Zéro de conduite ? C’est lui-même qui le dit. Avant de devenir le plus grand pilote de rallye de tous les temps, Sébastien Loeb a d’abord été un peu zonard, résigné et même l’ennemi public n°1 des routes de sa région.
L’instinct, le talent, le génie… Sébastien Loeb est doté de toute la panoplie du sportif de haut niveau. Généralement, ces attributs ne suffisent pas à faire un champion. Quelle que soit la discipline, il faut commencer au berceau, parfaire ses gammes, travailler, encore travailler, toujours travailler. Lui se différencie des autres extraterrestres au moins sur deux aspects. Déjà, il a débuté réellement son apprentissage à 18 ans passés. Autant dire, un vieillard, face à certains de ses collègues qui évoluaient déjà en F1 à cet âge. Et encore, avec pour seul terrain de jeu les routes, et plus particulièrement les ronds-points, de son Alsace natale. Sans professeur, sans méthode, sans budget… et avec les flics au train ! Sans cervelle ajouterait-il, comme pour signifier qu’il ne retire aucune fierté de ce parcours atypique (voir encadré Loeb express). Son autre particularisme est cette fois purement comptable : neuf titres de champions du monde, soit l’un des plus beaux palmarès de l’histoire du sport, toutes disciplines confondues. Comme quoi… Pour Car Life, nous nous sommes rencontrés à Genève. Un long entretien avec le bad boy devenu fréquentable, mais pas encore rangé des voitures.
A 23 ans, Vettel et Hamilton étaient déjà champions du monde de F1. Au même âge, vous n’aviez même pas encore fait un rallye.
Oui, je sais. Eux ont commencé le pilotage au berceau, en karting. Moi, je n’étais pas issu du milieu du sport automobile. A part faire le con de temps en temps dans les champs ou aller faire un tour avec la voiture d’un copain, je n’ai pas fait grand-chose avant mes 18 ans. Et le peu que j’ai fait, ce n’était pas du pilotage, juste le plaisir de rouler. Il y a eu les courses de mobylette avant, il fallait avoir un peu de feeling, de pilotage, de vitesse, mais voilà, c’est surtout à partir de 18 ans, quand j’ai eu mes premières voitures, que j’ai réalisé que j’avais un feeling supérieur à la moyenne. A partir de là est vraiment venue l’envie de faire quelque chose.
A part faire le con dans les champs ou avec la voiture d’un copain, je n’ai pas fait grand chose avant mes 18 ans
C’est quand même assez atypique comme formation : pas de professeur, pas de méthode, pas d’objectif…
C’est pire que ça, je ne savais à peine que pilote automobile pouvait être un métier. Donc, je ne considérais rien de tout ce que je faisais comme une formation. Je n’avais aucune ambition. Quand avec ma R5 GT Turbo, je m’entraînais à passer toujours au même endroit le plus vite possible, ça ne me servait à rien. A part bruler de la gomme, des plaquettes et de l’essence. C’est juste que ça m’amusais et que ça faisais passer le temps. Mais en fait, c’est là où j’ai appris, en répétant inlassablement les mêmes enchaînements, les mêmes exercices jusqu’à ce que ce soit parfait. En rallye, c’est souvent comme ça qu’on débute.
Votre premier contact avec la compétition s’est matérialisé comment ?
Tout a commencé avec l’opération Rallye Jeune organisée par Peugeot. On était toute une bande de copains et je voyais bien que je roulais mieux que les autres, mais je n’avais pas les moyens de me payer une voiture de rallye. Avec cette opération, il suffisait de prendre une inscription dans une concession Peugeot, on payait 100 francs (15 €), puis on participait à des sélections pour gagner une saison. C’était idéal pour quelqu’un comme moi. Bon, je n’ai pas gagné pour différentes raisons, mais c’est là que je me suis fait repérer.
La passion de la vitesse, vous l’avez depuis toujours, mais ça ne suffit pas à faire un champion.
