Agnès Botte-Thomas
Romain Grosjean : « en France on a trop peur de dire « je suis le meilleur » »

En début de saison, Romain Grosjean effectuait, aux yeux de beaucoup, un saut dans l’inconnu en signant avec l’écurie américaine Haas F1. Le pilote est aujourd’hui aussi une personnalité, ambassadeur de la marque Jaguar. Rencontre avec un trentenaire serein et ambitieux.

A Car Life Magazine, nous aimons bien découvrir le moment clé d’un destin, ce moment qui vous fait basculer dans ce qui fait votre vie aujourd’hui. Quel a été cet instant pour vous ?

Mon « destin » a commencé dans le ski à la base. Mon grand-papa était vice- champion du monde de ski en 1950… et puis mon père lui, était passionné de voitures et de sport automobile. Il m’a emmené sur des slaloms quand il en faisait un petit peu et puis ensuite à Dijon Prenois voir une manche du championnat suisse et je suis tombé amoureux des voitures, là. Et puis j’ai reçu un kart pour Noël en 1996, en 1997 je commençais le kart pour le plaisir et en 2000 la compétition…

Et il n’était alors plus question de ski…

Non, il n’y avait plus de ski, mes parents n’ont pas voulu que je continue dans le ski pour différentes raisons, il fallait trouver une autre passion et c’est comme ça que j’ai fini dans la voiture !

Vous êtes d’origine suisse, ce n’est pourtant pas une terre de Formule 1 ou de très grands champions automobiles …

Oh il y a eu Clay Regazzoni, Jo Siffert… Moi je suis franco-suisse, je suis né en Suisse j’ai grandi en Suisse après, j’ai aussi la nationalité française, et j’ai commencé le kart en France juste à côté de Genève, donc c’est vrai que je me sens comme un pilote français et après comme un homme… entre les deux !

Mais vous n’aviez pas des idoles, des références quand vous étiez petit ?

Moi j’ai commencé à regarder la course auto un petit peu avant 8 ans, donc c’était les bagarres Prost-Senna… Je commençais à regarder la Formule 1, 1992, 93, 94. Mes cousins étaient plus pour Senna, moi j’étais plus pour Prost parce que j’étais français… mais après Senna, on ne peut pas ne pas l’aimer, donc c’était compliqué de choisir l’un des deux à cette époque !

Aujourd’hui si je n’étais pas pilote de F1, je serais probablement ingénieur aérodynamicien !

Vous avez donc commencé à regarder tout ça à un moment où il y avait des grands noms sur le circuit…

Comme tous les enfants qui commencent à regarder un sport… si vous voulez faire du tennis aujourd’hui, on regardera Nadal/Federer/Djokovic, à l’époque quand on regardait la Formule 1 c’était Prost/Senna. Après il y a eu l’ère Schumacher, Hakkinen, re-Schumacher…

Quels souvenirs gardez-vous de votre début de carrière ?

J’ai commencé relativement tard la compétition en karting par rapport aux autres parce que j’avais presque 14 ans quand les enfants commençaient plutôt vers 8/9 ans, donc j’avais beaucoup de choses à apprendre en peu de temps, et le karting n’a jamais été simple pour moi. Ensuite je suis passé à la voiture… et j’étais meilleur en voiture qu’en karting !

En 2009, pilote de réserve chez Renault. Entourant Flavio Briatore, les titulaires de l’époque, Fernando Alonso à gauche et Nelson Piquet Jr à droite.

Et vous saviez déjà où vous vouliez aller ?

Non, c’était pour le fun jusqu’à très tard, je suis resté à l’école jusqu’au passage de l’équivalent du bac scientifique en Suisse, ensuite j’ai pris une année sabbatique et c’est début 2008 que je me rends compte que j’ai peut-être une chance d’aller en Formule 1. Donc c’est relativement tard… j’ai passé le bac en 2005, 2006 année sabbatique, 2007 je travaille à mi-temps dans une banque et je fais le championnat d’Europe de F3, et 2008 je cours en GP2, l’antichambre de la F1.

