Paul Belmondo
Stéphane de Groodt : « j’ai été pilote et comédien, je n’ai pas eu le temps d’être cosmonaute ! »

Comédien, humoriste, auteur à succès… et pilote de course. Stéphane de Groodt est l’homme de tous les talents. Il a ouvert à Car Life et Paul Belmondo la porte de sa loge au théâtre Edouard VII, peu avant de monter en scène pour jouer « Tout ce que vous voulez« , où il donne la réplique à l’excellente Bérénice Béjo.

Tu vas monter sur scène dans moins d’une heure et pourtant tu nous reçois dans ta loge, l’air parfaitement détendu…
J’ai dormi un peu tout à l’heure. Je voulais dormir dix minutes et ça a duré une heure et demie. Je suis un peu en mode automatique. C’est excitant et très exaltant d’être dans ma situation. Et notre métier, c’est jouer. C’est un truc d’enfant, jouer. On garde une âme d’enfant, j’ai une chance folle d’exercer ce métier. Je suis très heureux de pouvoir jouer le matin et de jouer le soir, ma vie est un jeu.

Tu as fait de la course auto. Même s’il y a aussi là une part d’amusement, comment comparerais-tu les deux types de stress ?
Quand j’étais petit garçon et ado, mon rêve était de devenir pilote de course et comédien, les deux choses les plus excitantes avec cosmonaute. Bon, je n’ai pas eu le temps d’être cosmonaute… Dans la course et au théâtre, il y avait de l’action, du jeu, des enjeux, du spectacle, des spectateurs et des costumes. Ce sont des sensations que l’on ne trouve nulle part ailleurs, et qui procurent des montées d’adrénaline incomparables. Un pilote de course, c’est un chevalier des temps modernes. Un acteur, n’en parlons même pas. Le matin quand j’arrivais à l’école, s’il y avait eu un de Funès la veille à la télé, tous mes copains ne parlaient que de ça! Moi je ne me sentais pas très bien dans ma peau. J’étais gros et très complexé, je voulais être comédien ou pilote, et personne ne me prenait au sérieux. Du coup, je me suis dit qu’au fond pour intéresser mes copains il fallait que je les fasse rire. S’est donc imposé ce métier de comédien. Je me disais « je vais devenir de Funès un jour peut être ». Je suis parti avec cette idée-là. Et en marge de ça, j’ai vu un jour Gilles Gilles Villeneuve s’éclater à Zolder, et tous les médias ne parlaient que de ce mec mort en héros dans des conditions spectaculaires. Il faisait la une des journaux, et moi qui n’avais pas beaucoup d’identité je me disais que c’était super aussi. Mais plus je disais vouloir faire les deux, et moins on me prenait au sérieux.

Pourtant ça peut fonctionner…
Oui, clairement. Jean-Louis Trintignant a fait les deux, Paul Newman et Steve McQueen aussi. Je voulais être comme ces mecs. J’allais voir Trintignant a Francorchamps avec sa BMW Gitanes, et j’étais très impressionné. J’ai finalement participé à ma première course, et en marge de ça j’ai découvert le théâtre et le cinéma. Le rideau qui se lève au théâtre, c’est comme le feu rouge qui passe au vert sur la ligne de départ.
Mais quel stress lors des premières représentations ici! Un stress et un saut dans l’inconnu que tu connais, Paul, et que l’on trouve rarement ailleurs que dans la course. Par ses réactions, le public va nous dire si on est bons. Avec cet esprit de compétition que nous partageons tous deux depuis tout petits, et qui correspond à un mode opératoire particulier. Se dire « Je vais monter sur cette scène », c’est comme prendre le départ d’une course. C’est exactement comme « Je vais baisser ma visière, je vais mettre la première et y aller ». Et pour cette pièce, je me suis mis dans cet état d’esprit-là. J’ai oublié le public et la notion de scène et retrouvé mes notions de compétiteur pour me dire « il faut y aller ». Et je suis parvenu à cette forme de concentration absolue que l’on a parce que pendant une course on ne pense à rien d’autre que ce qu’on fait. À chaque fois je rapatrie ce mode opératoire.
L’autre parallèle entre théâtre et course, c’est qu’avant chaque départ je me repasse le circuit dans la tête à une ou deux secondes près. Là j’ai fait pareil en me repassant toute la pièce. A quelques secondes ou mots près je me repassais les répliques de ma partenaire, je revoyais les déplacements et donc j’anticipais tout. J’avais refait la pièce dans ma tête. Ce ne sont pas les mêmes émotions, mais leur intensité est aussi forte.

