Si tout le monde connaît la marque, nombreux sont ceux qui ignorent que son créateur et ses successeurs participèrent à l’équipement des pionniers de l’automobile. Devenu malletier, Vuitton n’a cessé de faire évoluer la conception du voyage.
Démonstration de l’art de voyager version LV, les « runs », rallyes réunissant certaines des plus belles voitures de collection existantes, sont la marque de fabrique de la maison.
Au début du XXe siècle, l’entreprise propose une panoplie invraisemblable d’équipements pour automobiles, des plus luxueux aux plus ludiques. Ils feront sa réputation.
La China Run fut l’un des moments les plus glorieux de l’histoire de Vuitton et de son rallye ultra-chic. A l’époque, le pays-continent était encore une terra incognita pour nombre d’Occidentaux. Le traverser avec des voitures anciennes, un exploit.
Visionnaire, le malletier a parfaitement mesuré le potentiel que représentait la voiture lors de la Révolution inustrielle.
Lorsque la marque fête son 55e aniversaire, elle rend hommage à l’automobile. C’est le moins qu’elle puisse faire, au regard de leur expérience commune.
Vuitton en 10 dates
1823 : ouverture d’un atelier de maroquinerie
1854 : fondation de la maison Louis Vuitton
1897 : première malle automobile
1905 : publication d’un catalogue d’accessoires pour véhicules
1909 : première voiture Louis Vuitton
1931 : équipement de la croisière Jaune
1989 : concours d’élégance de Bagatelle
2000 : création des Classic et Design Awards
2012 : organisation de la Serenissima Run, entre Monaco et Venise
2013 : conception d’une malle pour le trophée des 24 Heures du Mans (ci-contre)
Traversée des Alpes enneigées lors de la dernière LV Classic Serenissima Run, entre Monte-Carlo et Venise. 1400 km en quatre jours. Le sac au monogramme est ici bien en évidence, indispensable.
Le concept-car Giugiaro, piloté dans le cadre de la Serenissima Run de 2012, entre Monaco et Venise, par Fabrizio Giugiaro lui-même. Dans la grande tradition, il a été rhabillé intégralement par Vuitton, qui signe la sellerie.
Silhouette collection LV homme 2013-2014. Veste raglan cuir de taureau marron (2 900 €), chemise en coton blanche (prix sur demande), pantalon à carreaux en laine et cachemire gris (800 €).
Etole Monogram Checks en soie et laine marine (390 €), signée Marc Jacobs (le créateur de mode maison, qui vient tout juste d’annoncer son départ).Contact : 09 77 40 40 77
Montre Tambour LV Voyagez Brun (5 900 €). Devenu horloger il y a une dizaine d’années, Louis Vuitton édite de vraies garde-temps de haute horlogerie. Comme ce chrono automatique XL avec bracelet en alligator.
Lunettes de soleil George en métal et cuir marron, collection LV 2013-2014 (500 €), accessoire idéal du gentleman-driver en montagne.
Bottines Exodus en cuir Samara LV (2 200 €). L’une des manufactures de souliers de LV, à Fiesso d’Artico, figurait sur le parcours de la Serenissima Run 2012.
Les fameux « Sacs Chauffeurs » ou les malles de coffre continuent, encore aujourd’hui, d’inspirer les collections de la maison, qui s’est diversifiée dans la mode et l’horlogerie.
Aux Etats-Unis, en Angleterre, en France
ou en Asie, Louis Vuitton s’est longtemps associé aux plus prestigieux concours d’élégance d’automobiles anciennes.
La passion que Louis vuitton nourrissait pour les autos perdure aujourd’hui encore
à travers des courses de voitures d’exception.