Dans le métier de pilote qui est le vôtre, doit-on dire aujourd’hui que vous n’avez que 30 ans ou que vous avez déjà 30 ans ?

Bonne question, je n’y avais pas pensé ! Moi j’ai envie de dire que je n’ai que 30 ans, parce qu’on peut faire de la Formule 1 jusqu’à 36/37 ans, après pourquoi pas les 24h du Mans. À 40 ans dans l’idéal j’aimerais arrêter. Voilà donc ça me laisse encore beaucoup de saisons devant moi !

Vous avez très souvent le sourire aux lèvres… c’est dans votre nature, ou vous avez un bon plan communication ?

Je n’en sais rien, c’est moi d’une manière générale. J’ai la chance de faire de ma passion mon métier, j’ai la chance d’être pilote de Formule 1, de me lever le matin en me disant que ce que je fais est assez extraordinaire, j’ai la chance d’avoir aussi une vie personnelle qui me remplit de bonheur, et du coup… voilà ! En plus sourire ça utilise moins de muscles que de faire la gueule !

Le patron de votre écurie, Gene Haas, dit de vous que vous avez un sacré caractère, vous êtes du signe astrologique bélier donc pas très étonnant…

Un bélier, avant de foncer, doit reculer ! Donc il faut réfléchir et après foncer dans l’idéal ! Je suis quelqu’un qui aime aller vite, ça tombe bien c’est mon métier, j’aime quand les choses avancent mais j’aime quand les choses sont bien faites aussi, donc je passe beaucoup de temps sur les week-ends de course à régler ma voiture, à travailler avec les ingénieurs, pour que derrière justement on puisse aller encore plus vite.

Je suis franco-suisse, je me sens comme un pilote français, et comme un homme… entre les deux !

Les regrets, les remords, vous en avez ?

Non, quand je prends une décision, je réfléchis et je la prends en pleine conscience, et du coup, je n’en ai pas.

Et votre décision de signer chez Haas, comment l’avez-vous prise ?

Avec ma femme et un ami très proche. Après, ça a été relativement rapide, parce que la décision, je l’ai prise en trois jours.

Vous êtes très impliqué donc dans la technique de votre auto, c’est nouveau ?

J’ai toujours été comme ça, et si aujourd’hui je n’étais pas pilote de Formule 1, je serais probablement ingénieur aérodynamicien, donc juste de l’autre côté du bureau finalement ! C’est quelque chose qui m’intéresse, j’aime comprendre, j’aime analyser, et c’est extrêmement satisfaisant de trouver les solutions aux problèmes. Aujourd’hui comme on est dans une nouvelle équipe et qu’il y a beaucoup de travail, il y en a encore plus à faire.

Une façon aussi peut-être de penser à l’avenir ?

Non, le jour où je ne serai plus pilote je partirai sur d’autres domaines…

Votre vie de pilote au quotidien, c’est une vie difficile ?

Encore une fois je ne vais pas me plaindre parce que j’ai la chance d’être pilote de Formule 1 et de faire ce que j’aime le plus au monde… maintenant oui, on est le 20 avril (ndlr : date de l’interview), j’ai déjà passé 110 heures dans les avions depuis le 1er janvier, ça fait cinq jours, et on est qu’au mois d’avril et la saison a commencé le 15 mars ! On a le décalage horaire, on est loin des siens six mois par an, mais quand je rentre à la maison je sais que mes enfants me voient heureux… Après, on a tout le travail derrière, on a toute la pression qui va avec un métier où on n’a jamais de cdi, il faut toujours essayer de s’améliorer, d’être au super niveau, des moments où on est super fatigués avec le décalage horaire, il y a des opérations qu’on a pas forcément envie de faire, mais voilà il faut les faire…

C’est une pression énorme j’imagine…

C’est une pression importante mais qui est là depuis qu’on est professionnel donc elle fait partie de notre métier.

Vous êtes ambassadeur Jaguar… pourquoi pas plutôt Ferrari par exemple puisque la Scuderia est proche de votre écurie ?

