Car Life
Luc Ferry : « La voiture restera une des merveilles de la civilisation»


Philosophe, écrivain, ancien ministre, Luc Ferry est aussi un grand amateur d’automobiles, élevé par un père qui fabriquait et préparait des modèles de course. Ses voitures : Jaguar XKR Cabriolet et Renault 4 CV. Son panthéon personnel : la Bugatti Atalante et la Mercedes W196, au volant de laquelle Fangio a remporté deux championnats du monde de F1, en 1954 et 1955.

Aujourd’hui, nous avons peur de tout : du sexe, de l’alcool, du tabac, de la vitesse, des volailles, des côtes de bœuf, des micro-ondes, du trou dans la couche d’ozone, de la mondialisation, des nanotechnologies, des OGM, du réchauffement climatique, de mon ami Claude Allègre et de mille autres choses encore. Le pire, c’est que cette prolifération des peurs s’est accompagnée d’une culpabilisation de cette passion honteuse et infantile avec la détestable inscription d’un fichu principe de précaution dans notre constitution. Idéal absurde du risque zéro, d’une vie enfermée dans un tonneau blindé empli de coton. C’est dans ce contexte qu’est née l’autophobie, la haine de la voiture dont les derniers effets tournent au comique. Jugez-en : depuis un mois, dans la large et calme avenue parisienne où j’habite, la vitesse a été réduite à 30 km/h. C’est d’une telle absurdité qu’à suivre ces nouvelles restrictions, je reçois appels de phares sur appels de phares de la part d’automobilistes qui (les fous !) roulent paisiblement à 40 ou 45 km/h. En courant bien, un piéton pourrait me dépasser. A quand la voiture sans moteur qu’on poussera le week-end, en famille, après y avoir installé la grand-mère ?
Le pire, c’est que cette nouvelle brimade n’a aucun sens, ni en termes de sécurité, ni en termes d’écologie. Au-dessous d’une certaine vitesse, l’attention baisse et la voiture pollue bien davantage qu’en roulant normalement. Du reste, depuis quinze ans que j’y habite, il n’y a pas eu un seul accident sur cette voie. Alors pourquoi en rajouter de manière aussi grotesque ? La vérité, c’est que les Khmers verts qui président à nos destinées ont bel et bien le projet de pourrir la vie des automobilistes. Ils ne s’en cachent même plus. Ils ont ainsi commencé à bloquer les voies sur berge de Seine, afin d’organiser de gigantesques embouteillages aussi polluants qu’exaspérants. On s’étonnera après de voir nos constructeurs en pleine panade, les ventes de voitures en régression constante ! Pourtant, les industriels sont aujourd’hui capables de proposer une nouvelle génération de véhicules consommant moins de 3 litres aux 100 km tout en conservant des performances exceptionnelles. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas prendre modèle sur nos voisins allemands, qui ont deux à trois fois moins d’accidents mortels que nous, alors qu’ils préservent des zones à vitesse non limitée ? Pourquoi, par exemple, ne pas moduler les limitations sur l’autoroute hors week-end, quand le trafic est au plus faible ? Cela inciterait à partir un peu plus tôt ou un peu plus tard les jours de grands départs. On réduirait ainsi considérablement les bouchons, la pollution, en même temps que les risques d’accident – proposition dont je mesure en la formulant combien, dans l’atmosphère actuelle, elle est à la limite du film d’horreur…
Pourtant, la voiture reste et restera, je l’espère, une des merveilles de la civilisation européenne. Car son invention est directement liée aux progrès de la liberté individuelle – une liberté qu’on voudrait sacrifier aujourd’hui au collectif. Je n’ai rien contre les transports en commun, bien au contraire, mais ils ne pourront jamais satisfaire le désir de partir quand on veut, avec qui et où l’on veut. Du reste, l’histoire de l’automobile ne fut pas seulement celle des aventures de la liberté, mais aussi celle de progrès techniques fabuleux et, tout simplement, de la beauté. La valeur de certaines anciennes aux yeux des amateurs en témoigne. Leur prix n’a plus aucun lien avec leur utilité, ce qui les place au niveau des œuvres d’art les plus estimées. Et c’est de tout cela qu’on voudrait nous priver ? De la liberté individuelle, des progrès techniques, de toute cette beauté, sans même parler de la compétition automobile, où priment courage et dépassement de soi ? Le temps est venu, à ce qu’il me semble, d’entrer en résistance.



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