Donc la course aura été pour toi une école de vie.
La compétition est une école de vie! Il s’agit de manier les éléments, et d’essayer d’être le meilleur tout en gérant les autres. Avant d’être dans une voiture il faut gérer l’aspect commercial et gérer son image. La compétition m’a appris à me battre, a me défendre, à chercher la petite chose qui va faire la différence, le dixième et où le millième de seconde qui fera que vous êtes premier ou vingt-cinquième. Il suffit de très peu de choses, comme dans la vie. Comme pour un cuisinier, qui va appliquer le petit détail qui fera la différence entre un plat sublime et un plat banal. J’essaie pour ma part d’être un comédien qui apportera ce petit truc en plus au texte. Cette recherche du truc en plus, je l’ai aussi apprise dans la course.

Jouer à Édouard VII, l’un des théâtres  le plus important de Paris ça doit démultiplier le stress…
Oui, ça le démultiplie et en même temps on a conscience de l’enjeu et des cartes que l’on a en mains. Magnifique théâtre, auteur à succès, partenaire sublime…et là encore, la course: « on est à Monaco, pas sur un petit circuit de province, j’ai cette voiture parfaitement réglée et on n’a pas le droit de se louper ». Et on met tellement de concentration, on travaille tant en amont pour que ça fonctionne bien que à un moment donné on parvient à se détacher de ça. Après la course où on a bien roulé, on regarde la bagnole et on se dit « c’est vrai c’était une super bagnole » et on mesure la chance folle d’être où on est. Ça m’arrive à 50 ans, et si le même succès arrive à 25 ans et que  tu n’es pas bien encadré, si tu n’as pas des valeurs, si tu n’es pas bien élevé au sens propre, si toute la journée tu as des gens qui te disent que tu es formidable et que tu commences à y croire, c’est foutu! Comme ça m’arrive tard je profite de tout ça à sa juste mesure.

Sur Europe 1 récemment, on te posait la question sur ton expérience au théâtre, et tu rappelais que tu en étais non pas à ta deuxième ou troisième pièce, mais à la dixième.
On parlait de jeu tout à l’heure, mais c’est un métier. C’est comme un pilote: au début tu conduis vite, et un jour tu deviens pilote. Comédien c’est pareil. Tu joues, et puis un jour tu incarnes quelqu’un. Il n’y a pas de secret: c’est du travail, du travail et du travail. Un peu de talent et là-dessus du travail. C’est Brel qui disait le talent ce n’est rien d’autre que d’avoir envie de faire quelque chose, et que le reste c’est du travail. Je crois à fond à ça.

Ce que tu faisais à la télé recèle une grande part d’improvisation
L’impro t’apprend l’écoute. Et tu deviens une éponge, il y a plein de jus. Mon écriture est partie de là. C’est un instinct, comme du jazz.

Le rire et l’humour, c’est du pilotage, sur le fil ?
C’est un tempo et un timing très précis, le rire. Dans le pilotage il y a aussi une part d’instinct. Il y a des gens qui ont un sens du timing. C’est une aptitude, une facilité. Un mot de plus ou de moins fait que ça fonctionne ou pas, et une seconde de plus ou de moins en piste fait que ça fonctionne ou pas. En bagnole, tu freines trop tôt ou trop tard et c’est cuit. Au théâtre comme en pilotage, tu as des facilités qui viennent avec l’expérience. Tu observes et comprends ce que ton coéquipier va faire, tu anticipes, ce sont des choses qui viennent naturellement. Comme avec la mesure des instruments de bord : si au début de ta carrière tu mets une seconde a les comprendre, à la fin un dixième te suffit. Pas besoin de checker pour savoir tout ce qui se passe. La pièce, c’est pareil. Au bout d’un moment plus tu joues et plus tu « oublies » ton texte. Tu comprends le public de manière quasi-instinctive, et tu sais si tu es en phase avec lui. C’est l’expérience qui te permet de te consacrer à l’essentiel, que tu sois sur la piste ou sur scène.