Avec Jaguar, on a commencé à faire des choses très sympas ensemble l’an dernier, c’est une marque bien évidemment que je connais depuis des années pour avoir vu les 24h du Mans avec la Jaguar Silk cut, et puis c’est une marque que j’aime, parce qu’aujourd’hui les voitures sont très belles, me correspondent. Entre la XF et la F-Pace, voilà, c’est typiquement les voitures qui vont parfaitement dans ma vie.

Et puis en plus de ça on fait de belles choses pour les enfants avec l’association dont je suis le parrain Enfance & cancer, c’est quelque chose qui est extrêmement important pour moi.

Le pilote c’est la vitrine de la Formule 1

Comment êtes-vous venu à cette association ?

C’est la présidente qui m’a appelée quand Marion (ndlr : Marion Jollès Grosjean, l’épouse de Romain) était enceinte donc ça devait être début 2013. Comme l’association est franco-suisse et que je suis franco-suisse elle a pensé à mon nom pour devenir parrain et ça a été avec grand plaisir.

Reprenons un peu la route, quel genre de conducteur êtes-vous ?

Je fais attention… Vingt-et-une fois par an je conduis les voitures les plus rapides du monde, les voitures qui procurent le plus de sensations et ce n’est pas pour aller mourir sur la route. J’ai toujours fait plus ou moins attention, et je suis respectueux.

Et quel regard portez-vous sur les autres automobilistes ?

C’est difficile pour moi de juger parce que c’est mon métier ! Je vais tourner la question différemment : moi ce que j’aimerais c’est que pour passer le permis de conduire on ait une demi-journée sur un circuit pour apprendre aux gens des réflexes et des choses simples : quand une voiture part en tête-à-queue parce qu’il y a une plaque de glace, pourquoi ne pas piler les freins dans un virage, des choses qui pour moi sont tellement simples à comprendre et à ne pas faire, j’aimerais qu’on l’explique aux gens. Quand on voit par exemple des gens dans des grands virages sur autoroute, et qui se font peur parce qu’ils vont peut-être un peu trop vite, monter sur les freins c’est la pire chose à faire, ça déstabilise complètement la voiture. Juste donner quelques bases aux gens quand les conditions sont changeantes ou piégeuses pour pouvoir mieux récupérer la voiture.

Et la politique de sécurité routière qu’est-ce qu’elle vous inspire ?

Je la laisse aux gens qui savent le faire. J’ai une opinion mais je suis sportif, mon opinion n’est pas importante là-dessus.

Pour parler d’avenir sur les routes, la voiture autonome, c’est la fin du métier ?

Ce sera pratique pour répondre aux emails quand on sera en route mais le plaisir de conduite pour moi est encore important, tu montes dans une belle voiture, tu as les sensations d’avoir le volant, c’est plaisant, donc la voiture autonome, oui et non !

Vous croyez que c’est pour « demain » ?

Non. C’est rigolo avec ma femme l’autre jour sur la route je me posais la question, je lui disais : tu crois qu’on verra les voitures autonomes ou pas ? Je crois que non, je ne sais pas en fait…

Il me semble qu’on en est pas si loin…

Sauf que, par exemple, entre les voitures qui sont autonomes et celles qui ne le sont pas, comment va se faire la cohabitation ?!… Je ne sais pas si on les verra ou pas !

Alors restons pour l’instant sur les circuits ! Votre saison en Formule 1 se passe bien ?

Oui ça va, c’est un beau projet, une belle aventure, on a commencé la saison sur les chapeaux de roues, bon la Chine nous a un peu ramené les pieds sur terre en nous montrant clairement que la Formule 1 ce n’est pas facile mais je pense que c’est une expérience négative sur le moment mais positive finalement qui va nous permettre de se poser les bonnes questions et de travailler à partir de là. Avoir marqué les premiers points de l’équipe au championnat du monde, c’était quelque chose qui me tenait à cœur, qui plus est une équipe américaine, ça faisait trente ans qu’il n’y en avait pas en Formule 1 !

