Agnès Botte-Thomas
Nicolas Prost : « il aurait été dommage que la rivalité entre Senna et mon père n’existe pas »

Nicolas Prost, trente-cinq ans, se partage aujourd’hui entre l’endurance avec le team Rebellion-Racing et le championnat de Formule E dans l’équipe e-dams. Etre pilote quand on s’appelle Prost, toutes les apparences d’une évidence. Mais l’histoire se révèle bien plus particulière.

Nicolas, vous êtes pilote et vous voilà héros de bande-dessinée dans le nouvel opus de Michel Vaillant qui vient de sortir et qui porte le nom de votre écurie en endurance, « Rebellion » ! Et l’action se déroule aux 24h du Mans !

Je suis très ami avec la famille Graton (ndlr : auteur de Michel Vaillant), donc cela fait très plaisir d’être dans la BD de Michel Vaillant. Je dis souvent que Michel Vaillant, c’est pour moi une marque emblématique du sport automobile francophone. C’est légendaire. C’est vraiment sympa d’avoir ce lien entre la BD et la vraie course.

Je trouve que mon personnage de BD me ressemble ! Ce qui est drôle c’est que je retrouve dans certaines images des scènes de ma vie réelle, ils ont dû utiliser des photos de moi comme modèle ! C’est assez rigolo de se retrouver dans une BD !

C’est une belle histoire et quand on voit l’impact qu’a le projet Vaillant-Rebellion, c’est assez impressionnant. Je ne l’imaginais pas à ce point !

Quittons la fiction un instant, le moins que l’on puisse dire, c’est que votre parcours de pilote n’est pas classique !

C’est vrai, je n’ai jamais fait de karting, j’ai fait des études d’abord et mon cadeau de fin d’études c’était de faire un test en Formule Renault. Cela s’est très bien passé, mais quoiqu’il en soit, il fallait que je termine mes études avant de courir. Après mes études, j’ai donc suivi la filière FFSA au Mans, j’ai fait la Formule Campus. Ensuite j’ai eu un parcours disons assez classique en monoplace, deux ans de Formule Renault, deux ans de Formule 3, puis la F300 où j’ai gagné en première année, et là pour le coup c’est vrai que j’étais assez « âgé », j’avais quand même déjà 27 ans quand j’ai gagné la F3000 ! J’ai eu quelques touches pour aller en F1 mais cela ne s’est pas concrétisé, du coup je suis parti sur l’endurance en LMP1. Ensuite je suis revenu vers la F1 en tant que pilote d’essai chez Renault, je suis resté six ans chez Renault et ensuite Lotus Renault. Après, en plus de la LMP1 j’ai fait le Trophée Andros, et quelques piges en GT. Puis la Formule E est arrivée en 2014. Et depuis, je suis surtout en Formule E et LMP.

Ce démarrage tardif n’est-il pas étonnant, surtout lorsque l’on porte le nom de Prost ?

J’ai toujours eu envie de faire de la course, mais mes parents n’étaient pas forcément pour, aussi bien mon père que ma mère. Petit, mes parents ne me laissaient pas regarder les courses, c’était très dangereux à l’époque et ils avaient décidé de ne pas me laisser regarder au cas où il arriverait quelque chose à papa. Ma mère étant institutrice, les études étaient très importantes à ses yeux. Je dirais qu’on m’a un peu tenu à l’écart des circuits au départ et en fait, à un moment, j’ai vraiment voulu savoir ce que je valais, et j’ai été plutôt très rapide dès mes premiers essais. C’est pour ça que mon père ensuite m’a beaucoup aidé pour devenir pilote, etc. Mes parents ne m’ont pas poussé à le faire, et honnêtement à dix ans on ne fait pas du kart tout seul. J’ai dû un peu me battre, mais je me rappelle que c’est même ma mère qui a dit « ce serait sympa comme cadeau de lui offrir l’école de pilotage ». Quand ils ont senti que cela venait de moi, mes parents n’ont pas non plus été contre.

Et il vous a alors fallu rattraper les autres…

Dans l’ensemble, au début j’avais zéro expérience par rapport à ceux qui avaient fait du karting, déjà roulé, donc les débuts étaient difficiles en termes de résultats. Après, en termes de vitesse, j’ai rapidement montré que je pouvais aller vite. Et je me dis que d’être capable, après avoir commencé une carrière à 22 ans, de se battre avec les meilleurs pilotes du monde en Formule E, qui ont pour certains commencé à cinq ans, c’est que je n’avais pas tout faux !

Maman à droite, papa au centre, et le petit Nicolas Prost à gauche.

Y a-t-il eu un déclic dans ce début de carrière qui vous a conforté dans votre choix ?