Non, bien sûr, il faut aussi et surtout du talent. En vacances, à 8 ans la seule chose qui m’intéressait, c’étaient de faire de la mini-moto. Bien sûr, ce n’est rien par rapport aux milliers de kilomètres accumulés par les gamins qui font du karting en compétition. La passion du pilotage, je l’avais en moi, mais je ne l’ai compris qu’à 18 ans. Si mes parents avaient eu les moyens de me mettre sur un karting à 6 ans, peut-être aurais-je fait de la F1, peut-être je n’aurais rien fait, parce que je serai parti dans des impasses, je n’en sais rien du tout. En rallye, c’est plus le talent naturel qui parle, c’est du pilotage d’improvisation. C’est pas du « par cœur ». On a vu avec Räikkönen, qui n’a jamais rien réussi chez nous. Kubica a peut-être un peu plus de capacités d’adaptation mais Ogier, il est arrivé comme moi, de nulle part à 24 ans. Le rallye, c’est quand même très spécial. Quand on voit Latvala, qui a été mis très tôt dans une voiture, il est bon, mais combien de « boîtes » (d’accidents) il s’est mis ?! Il était en mondial à 18 ans et peut-être qu’il n’avait pas la maturité pour faire un bon pilote de rallye, qui permet par exemple d’éviter le piège caché sur la route, comme moi ou Ogier.
Maintenant que je fais du circuit, c’est la première fois de ma vie que je dois travailler
Ca va avec Ogier maintenant ?
Oui, ça va. Ca toujours été à peu près. Il y eu une période un peu tendu qui était normale.
Revenons aux débuts pétaradants sur route ouverte. C’est à ce moment-là que vous êtes devenu l’ennemi public numéro 1 pour tous les gendarmes de la région.
Un petit peu, oui.
Vous les revoyez vos gendarmes préférés de l’époque ?
Non, très peu. Si, il y en a un, que je n’aimais pas d’ailleurs. Il m’envoie des mails régulièrement, notamment des blagues alsaciennes qu’on trouve sur Internet. Mais bon, je ne vis plus là-bas, donc je les croise moins.
Ca vous arrive de rouler lentement ?
Oui sur la route de tous les jours, on n’a pas le choix. Jusqu’à maintenant, j’avais toujours besoin de mon permis. Moins maintenant, mais en rallye, si on vous supprime le permis, vous ne pouvez plus participer. Et en Suisse, ça ne rigole. En France, j’ai la chance que ceux qui m’arrêtent soient fans, et du fait que je suis pilote de rallye, ils tolèrent un peu plus. En Suisse, rien à faire, ce n’est même pas la peine de discuter : 32 km/h d’excès et je rentre à pied.
Vous apportez quoi à l’équipe ? Muller, votre équipier cette année en WTTC dit que vous abordez la course de façon très relax alors qu’en circuit, il faut avoir une approche plus scientifique
Maintenant, je comprends que c’est une des premières fois de ma vie qu’il faut que je travaille ! Effectivement, il faut une approche un peu plus scientifique, il faut regarder les acquisitions de données, les datas. Ca se fait tout seul avec les ingénieurs qui me disent dans le virage 4, Yvan passe 3 km/h plus vite que toi à la corde, tu devrais essayer de mettre gaz un poil plus tôt. En circuit, la difficulté, c’est réussir à tout mettre bout à bout pour faire un tour parfait. En rallye, les choses se font naturellement, je ne me suis jamais posé de question.
Le circuit c’est plus fastidieux ?
Il ne faut faire aucun faute, ne jamais se relâcher. En course, on fait une toute petite erreur dans un virage, une petite glissade et au virage suivant, votre adversaire est à côté. En rallye, on se rate un peu dans une courbe, c’est pas grave, on se rattrape plus loin. Nos voitures ne sont pas très puissantes, il faut être très fin, c’est très compliqué à conduire. Un gros proto, avec l’aérodynamique, c’est tellement collé par terre, une fois qu’on a compris à quelle vitesse ça passe, bon ça passe. Là on est toujours en train de se battre avec la voiture, sur le fil du rasoir.
M’investir dans la sécurité routière ? Ah non, c’est vraiment pas ma passion
Et les départs en peloton ?
