Ancien pilote de rallye (cinq titres de champion de France, deux titres de champion d’Europe, sept victoires en championnat du monde…), chargé de mission sécurité routière (1986), chevalier de la Légion d’honneur, Bernard Darniche a créé en 2004 l’association Citoyens de la route, qui traite de toutes les questions liées à la mobilité et à la sécurité routière. Des thèmes qu’il aborde tous les matins dans ses chroniques sur la radio France Bleu Ile-de-France (107.1).
Quand un instrument est accessible au plus grand nombre, on n’a plus conscience de ce qu’il a apporté à notre société. On oublie la façon dont il a structuré nos vies, pour ne plus en percevoir que l’aspect négatif. On a ainsi fait de l’automobile un instrument de destruction, de mort, de pollution, alors qu’elle est au contraire un instrument de vie, de développement économique, d’émancipation et de liberté. 80 % des déplacements actuels se font en automobile, cela parce que l’offre de mobilité de masse – hors TGV – est totalement insuffisante et archaïque.
Il est plus que jamais nécessaire de créer une agence à la mobilité. Pas un ministère des Transports bis, mais une organisation qui prendrait en compte tous les paramètres de nos déplacements, qu’il s’agisse de transports en commun ou individuels. En Ile-de-France, là où le problème est le plus criant, chacun travaille dans son coin : métro, RER, train, voiture, il n’y a pas une once de cohérence dans les décisions qui sont prises. Tous les systèmes de mobilité sont gérés indépendamment alors qu’ils devraient être pensés les uns par rapport aux autres. A cet égard, le cas de l’agglomération de Tokyo est intéressant : on y compte plus de 36 millions d’habitants, mais on s’y déplace avec fluidité. Les offres de transport en commun sont dignes, le métro est propre, et l’on n’y fait pas la queue pour acheter son billet… Pour des trajets plus longs, il y a un TGV toutes les six minutes. On est dans une société moderne. Tout n’y est pas parfait, mais j’invite nos décideurs à s’en inspirer.
Le problème vient de ce que l’homme politique ne pense qu’à demain, à sa réélection dans quatre ans, alors que les plans à mettre en œuvre concernent les quarante prochaines années. Et la chaîne de décision est un problème insoluble : la municipalité, le département, la région, l’Etat, toutes ces institutions sont incapables de travailler ensemble. Quand on pense à ce que coûtent à la société les temps de transport, les encombrements. Ils sont en partie là, les milliards que l’on cherche. Sans parler de la pollution. La solution, c’est de fluidifier le trafic, mais on fait exactement le contraire : avec la désynchronisation des feux, par exemple, on crée des embouteillages pour décourager les automobilistes, pour qu’ils renoncent à leur voiture.
De même, l’on nous inflige une véritable propagande pour expliquer les progrès de la sécurité routière. La baisse de la mortalité sur les routes est due presque en totalité aux immenses progrès techniques réalisés par les constructeurs sur leurs voitures. Que les patrons de marque se taisent sur le sujet peut se comprendre dans la mesure ils sont toujours en train de demander de l’aide à l’Etat. Mais je leur en veux quand même de ne jamais avoir dit : « Monsieur le ministre, arrêtez de mentir, l’amélioration, c’est grâce à nous ! » Moi, je le dis, c’est un mensonge d’Etat, mais ça ne trompe plus personne maintenant. Si on voulait vraiment faire de la sécurité routière, les autoroutes seraient gratuites pour les jeunes. Ce n’est pas très compliqué à mettre en place ça, non ? Parce que 140 morts par an sur l’autoroute dont 70 piétons, ça ne me paraît pas devoir être une grande cause nationale. L’autoroute est l’endroit le plus sûr qui soit, toutes activités confondues ! L’hôpital ? 12 000 morts par an. Le bricolage à la maison ? 20 000 morts par an ! Le fait de marcher dans la rue à respirer les particules des diesels ? 42 000 morts par an ! Et l’on pourrit la vie de 35 millions d’usagers en nous faisant croire que les centaines de radars installés sur les autoroutes, c’est pour notre bien ?
Pour autant, je ne suis pas opposé aux limitations de vitesse. Je veux juste que celles-ci soient établies de façon cohérente. Tous les gens connaissent des aberrations à côté chez eux : une rocade à quatre voies limitée à 50 km/h au lieu de 90 km/h, une route qui traverse des passages piétons non éclairés, limitée à 70 km/h au lieu de 30 km/h. On a décrété la tolérance zéro, mais la première règle d’une République digne de ce nom serait d’établir des lois respectables. Telle qu’elle existe aujourd’hui sur la route, la loi n’est pas respectable.