Au début je me disais, je veux vraiment faire ça, mais si je ne suis pas assez bon j’arrêterai. J’avais un des meilleurs diplômes en poche, je travaillais à côté dans une banque, donc si cela n’avait pas marché, je n’étais pas bloqué dans cette voie. La deuxième année de Formule Renault n’a pas été à la hauteur de mes espérances, ce n’était pas le moment le plus facile, mais en même temps la même année j’ai fait du GT où j’étais très rapide… L’année de F3 a été vraiment le déclic car j’arrive dans une catégorie très relevée, et là je me mets à faire des pole, je suis le meilleur rookie, je finis 4e du championnat en battant tous mes équipiers… La deuxième année a été très bonne, mes premières 24h du Mans se passent très bien… En 2007 je décide d’arrêter le travail à côté pour me consacrer à la course auto.

Et depuis 2014, vous courez en Formule E, un choix de conviction ? De circonstance ?

J’ai toujours été attiré par l’électrique, j’ai participé à l’Andros électrique, que j’ai gagné deux fois. La Formule E est un championnat très attirant, car quand on est pilote, on a toujours envie de faire de la monoplace. A l’époque, j’étais déjà pilote Lotus-Renault, donc assez marqué Renault. Jean-Paul Driot, qui m’a beaucoup aidé dans ma carrière, monte une équipe, papa est aussi dans l’équipe, donc tout se fait assez rapidement et simplement, et c’est une super opportunité. Tout m’attirait. On sentait que cela allait être un super beau championnat.

Moi qui ai grandi dans la nature, je suis assez écolo-intelligent, je sais qu’il faut prendre soin de la planète et qu’il faudra trouver des solutions pour le futur. L’électrique est une des solutions. En même temps que l’arrivée de la Formule E il y a eu un boum de la voiture électrique et je pense qu’on se rend compte que ce sera une des solutions à nos problèmes.

Quelles sensations ressentez-vous au volant d’une monoplace électrique ?

C’est toujours assez décevant comme réponse ! En fait, elle a des batteries assez lourdes, et les mêmes pneus pour sec et pluie. C’est dans l’esprit « vert » du championnat, on emporte très peu de pneus à chaque fois, mais ce ne sont pas des pneus avec un grip maximum. La voiture est un poil plus lourde et un poil avec moins de grip pneumatique qu’une monoplace normale. En revanche, le moteur électrique, finalement, hormis le bruit, fonctionne comme un moteur thermique voire mieux, il répond parfaitement à ce qu’on lui demande, on dispose de pas mal de capacités de réglage aussi bien à l’accélération qu’au freinage. Le moteur électrique en lui-même est optimum, le seul bémol étant son poids.

Mais pour le coup c’est une discipline où la stratégie est un élément clé ?

On ne nous donne pas toute l’énergie nécessaire pour faire toute la course. Il faut gérer la consommation la température, et ça, c’est aussi lié au règlement. Si demain il fallait 150 kilos d’essence pour faire une course et qu’on nous en donnait 100, ce serait la même chose !

Cela apporte quelque chose au show, car plus on ajoute d’inconnues dans l’équation, plus la course va être intéressante. Si on fait tous la course à fond, finalement on va être tous les uns derrière les autres, avec très peu d’écart, donc introduire des notions de stratégie, c’est vraiment très important et c’est pour cela que la Formule E offre un des meilleurs shows en ce moment.

Votre père dit au sujet des pilotes de Formule E que ce sont « les meilleurs pilotes du monde en dehors de ceux de la F1 ». Vous êtes d’accord ?

Disons qu’il y a un très très gros niveau de pilote, le niveau global est le meilleur derrière la Formule 1. En tant que pilote de Formule E, gagner une course c’est encore plus gratifiant car on sait qu’on a battu des équipes et des pilotes d’un super niveau. Honnêtement je prends vraiment beaucoup de plaisir.

Comment se positionne cet engagement en Formule E dans votre carrière ?

L’endurance est un sport d’équipe. Même si j’ai gagné beaucoup de très belles victoires en endurance, c’est une victoire d’équipe, c’est super sympa, mais c’est moins tourné sur la personne, on a moins l’impression d’avoir fait soi-même quelque chose de top ou d’exceptionnel. On sait qu’on a été aidé par les autres. Même si j’ai des supers souvenir (avoir gagné quatre fois en LMP1 privé, avoir gagné Petit Le Mans, etc), pour moi, d’avoir gagné trois courses en Formule E, d’avoir fini troisième du championnat, je pense qu’aujourd’hui c’est mon plus bel accomplissement dans ma carrière.

Etonnant comme réponse ! On pourrait penser que vous privilégierez l’endurance ?

Attention, ce n’est pas une préférence pour la Formule E par rapport à l’endurance. Mais en tant qu’accomplissement, on a vraiment l’impression d’un accomplissement personnel quand on est seul, en endurance on a l’impression d’un accomplissement d’une équipe. J’ai autant de plaisir à conduire en endurance qu’en Formule E. Mais quand on gagne tout seul, on est fier de soi !

Quelles sont les personnes qui ont compté et comptent encore dans votre carrière ?

