Patrice Vergès
Rudolf Diesel : le nom, pas l’invention

Rudolf Diesel (1858-1913), qui a donné son nom au célèbre moteur à auto-allumage, aura connu une vie intense… qui s’achèvera en 1913 dans des circonstances très mystérieuses, dignes des meilleurs romans d’espionnage. Suicide, accident, assassinat ? Plusieurs thèses aussi extravagantes les unes que les autres circulent depuis près d’un siècle. Retour sur un parcours hors normes, dont le premier motif d’étonnement réside dans le fait que Diesel… n’est pas l’inventeur du diesel !

Rudolf Diesel disparut à la veille de la Grande Guerre, alors qu’il allait négocier les droits de licence de son moteur avec les autorités britanniques. Assassiné par les services secrets allemands ?

Ce matin du 30 septembre 1913, les stewards du vapeur Dresden, qui relie Anvers à Londres, découvrent que la cabine numéro 18 de Rudolf Diesel est étrangement vide. Sa chemise de nuit est encore pliée sur son lit pas défait et sur l’étagère, à côté d’un livre ouvert, sa belle montre en or marche toujours. Où est passé le doktor Diesel dont les amis se sont inquiétés de l’absence au petit déjeuner ?

L’équipage cherche dans toutes les cabines et dans tous les recoins, même ceux de la cale. Pas de docteur Diesel !  A quai, à Parkeston, le bateau est fouillé de fond en comble. Rien, aucune trace !

Quelques jours plus tard, la commission d’enquête ouverte par le ministère du Commerce britannique tire la conclusion qu’il est certainement tombé à l’eau lors d’une promenade nocturne sur le pont. Hypothèse corroborée un peu plus tard par la découverte dans l’estuaire de l’Escaut d’un corps méconnaissable portant ses affaires personnelles. La thèse de la chute accidentelle est alors officialisée malgré les nombreux doutes et zones d’ombre.

Fausse légende

Bien que d’origine allemande, Rudolf Diesel est né dans le 3e arrondissement de Paris, rue Nazareth, le 18 mars 1858. Mais la famille dut partir lors de la déclaration de la guerre en 1870. Diesel, qui adorait cette ville, revint en 1881 travailler dans une usine de machines frigorifiques avant de repartir en Allemagne pour développer son fameux moteur. Petite anecdote, André Chotard, un retraité passionné d’automobile, s’est étonné qu’aucune rue de notre capitale ne porte son nom. Après avoir cherché son acte de naissance et découvert l’immeuble où il a vu le jour, il songea qu’une plaque pourrait être apposée sur sa maison natale. Mieux encore, vu l’immense notoriété de Rudolf Diesel, pourquoi ne pas baptiser une rue de ce nom devenu un générique ? Ses multiples démarches se soldèrent toujours par des réponses évasives de la part de la Mairie de Paris. A force d’insister, en 2005, il reçut tout de même une réponse négative de la commission. Parce que Diesel est d’origine allemande? Par déni de son génie ? Pas du tout !  En fait, André Chotard apprit officieusement que la municipalité en général et les Verts en particulier sont plutôt hostiles à tout ce qui rappelle de près ou de loin l’automobile, responsable à leurs yeux de tous les maux de notre société… Pour les rassurer, les historiens pourraient d’ailleurs leur opposer le fait que Rudolf Christian Karl Diesel n’a pas tout à fait inventé le moteur diesel comme on le pense trop souvent. Certes, il a sérieusement amélioré son rendement en accroissant la compression de l’air qui enflamme le carburant à huile lourde (gasoil) dans le cylindre. Mais c’est l’Anglais William D. Priestman qui est à l’origine de ce type de motorisation, avant qu’Herbert Akroyd-Stuart la perfectionne et en dépose le brevet dès 1890.

C’est en observant le fonctionnement d’un briquet à amadou que Diesel, jeune ingénieur en construction mécanique passionné par le moteur à combustion, eut l’idée de génie d’accroître sa compression. Il en déposa les brevets en 1892 puis 1893. Comme son invention n’intéressait pas l’usine frigorifique où il travaillait à Berlin, il se tourna vers la firme allemande Man qui lui donna les moyens de l’améliorer. Dès 1897, lorsqu’il fut enfin opérant, Diesel put vendre son droit de licence à près de 50 firmes dans le monde !

Machines, navires et autos

Utilisant de l’huile lourde qui était un des résidus du pétrole, ce moteur allait révolutionner le début du XXe siècle en remplaçant les machines à vapeur dans l’industrie. Grâce aux royalties, Diesel devint riche et célèbre. Mais non sans générer d’interminables procès contestant l’antériorité de son invention, de nombreux chercheurs ayant travaillé auparavant sur ce mode d’énergie.

Son moteur diesel révolutionna non seulement l’industrie, mais aussi les transports maritimes en équipant les navires puis les camions (1930), avant que l’automobile s’y intéresse en 1936 avec Mercedes.

Dès 1912, la marine allemande s’était aperçue que ce type de moteur, idéal pour ses nouveaux sous-marins, pouvait assurer sa suprématie sur les mers. Diesel fut alors convoqué par le grand amiral von Tirpitz qui lui demanda d’utiliser gratuitement son invention et surtout exigea son exclusivité. Les diverses rencontres entre Diesel et les responsables militaires furent houleuses car Diesel, qui vivait très largement de la vente des droits de licence, refusa d’accéder à la demande du Kaiser, Guillaume II : il était très sollicité ailleurs, et notamment par l’amirauté britannique, qui la désirait aussi pour propulser ses sous-marins. Les militaires le menacèrent de crime de haute trahison s’il ne s’engageait pas à travailler uniquement pour l’Allemagne.  En leur opposant un refus, Diesel signa certainement son arrêt de mort.

Gasoil maudit

Le 29 septembre 1913, lorsqu’il embarqua sur le Dresden avec deux de ses amis, il avait rendez-vous à la Royal Navy avec le premier Lord de l’amirauté - un certain Winston Churchill  - pour discuter des droits de licence. Son erreur fut certainement de ne pas tenir cette rencontre secrète et de manifester ouvertement son indignation pour la façon dont il avait été traité par son propre pays.  Que Diesel ne signât jamais cet accord, modifia certainement le cours de la guerre qui éclata quelques mois plus tard !

A l’époque, on parla surtout de suicide, car il semblait assez dépressif depuis quelque temps suite aux tensions qu’il subissait. D’autres pourtant évoquèrent la vengeance d’un mari jaloux. Non seulement il avait beaucoup de succès auprès du sexe féminin, mais la découverte d’un deuxième corps quelques jours plus tard laissa imaginer qu’il pouvait s’agir de son agresseur tombé à l’eau en même temps que lui. La thèse retenue aujourd’hui serait plutôt celle de son assassinat à bord du bateau par les services secrets allemands. Et ce, en dépit du fait que bien des zones d’ombre demeurent : curieusement, Diesel n’était pas inscrit sur la liste des passagers et d’aucuns affirment l’avoir aperçu débarquer furtivement du Dresden le 30 au matin.

Quoi qu’il en soit, les différentes théories sur la disparition du docteur Diesel sont aussi séduisantes et mystérieuses les unes que les autres. Et, comme il se dit dans un western de John Ford, quand la légende est plus belle que la réalité, il faut raconter la légende…



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