Quel pilote étais-tu? Etant donnée ton image publique, on peut avoir du mal à t’imaginer comme un type assoiffé de sang sous son casque… Comment étais-tu en piste, très agressif ?
Quand j’ai commencé à gagner des courses j’étais comme ça. Il n’y a pas de secrets. On est des killers (rires) ! Mais au début, le fait d’enfiler combi et casque pour faire un spectacle m’excitait plus que d’aller sur une piste et vraiment piloter une bagnole. D’ailleurs je n’étais pas très rapide. J’avais récupéré une combi de Thierry Boutsen, car j’avais un pote qui faisait partie de ses sponsors et avec ça je me prenais pour un grand champion. Je me mettais en tenue et m’allongeais dans ma baignoire, comme un pilote de monoplace. J’avais cassé ma tirelire pour acheter un casque GPA qui n’a jamais servi à rien, puisque je l’ai gardé pendant cinq ans et quand j’ai commencé à courir il n’était plus homologué.

Comment les choses se sont-elles faites ?
De rencontre en rencontre j’ai trouvé un sponsor et ma première course c’était en Opel. C’était n’importe quoi, je conduisais bien trop gentiment cette voiture. Je devais faire 2-3 courses avec cette équipe, et très vite le team manager m’a pris à part et m’a dit: « je pense que tu n’as pas tout compris. Là tu es avant-dernier, ce n’est pas ça du pilotage. Il faut rentrer dedans, taper dans la boîte, il faut y aller ». Je suis passé par l’école Avia à La Châtre en F3 et j’ai mis du temps à comprendre. Et puis un jour, j’ai eu le déclic et je suis devenu ce type-là : si je suis sur circuit c’est pour gagner des courses et être devant, merde ! Et j’ai commencé à changer de tête à mon avis sous mon casque. Au début je préférais soigner mes trajectoires et faire l’idiot sur la piste pour les spectateurs. Les interviews d’après-course m’intéressaient plus que ce qui se passait dans la bagnole ou que les résultats. Tu es obligé de devenir un mec comme ça si tu veux gagner, c’est sûr. Ce serait intéressant de mettre une caméra dans les casques des pilotes et tu verrais de vraies têtes de furieux.

Tu finis par prendre les choses très au sérieux, mais en te prenant au sérieux ?
Bonne question. Il y a des gens qui n’en font pas une et qui se prennent au sérieux. Il faut prendre les choses très sérieusement, même la rigolade. Faire rire les gens c’est un truc sérieux. Prends l’exemple de de Funès, c’est un travail fou. Pour aller chercher les rires, la bonne formule, la bonne rythmique. Tu mouilles ta chemise comme en course. Si tu sors sec de ta combi c’est un peu bizarre. Il faut donner de sa personne. J’ai commencé à véritablement travailler assez tard, quand j’ai commencé à écrire. Je me suis rendu compte que si ça marchait sur cette chaîne de télévision qui me mettait en lumière alors que j’étais juste un gentil comédien comme ça, c’était une chance pour moi. J’ai alors bossé comme un tordu, je passais toute la semaine sur mes textes. En course c’était pareil. Au début je n’étais pas sérieux, je travaillais en dilettante, dans pas mal de domaines. Paradoxalement, je me prenais plus au sérieux il y a 15 ans qu’aujourd’hui, alors que je travaillais moins sérieusement. On est un peu plus serein, on maîtrise un peu mieux les choses. On devient ce qu’on est.

As-tu des modèles, que ce soit du côté des pilotes ou de la comédie et de l’écriture ?
Ça a démarré par le gentleman driver qu’était Jean-Louis Trintignant. Et Gilles Villeneuve. Quand je voyais ses courses avec Pironi, c’était une époque de fous, de timbrés. J’étais très impressionné par ces mecs. Après, une autre génération avec le père Rosberg, Nigel Mansell ou Alan Jones. C’était une époque où je regardais beaucoup la F1. Puis y a eu les duels Prost-Senna…

Et aujourd’hui, tu suis toujours la F1 ?
Plus en tant que spectateur non.

Le rallye ?