J’ai trouvé que c’était très aléatoire. Soit ça se passe bien, soit tu te fais taper par l’arrière alors que tu n’as fait aucune faute. En rallye, au départ de la dernière spéciale, si je suis en tête du rallye et que j’ai décidé de gagner, à 99% je gagne. Là, même si tu es pole et que quelqu’un t’envoie hors-piste, c’est terminé.
Les approches sont différentes également ?
Oui, il y a une tension beaucoup plus forte sur un départ de course en circuit. En rallye, ce sont des épreuves spéciales. Tu joues rarement tout, là. Si tu ne sens pas bien le premier virage, tu en gardes un peu sous le pied, tu peux gérer. En circuit, c’est tout, tout de suite, il y a du monde autour, ça demande une concentration différente, une attention sans faille, avoir le bon réflexe au bon moment. Beaucoup de feeling aussi, mais un feeling différent de ce que je connaissais jusque-là, et surtout une grosse expérience. Quand je vois Yvan (Muller, son équipier chez Citroën cette année), il est dans la ligne droite, à 100 m du point de freinage, il regarde dans le rétro, il sait très bien si le type va l’attaquer ou pas. Moi aujourd’hui, je n’ai pas encore tout à fait cette notion. Si le type est proche, je vais regarder dans le rétro avant, mais aussi peut-être dans le virage, ce qui me fera faire une petite faute. Donc, il faut que je me cale encore un peu sur ces petites techniques de concentration.
Avoir fait les 24H du Mans, ça doit vous aider ?
Non, pas vraiment. Au Mans, il y a de telles différences entre les voitures qu’il n’y a pas ce genre de problème. Si tu rentres au box avec une roue en moins parce que tu as tenté un freinage suicide, le patron va te dire que tu es un idiot. Donc, tu gardes une petite marge. C’est plus la Porsche Cup et le GT qui m’ont permis d’acquérir de l’expérience en peloton. La quantité d’heures passées en piste au Mans, c’est toujours bon à prendre, mais la bagarre, c’est plus la Cup et le GT.
Vos nouveaux petits copains du WTTC vous attendent un peu plus qu’un autre pilote ?
C’est sûr (silence, puis rires). Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? Les types vont vouloir faire le freinage à Sébastien Loeb. Moi je vais faire mon boulot au mieux. Après c’est la vie…
Le WRC, c’est terminé ?
Oui, ma priorité c’est le WTCC. J’ai encore des choses à apprendre. Je n’attaquerai aucun autre projet en même temps. Je pourrai faire peut-être une course de GT de temps en temps, mais pour le moment aucun investissement genre Dakar, Pikes Peak ou Le Mans.
Question désagréable, on peut encore progresser à 40 ans ?
Quand on part de 0 et qu’on est mauvais à la base, oui. Sérieusement, je pense que c’est possible, en tous cas, je n’ai vraiment pas l’impression d’avoir perdu.
Muller dit qu’il est peut-être un peu moins rapide, mais qu’il n’a jamais aussi bien conduit qu’aujourd’hui, à 44 ans.
Lui, il est toujours dans les bons plans. C’est la référence. En WTCC, il y a deux manches. Quand vous remportez la première, vous partez 10e de la seconde. Yvan, dès les premiers virages, il a déjà gagné cinq ou six places.
Maintenant que vous êtes plus sage sur la route, comment jugez-vous les limitations de vitesse. Généralement, les pilotes disent toujours la même chose : les limitations de vitesse sont injustes, etc. Et dans le même temps, ils disent que les gens conduisent plutôt mal. Il y a là une contradiction.
Ben oui. Il est prouvé que ça réduit le nombre d’accidents, même si c’est effectivement chiant. C’est sûr que certains conducteurs sont déjà dangereux en respectant les limitations de vitesse, donc il ne faut surtout pas qu’ils roulent plus vite. Oui, il faut niveler par le bas, c’est la vie. Et après si on veut se faire plaisir, on fait de la course.
Plus tard, vous vous voyez remplir des missions de sécurité routière auprès de la FIA ou d’associations, notamment en termes de communication ? Vous êtes plus crédible que n’importe qui.
Ah, c’est pas trop ma passion, mais j’en fait déjà avec la FIA. Bien sûr, sur le principe, je ne suis pas contre, mais il faudrait que j’ai plus de temps. Là, en ce moment, c’est vraiment compliqué. Mais surtout, il faut y croire. On ne me fera jamais m’exprimer sur une chose à laquelle je ne crois pas.
