Désormais consultant chez Havas, mais toujours très présent dans les médias, Jacques Séguéla reste le publicitaire le plus célèbre de l’automobile. Le plus célèbre tout court d’ailleurs. Le fils de pub revient pour Car Life sur cinquante ans de carrière de “vendeur” de voitures.
Je n’ai jamais été un élève brillant, c’était même plutôt tout le contraire. Sauf qu’un jour, je suis passé de cancre à major quand j’ai eu mon bac. Pour sacraliser ce retournement de situation, ma mère m’a offert une 2CV que je suis allé casser sur les routes du Proche et du Moyen-Orient. A partir de ce moment-là, Citroën a changé ma vie. J’étais allé voir les gens de la marque avant d’entreprendre mon périple pour qu’ils me sponsorisent. Ils m’ont répondu non, mais ils m’ont donné un exemplaire du livret technique de la voiture ! A 30 ans, de retour de mon tour du monde, je suis revenu chez Citroën où les patrons de la communication se sont montrés séduits par mes aventures et m’ont pris sous leur aile. Grâce à eux, j’ai écrit mon livre pour raconter ce tour du monde en 2CV. Ils m’ont également fait faire en 1960 ma première brochure publicitaire sur les victoires et les désillusions d’un tour du monde en 2CV. Ils ont également produit notre film et ma première tournée médiatique en 1959-1960, ainsi que ma première émission de télévision. Mon livre a fait plus de 150 000 exemplaires et a récolté plusieurs prix. Mais notre grande histoire démarrera presque vingt ans plus tard, avec l’accompagnement publicitaire et médiatique de la marque. En 1977, c’était une campagne d’affichage pour la GS, que je trouvais très confortable, et j’avais concocté ce slogan : « L’anti tapecul ». Je crois que le patron de l’époque n’a pas du tout apprécié et j’ai été écarté pendant plus de trois ans. Entre temps, je me suis consacré à la campagne de François Mitterrand.
Pour préparer son élection de 1981, je le retrouvais chez lui, rue de Bièvres. Je lui apprenais la communication, il m’enseignait la politique. A l’époque, j’avais une Rolls que j’avais achetée d’occase. Un jour, il m’a donné une grande leçon. Comme après notre rendez-vous il devait se rendre chez Lipp pour déjeuner, je lui propose de l’emmener. En arrivant devant ma Rolls, il me dit : “Mais vous n’y pensez pas, ce sera demain dans le Canard Enchaîné.” Quand je suis rentré à l’agence, le jour-même, j’ai dit à mes collaborateurs : “Mitterrand vient de me donner une sacrée leçon de politique et de communication.” Depuis, souvenez-vous des photos de Strauss-Kahn montant dans la Porsche Panamera de son ami et le mini scandale qui s’en est suivi… Pour la petite histoire, j’ai vendu la Rolls le lendemain.
J’ai ensuite lancé la pub auto spectacle, ça a duré dix ans. A l’époque, on achetait des voitures plus pour l’image et ce qu’elles paraissaient que pour la réalité du produit. C’était l’événement, la pub qui faisait la voiture. L’imaginaire l’emportait sur le plus-produit. Il y a eu un retour de manivelle à la fin des années 80. J’avais imaginé un film avec une Visa vissée sur le toit d’un Boeing. J’ai été convoqué par Jacques Calvet, le PDG de PSA à l’époque, qui m’a dit qu’il vendait des voitures, pas des avions. Ça a été le déclic. On est revenus vers des choses différentes. Et puis à l’époque, le secteur n’était pas encore touché par les restrictions imposées par l’environnement et l’évolution des mœurs au sujet de l’automobile. Les fameuses campagnes Citroën ne sont plus possibles aujourd’hui, même si chaque film doit être un événement, et dans le cas de Citroën, un spectacle. Aujourd’hui, la pub doit être à la fois populaire et mondiale. N’oubliez pas que nos films tournent dans près de 100 pays. Pourtant, Citroën est éminemment française. C’est D’Artagnan, son panache, sa faculté à prendre des coups, à se rater et à rebondir. Il y a aussi du Gavroche, en ce sens que la marque sait toucher le cœur des gens. C’est dans les tripes de Citroën que d’être curieuse, innovante et ouverte.
Les Français sont des adeptes du “c’était mieux avant”, mais en fait rien n’a changé. La voiture est toujours un objet de désir, de symbolique personnelle, un signe extérieur de richesse intérieure et extérieure. Une auto, ça s’achète toujours pour les mêmes raisons : d’abord la marque, ensuite le design, et puis la consommation, le tout arbitré par le prix. Malgré toutes les restrictions, la voiture reste au même niveau qu’il y a trente ans car elle continue de faire rêver, c’est un signe. La chose a changé, le produit questionne, mais il suscite toujours du rêve, de l’envie. La voiture demeure un mode de vie et un mode d’envie. Par exemple, tous les mecs qui achètent une décapotable, c’est qu’ils trompent leur femme. Je le dis à toutes mes amies : quand ton Jules achète une cabrio, c’est qu’il te “cravate”. Ça ne trompe pas.