Les moteurs des supercars à plein régime résonnent toujours dans la ligne droite des Hunaudières, au Mans, en ce beau dimanche de juin. La 90e édition des 24 Heures, l’une des courses d’endurance les plus célèbres, n’est pas encore terminée qu’en coulisse, on s’affaire déjà pour préparer la remise du trophée. Une imposante malle Louis Vuitton dissimule encore, pour quelques instants, l’impressionnante sculpture. Ce rare écrin sur mesure a été confectionné à la main, pour l’occasion, dans les ateliers de commandes spéciales dirigés par Patrick-Louis Vuitton, à Asnières-sur-Seine (92), berceau historique de la maison. « C’est véritablement l’expression de notre savoir-faire, l’équivalent de la haute couture dans la mode ou de la Formule 1 dans le monde de l’automobile », commente alors le descendant du malletier, qui a lui-même dessiné l’objet et veillé à sa patiente élaboration durant des centaines d’heures. Le trophée des 24 Heures ne voyagera plus qu’avec ce précieux emballage. Les photos-événement font aussitôt le tour de la planète. En la matière, la marque au monogramme n’en est pas à son coup d’essai. Depuis ses premiers pas, au milieu du XIXe siècle, Vuitton a toujours réalisé des malles élégantes, pleines d’ingéniosité, pour ses clients et leurs biens ou objets les plus précieux. Cette commande, baptisée « Le Mans », s’inscrit dans cette tradition qui l’a également vu protéger et transporter des trophées comme celui de la Coupe du monde de football ou de l’America’s Cup.
Voyager avec style
« La destinée de la maison Louis Vuitton a souvent croisé l’univers de l’automobile », écrit Serge Bellu dans l’avant-propos de son ouvrage intitulé Louis Vuitton et l’élégance automobile, publié en 1997. C’est en effet un siècle plus tôt, en 1897, que sort de ses ateliers la première malle dévolue aux véhicules. Célébrant l’art de voyager avec style, l’entrepreneur devient rapidement le complice des carrossiers – les premiers modèles n’avaient pas de coffre –, pour lesquels il conçoit des « œuvres » aux formes diverses et variées, qu’on sangle alors derrière la cabine abritant les voyageurs. Recouvertes de cuir ou de Vuittonite (la fameuse toile enduite), elles sont « rigoureusement » imperméables, ainsi que le proclame la publicité. D’ailleurs les malles Vuitton ont été les premières à accompagner les périples individuels. Autrefois, celles qui étaient implantées à l’arrière des diligences avaient un couvercle bombé, pour que l’eau puisse ruisseler, car leur place était à l’extérieur. Puis les malles Vuitton sont devenues plates, étanchéifiées par du cuir monogrammé, le grand emblème de la marque, parce qu’elles étaient plus faciles à stocker à l’arrière des voitures. Visionnaire, Louis Vuitton, dont les articles de voyage sont destinés à équiper les attelages hippomobiles, parie très tôt sur l’avenir que pourrait connaître l’automobile. L’essor de sa société accompagne ainsi les frémissements de cette révolution industrielle. Fiat, Panhard, De Dion-Bouton, Napier ou encore Mercedes adoptent ses accessoires, tels le Sac Chauffeur, qui se glisse dans une roue, le coffre à outils pour le marchepied, la malle contenant une pharmacie de route, et celles de pavillon ou de porte-bagages, dont la couleur est assortie à celle de la carrosserie. En 1906, le créateur habille une CGV 75 HP de telle sorte qu’il la transforme en berline de voyage baptisée « auto-camping ». Un an plus tard, au salon de l’automobile, l’entreprise montre une limousine entièrement parée de ses créations. Elle équipe la Spyker qui participe au raid Paris-Pékin ou la Torpédo Thomas qui relie New York à Paris via Moscou !
En 1909, Pierre et Jean Vuitton dessinent eux-mêmes, sur un châssis Strabilia, une voiture sportive afin de promouvoir les mérites des produits de la marque. La gamme des accessoires s’allonge de jour en jour, et fait l’objet de catalogues complets : glacières ou valises-déjeuner agrémentent avec raffinement berlines et coupés.