Ce qu’ils disent de lui
Son premier copilote
« Soit ce type est fou, soit c’est un génie. »
Daniel Elena, son copilote historique
« En 1999, nous n’avions pas de quoi nous payer un sandwich ou un café pendant les reconnaissances, et nous dormions dans la voiture pour économiser les nuits d’hôtel. Nous étions dans la galère mais nous étions motivés à bloc pour nous en sortir ensemble. »
Daniel Elena
« Je ne sais pas ce qu’aurait été ma vie sans toi. Je serais peut-être toujours mécanicien diéséliste sur le port de Monaco, ou en train de bosser au Yacht Club avec mon pote Dong. Je m’en fous, je préfère ne pas savoir. De ton côté, tu aurais eu le même parcours sans moi, car tu as un don, un talent surnaturel et tu es un perfectionniste qui bosse beaucoup. »
Ari Vatanen, légende du rallye
« Jacky Jung, organisateur du rallye d’Alsace, m’avait appelé en 1999, quand j’étais jeune député européen, pour me dire : “Ari, il y a un jeune pilote que j’ai envie de te présenter, il pourrait être champion du monde un jour.” Et je lui réponds : “Jacky, des futurs champions du monde, j’ai dû en rencontrer 75 !” Il insiste, j’accepte un petit déjeuner à l’hôtel, et, là, le jeune Loeb ne parlait pas et me regardait avec des yeux grands comme des billes ! Aujourd’hui, c’est moi qui le regarde comme ça ! »
Guy Fréquelin, ancien patron de Citroën Sport
« Loeb est un garçon réservé. Il ne dit pas ce qu’il va faire, mais il le fait. »
Eric Hélary, son équipier aux 24 Heures du Mans en 2005
« Une telle foule a entouré le stand pour l’arrivée de Seb qu’on croyait courir avec Michael Jackson ! »
Soheil Ayari, son équipier aux 24 Heures du Mans en 2005
« C’est impressionnant sa façon de rester calme malgré cette cohue ! En plus, Le Mans n’est pas vraiment un circuit à découvrir stressé ! »
Henri Pescarolo, ex-pilote, patron d’écurie
« Loeb est un pilote surdoué qui peut gagner avec n’importe quoi, enthousiaste, travailleur. Il gagne beaucoup d’argent mais il s’en fout, ce n’est pas sa motivation, il conduit avant tout par passion. »
Surinder Thatthi, membre de la FIA
« Je dois exprimer mon opinion concernant la bien piètre apparence de Sébastien Loeb hier à la télévision. Pas rasé, la tenue dépenaillée, les cheveux pas coiffés… Cela est inadmissible quand on est vu par des millions de personnes à travers le monde, et notamment des enfants. »
Jari-Matti Latvala, pilote de rallye
« C’est un champion, mais il n’en a jamais fait tout un plat. Il a toujours su garder les pieds sur terre, et c’est pour moi la marque des grands. »
Sébastien Ogier, champion du monde des rallyes
« Loeb était le modèle à suivre, celui [qui] m’a inspiré, l’homme à battre. Moi qui faisais ma place, c’était génial en 2011 d’avoir le même matériel, la même équipe. L’objectif était de me mesurer à lui et d’essayer de le battre, c’est ce qui est beau dans le sport : détrôner le champion en place. Finalement, je n’en ai pas eu l’occasion à cause de ma jeunesse et mon inexpérience d’abord, qui m’ont fait faire quelques erreurs, puis également à cause de ces consignes. »
Yvan Muller, quadruple champion du monde WTCC (2008, 2010, 2011, 2013)
« Je souhaite vraiment que ça se passe bien avec Sébastien. Il a une très bonne faculté d’analyse et, de fait, progresse vite. Vu sa position chez Citroën, il aurait pu demander un autre pilote que moi comme coéquipier. Après, cela prouve son intelligence. Car, en circuit, il a tout à gagner. Rouler avec le champion du monde en titre est aussi une façon d’apprendre plus vite. »