Oui je suis ça de loin, mais je me suis concentré sur le circuit. Il y a aussi le Dakar, qu’on m’a proposé de faire avec Dany Boon, autre fou de bagnole. Il aurait fallu partir 2 ou 3 semaines, et ce n’était pas possible. En fait je ne veux plus consacrer de temps à ça si c’est au détriment de mon métier. Je ne sais pas si on peut avoir 2-3 vies de plus.

Tu pourrais refaire de la course sérieusement, si demain on te faisait une proposition ?

J’ai fait Top Gear l’année dernière, je me suis retrouvé dans cette bagnole et j’avais l’impression que j’allais jouer ma vie ! Sur un tour pour une émission et dans une poubelle, juste pour être le meilleur. L’esprit de compétition est toujours présent. Tu nous mets demain sur un circuit tous les deux et il n’est pas question que tu sois devant moi ! Compétiteur un jour, compétiteur toujours.
Si j’avais une proposition, bien sûr que j’irais ! Ça ne m’a pas lâché. J’ai fait une course il y a un an à Francorchamps c’est revenu dans la seconde. J’ai fait un tour de chauffe, j’ai reconnu mon circuit et après un demi-tour j’étais reparti comme avant! Et toi ça t’a lâché ?

Moi oui, j’ai refait une course cette année pour la première fois depuis 10 ans en Lamera Cup. Je roule juste en course historique sinon.

Et tu n’as as pas retrouvé le truc ?

Si, l’envie est là mais je n’ai plus envie de la pression de la course. Je l’accepte au théâtre mais plus en course. Il fait dire aussi que j’ai commencé plus jeune que toi, à 16 ans. Le parcours a été long, différent du tien. Mais j’aime toujours ça, c’est une passion.

Par contre, je n’irais jamais refaire une saison complète pour aller chercher les 2-3 dixièmes qui font la différence. Spa, on me le propose chaque année mais chaque année je me dis la suivante, la suivante, puis la suivante… Je n’irais en tout cas jamais chercher le risque ultime alors qu’avant j’en étais presque à jouer ma peau pour ça.

Tu es un passionné de voitures de tous les jours?
Passionné non, mais oui j’aime bien ça. Je suis content d’avoir une chouette bagnole. La je suis ambassadeur Mercedes, j’ai pu choisir sur catalogue. J’ai demandé: c’est possible ça? Ils m’ont dit non et j’ai dit alors c’est pas grave j’ai ma propre voiture. C’était la nouvelle GLC AMG et si c’était pour avoir un taxi diesel à la place, aucun intérêt. Et puis finalement ils ont acceptée de me passer l’AMG… Je l’ai reçue récemment, c’est très sympa. L’autre jour j’étais au feu, un automobiliste me hèle et me demande si c’est la nouvelle, et pourquoi elle a un biturbo. Je ne sais pas, pour avoir deux fois plus de PV sans doute…

Quel conducteur es-tu ?
Récemment on m’a prêté une 911, j’ai dû prendre 8 PV dans la journée !


Comme Français j’ai toujours été impressionné devoir à quel point les Belges aiment l’auto et le sport auto.
Je crois que les Belges ressemblent assez fort aux Anglais, chez qui cette passion est forte. En France on détruit assez vite ce qu’on a pu aimer. En Belgique les grands champions font partie du patrimoine, c’est culturel. On le voit avec Jacky Ickx, Gendebien ou de grands champions de rallye. En France, les pilotes sont peut-être plus vus comme des vedettes, et les vedettes ça passe de mode. Quand tu es dans un petit format, tu as aussi plus envie de grandir et de voir des figues émerger. Tu luttes contre ton complexe d’infériorité en faisant des trucs dans ton coin, et les autres se disent « Tiens, il y a des gens formidables en Belgique. Des chanteurs, des pilotes, des auteurs de BD… »

D’un coup, vous devenez aussi une référence en termes de comédiens ou de metteurs en scène.
La porte s’est ouverte avec les frères Dardenne et avec Poelvoorde. Ça avait déjà été le cas avec Brel mais comme un Français sur deux pense que Brel est Français c’est plus compliqué. Ce sont des mecs comme ça qui font que les Français se sont dit que la Belgique c’était autre chose que des frites et des boudins. Je l’ai senti en étant dans leur sillage. C’est grâce à Cannes que les Dardenne sont devenus les Dardenne. Et « C’est arrivé près de chez vous » aussi. Les Français nous attendaient, il y a de la place pour nous.



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