La croisière Jaune… et chic
Grâce à la malle Excelsior, « complément indispensable de la voiture de grand tourisme », comme le vante une publicité parue dans Femina en 1925, Vuitton conquiert les pionniers du tourisme alors que le réseau routier se développe en même temps que les palaces, décors à la mesure des automobiles superlatives. Mais la crise de 1929 porte un coup fatal au secteur, comme au luxe. Rien ne sera plus jamais comme avant. Place aux autos industrielles, intégrant des coffres à bagages dans la caisse. C’est la fin des malles de voyage à l’ancienne. Comme un pied de nez à ce monde qui sombre, dans les années 30, André Citroën équipe ses autochenilles de malles Vuitton pour la croisière Noire puis la croisière Jaune.
Louis Vuitton redéploie ses activités grâce à l’essor de l’aviation, des transatlantiques et du voyage. Mais n’a jamais cessé d’être fidèle à l’univers automobile. En témoigne la création en 1988, sur le modèle du concours d’élégance de Pebble Beach, de l’événement de Bagatelle. Avide de redécouvrir son histoire, Vuitton y associera son nom de 1989 à 2003, sous l’impulsion de son président d’alors, Yves Carcelle. « L’automobile est le reflet de son époque et de son art de vivre », confiera-t-il. En la mettant en scène, il exalte la valeur patrimoniale de Vuitton tout en faisant la démonstration de ses capacités d’innovation. Les malles anciennes glorifient l’idée du voyage, les élégantes rappellent les Années folles avec glamour, et l’illustrateur Razzia réalise des affiches d’une incroyable modernité. L’esprit est le même à Stowe, Hurlingham ou Waddesdon Manor, autour de Londres, où Louis Vuitton organise de 1990 à 2004 des prix d’élégance dans ces hauts lieux du chic Britannique, ou à New York. Entre 1996 et 2000, les classiques se retrouvent au cœur de Manhattan, sous l’égide de Louis Vuitton.
Quelques années plus tôt, en 1993, le malletier, qui ne peut décidément pas se passer de lier son nom aux automobiles d’exception, a organisé son premier rallye historique, le Vintage Equator Run, aux confins de la Malaisie. Soixante-dix voitures et motos d’avant 1960 prennent ainsi le départ, parmi lesquelles 11 MG ! En 1995, 1996 et 1997, Vuitton parraine le Tour du Léman, qui devient le Trophée Louis Vuitton, réservé aux voitures produites avant 1905, mais aussi la Louis Vuitton Italia Classica, pour mettre à l’honneur les légendes italiennes. Toujours à la conquête de nouveaux marchés, Louis Vuitton, dont la renommée est désormais mondiale, débarque en Chine avec sa Run, qui relie Dalian à Pékin en 1998. Il s’écoule ensuite huit années avant que l’homme ne prête son nom à une nouvelle aventure routière, la Classic Boheme Run, en 2006, de Budapest à Prague, via Vienne.
Prix d’excellence
Entretemps, Louis Vuitton a tourné la page des concours d’élégance, mais n’a pas pour autant cessé de célébrer la créativité. La maison crée, au tournant des années 2000, deux prix plus confidentiels, adressés aux aristocrates de l’automobile, le Classic Award, remis au meilleur « Best of show » de l’année et le Design Award, pour le plus beau concept-car de l’année. Des célébrations qui ont gagné en importance, comme en témoigne l’affluence lors de la cérémonie qui a eu lieu cette année, le 5 février, au Pré Catelan, à Paris…
Trois véhicules d’exception s’y sont vu décerner une des plus prestigieuses récompenses : le « Louis Vuitton Classic Concours Award » a été accordé à la Ferrari 250 GTO Berlinetta Scaglietti de 1962, pour ses formes profilées parfaitement proportionnées, ses performances, sa rareté, ainsi que la mélodie de son moteur douze-cylindres, ce qui en fait l’un des modèles les plus convoités. Le « Louis Vuitton Design Award » a lui été remis au concept-car Peugeot Onyx, dévoilé au dernier Mondial de l’Auto à Paris. Et, pour la seconde fois dans l’histoire de ces manifestations, un Prix spécial a été attribué par le jury au Brivido, un concept-car hybride réalisé par Italdesign, qui a participé au rallye Serenissima Run, organisé par Vuitton en 2012, et a remporté l’épreuve dans sa catégorie.
