m’objecter que les mesures prises ces dernières années ont permis d’améliorer les statistiques. Mais à cela trois explications. La première est la peur du gendarme. On se sent plus surveillé, donc ça a calmé pas mal de gens dangereux. C’est basique, pas vraiment porteur à long terme, mais cela marche et c’est très bien ainsi. La deuxième, c’est l’amélioration du réseau routier. En France, celui-ci est d’une qualité assez exemplaire et cela profite à tous. La troisième raison, à mon sens la plus importante, ce sont les progrès dans la sécurité des voitures. Il serait temps de rendre grâce aux constructeurs qui équipent désormais leurs modèles d’ESP, d’airbags et autres systèmes d’aide à la conduite. On n’en parle absolument jamais, mais il y a un monde en termes de sécurité entre une Renault Clio de base d’aujourd’hui et celle du début des années 90 : ABS, assistance au freinage d’urgence, pneus de meilleure qualité, sans oublier le travail en terme de sécurité passive, c’est-à-dire les airbags et la déformation de la carrosserie en cas de choc. Les avancées réalisées par les constructeurs sur ces points sont extraordinaires, alors même que les voitures coûtent moins cher à euros constants.
Pourtant, aussi étrange que cela paraisse, jamais ils ne revendiquent leur action en faveur de la sécurité des usagers. Au lieu de ça, ils laissent les pouvoirs publics tenir leurs vieilles rengaines et leurs discours parfois si lénifiants. Ce serait positif de les entendre rétablir quelques vérités, ils témoigneraient au passage de leur véritable savoir-faire et cela arrangerait, je crois, le climat autophobe qui règne dans l’hexagone. Un jour, peut-être…



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