On sait que la Formule 1 n’est pas un long fleuve tranquille, qu’il existe certaines tensions et baisse de popularité. Si, dans un autre monde vous étiez Jean Todt et Bernie Ecclestone réunis, que prendriez-vous comme décision ?

En ce moment la Formule 1 est en grande réflexion pour essayer de comprendre ce qu’on peut faire de différent, de mieux pour que le sport soit suivi un petit peu plus ! Honnêtement, nous les pilotes, nous sommes tous associés assez fortement pour essayer d’aider en donnant nos opinions. Il n’y a pas de baguette magique pour le moment. On a des études qui ont été faites auprès des fans pour essayer d’analyser un maximum de données et comprendre ce qu’il faut changer, et je crois que d’une manière générale, ce que les gens veulent voir, c’est que ce soient les meilleurs pilotes au monde dans les voitures qui vont les plus vite.

Finalement le pilote est la vitrine… si on sort tous des voitures en s’étant marré, en ayant pris du plaisir, en ayant fait une bonne course et en voyant qu’on a tout donné, je pense que le téléspectateur va plus apprécier que si on sort des voitures pas forcément de bonne humeur, qu’on ne s’est pas amusé et que ça se voit ! On veut les meilleures voitures, les meilleurs pilotes, les meilleures technologies et on veut le meilleur spectacle !

Etes-vous plus fort que Sebastian Vettel ?

(Rire) C’est une bonne question : Ah ! Je pense que si on ne croit pas qu’on est le meilleur ça ne sert à rien d’essayer d’être champion du monde !

J’allais vous demander quel est le pilote le plus rapide !  C’est vous donc…

Y a des jours… Y a des jours ! Oui, il faut croire qu’on est le meilleur et ne pas avoir peur de le dire. On a trop peur en France de dire « oui je suis le meilleur, j’ai envie d’être le meilleur », alors qu’aux Etats-Unis on a tout à fait le droit de le dire. Aujourd’hui, oui, si je suis en Formule 1, c’est pour être le meilleur, j’aime la compétition, j’aime battre les autres et c’est pour ça que j’y vais.

Vous vous êtes essayé à d’autres disciplines comme le Trophée Andros…

Oui, c’était pour le fun, c’est avec des gens que j’aime beaucoup, la famille Dubourg, c’est retrouver des gens qui sont passionnés de sport automobile et c’est une discipline pour s’amuser et où je m’éclate bien !

Et peut-être bientôt la Nascar aux Etats-Unis avec votre écurie ?

Ce n’est pas impossible. Il faut que j’essaie car c’est quand même assez différent de la Formule 1, mais ça peut être rigolo !

Pour avancer, vous avez bénéficié des conseils de Jean Alesi…

On avait un ami en commun qui nous avait présenté, on habitait tous les deux à Genève, parfois on allait faire des treks ou de l’entrainement physique ensemble et c’était intéressant pour moi d’avoir quelqu’un d’expérience qui me parlait, avec qui j’avais la chance de discuter, et c’est ce que je fais aujourd’hui avec un petit pilote suisse Louis Deletraz, qui a gagné sa première course donc c’est cool.

Quelle est votre méthode pour l’aider ?

C’est des conversations comme ça, ça peut être de tout et de rien. Je ne suis pas un coach, mais je suis là quand il a des questions, comment je peux améliorer ça, comment je peux faire ci, est-ce que c’est normal, combien de sport tu fais par semaine, etc…

Une forme de transmission, comme avec Jean Alesi…

Oui, c’est important d’avoir la confiance de quelqu’un qui est au sommet de son sport.

Et avoir sa marionnette aux Guignols de l’info sur Canal Plus, comme Jean Alesi d’ailleurs ?

C’est pas une vraie ! Et ça fait un moment que je ne suis pas passé… depuis l’épisode du supermarché et l’accident de chariot (ndlr : en 2012, avec l’écurie Lotus et après des incidents de course). Non mais ça m’a fait rire, j’ai éclaté de rire, je l’ai même publié sur ma page Facebook ! Etre aux marionnettes des Guignols, c’est déjà quelque chose… et puis je suis le premier à me foutre de moi !



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