Entre Monaco et Venise, la LV Serenissima Run a en effet conduit l’an dernier quarante-deux des plus élégantes automobiles classiques du globe sur les routes. Triés sur le volet, les heureux propriétaires de ces bolides rarissimes se sont élancés fin avril sur les quais de Monaco. La plupart des voitures de collection présentes avaient pris part à des épreuves au cours des années 60, les plus anciennes durant les années 10 ou 20. Dans le monde, seules 300 personnes possédant des modèles suffisamment renommés et bien entretenus seraient éligibles pour s’inscrire à cette course. L’organisateur, Christian Philippsen, a reçu 120 demandes, sur lesquelles il a finalement retenu le plateau de départ. Le plus souvent, un noyau dur d’habitués qui se retrouvent régulièrement à l’occasion d’épreuves ou dans des concours d’élégance aux quatre coins de la planète. L’ambiance y est amicale, on est entre soi. Tous les pilotes disposent de leurs propres mécaniciens pour procéder aux réglages, ou lustrer les capots. Il le fallait bien, pour parcourir quotidiennement des étapes de 400 km avant de rallier Venise, via les Alpes suisses et leurs virages sans direction assistée.
Mondialisation au volant
Anglais, Américains, Mexicains, Indiens ou Chinois, les participants au volant de leur Ferrari GTO ou de leur Bentley 1956 illustrent à merveille la mondialisation qui a été celle de Vuitton depuis trois décennies grâce à Yves Carcelle. Ce dernier a confié à René Metge, trois fois vainqueur du Paris-Dakar – rallye dont il fut le directeur – le soin d’établir le roadbook et le parcours parfois ardu de cette épreuve qui se veut un véritable défi sportif. Sur le terrain, on était loin des remises du prix le soir, aux plus belles autos, comme l’unique Mercedes Autobahnkurier de 1938 d’Arturo Keller. Il fallait voir en effet l’Isotta Fraschini qui a couru Indianapolis en 1913, véritable locomotive sur pneumatiques, ou la Bugatti alu chromé de 1926 qui a remporté 1 045 victoires en Grand Prix, au col du Vars, à 2 300 mètres d’altitude. D’autant que les plus anciennes des voitures n’ont ni toit, ni capote. On est chic ou on ne l’est pas.
En passant devant le mont Blanc ou sur les berges du lac de Côme, la curieuse caravane a évidemment suscité l’étonnement et l’admiration des badauds. Pas tant par le faste ou la fortune que cela représente –chaque auto vaut son pesant de millions d’euros, mais on a l’élégance d’éviter ce sujet sur la Run, ce serait vulgaire –, mais parce qu’il est bien rare de voir ces autos, toutes des chefs-d’œuvre, rouler, et encore plus faire la course. La plupart sont entreposées dans des musées. C’est l’aspect patrimonial, artisanal et vivant qui relie l’automobile aux objets sortant encore aujourd’hui des ateliers Vuitton. Comme à Fiesso d’Artico, l’une des étapes de cette épreuve magique, où Louis Vuitton fabrique les souliers qu’il vend dans ses presque 500 boutiques disséminées à travers le globe. Des chaussures fabriquées dans la plus pure tradition italienne avec les meilleurs artisans… encore un point commun avec la crème de la production automobile sportive du siècle dernier, et avec le malletier le plus connu au monde. Il suffisait de voir toutes les malles à l’arrivée, à Venise, transiter des coffres des voitures vers des bateaux pour en avoir la confirmation. Une fois de plus, en tout cas, cette « run » hors du temps apporta la preuve que, pour Louis Vuitton, l’automobile est une figure libre. Les échanges entre les deux univers sont sans arrière-pensée. On flirte avec l’utopie, mais les échappées et les débordements sont soigneusement contrôlés. C’est un acte de foi, pas un acte gratuit.