Mon père, ma mère, mon frère, ma femme… tout ma famille qui m’a aidé… Jean-Paul Driot pour lequel j’ai déjà couru en World Series Renault… Ce sont des gens qui m’ont aidé à grandir pour être meilleur. Ensuite bien sûr Eric Boullier qui était à l’époque mon ingénieur chez Dams et qui m’a aidé à rentrer chez Renault F1. Bien sûr Alexandre Pesci pour lequel je conduis depuis maintenant neuf ans en endurance chez Rebellion, qui m’a donné mon premier contrat professionnel en fait. C’est incroyable de piloter dans une même équipe depuis neuf ans ! Et puis tous ces gens qui m’ont aidé dans les équipes, Hugues de Chaunac qui m’a fait courir mon premier Le Mans, Alfonso de Orleans ou Adrian Campos pour lesquels j’ai roulé en F3, Max Mamers pour le Trophée Andros… Tous ces gens ont joué un rôle important dans ma carrière. Et j’en omets bien sûr…

Vous avez roulé avec votre père notamment en Championnat GT en 2005, qui est le plus rapide ?

Ah ah ! Maintenant j’espère quand même que je roule plus vite ! Mais honnêtement il a de très beaux restes, ça m’intéresserait de le voir rouler à nouveau, il était encore extrêmement rapide du temps où on roulait en GT !

C’est tellement naturel de rouler avec lui, je m’entends tellement bien avec lui et on est tellement proches depuis toujours. J’ai roulé avec lui en GT, au Trophée Andros, et maintenant c’est mon patron un peu aussi chez e-dams… C’est naturel et on a une relation assez saine dans le sens où il m’a toujours dit les choses directement. Ca va toujours dans l’axe du travail et de la performance, mais j’ai toujours trouvé que c’était facile de travailler avec lui finalement, même si j’ai pu avoir des appréhensions, c’est vraiment top !

Vous a-t-on déjà traité de fils à papa ?

Bien sûr, je serai toujours le fils d’Alain Prost ! Au début surtout, on attire trop l’attention des médias, donc cela crée des jalousies, et elles sont peut-être justifiées car c’est vrai qu’on a trop d’attention par rapport aux résultats, à ce qu’on a accompli au début. Après, moi j’estime avoir fait mes preuves, j’ai gagné des courses, des championnats, je fais très bien mon travail, je suis professionnel, je n’ai pas la grosse tête, donc après c’est infondé. Du moment que moi je n’en ai pas grand-chose à faire, que je me concentre sur mon travail, et que les équipes me gardent dix ans comme c’est le cas, c’est que je dois quand même bien faire mon travail. De toute façon il y aura toujours des jalousies, j’ai plein d’amis dans le même cas, Nelson Piquet, Bruno Senna, qui sont d’excellents pilotes. Finalement, l’important c’est de faire des résultats et que les gens pour lesquels on travaille soient contents, c’est ça la réponse aux critiques.

Quand on est jeune, ce n’est pas tous les jours faciles, de toute façon le sport de haut niveau n’est pas un milieu facile, mais finalement cela forge le caractère, et c’est presque une bonne motivation.

Et la suite de votre carrière ? Vous avez des projets ?

Pour l’instant j’ai une belle visibilité, après on verra, peut-être du rallye-cross. Aujourd’hui j’ai déjà du mal côté temps à faire la Formule E plus le WEC donc je me concentre là-dessus. Après j’ai toujours aimé la glisse, donc un jour si je ne veux plus faire de circuit, Trophée Andros et rallye-cross ce serait quelque chose de bien !

Et il existe aussi 8jS, la griffe de prêt-à-porter lancée par votre frère et votre épouse. Vous êtes impliqué ?

C’est un projet un peu familial donc tout le monde est impliqué. Si cela grandit énormément, on aura peut-être besoin de tous s’y mettre à plein temps ! Ma femme est designer et comme nous sommes ensemble depuis très longtemps elle m’a emmené sur les chemins de la mode, du design… donc cela m’intéresse !

Au quotidien, vous êtes plutôt voiture moderne ou voiture ancienne ?

J’ai une voiture de fonction et un Twizy que j’adore ! Je vais beaucoup jouer au tennis avec mon Twizy ! Cela fait rire beaucoup de monde mais franchement c’est hyper cool quand il fait beau ! Après je n’ai pas de super voiture de sport car je n’ai pas le temps de les utiliser ! Je n’ai pas investi là-dedans. Sur la route au quotidien, je suis plutôt « safe ». Je suis souvent sur la route, il peut m’arriver de commettre un excès de vitesse sur l’autoroute, mais je ne suis pas dangereux.

Côté anciennes, je suis fan d’une Alpine, une vieille Porsche, une R5 Turbo, tout ça me fait rêver, en revanche je ne suis pas du tout mécanicien pour quoi que ce soit, je n’ai aucune qualité là-dedans, donc en fait, j’aime beaucoup les regarder mais en conduire ou en avoir une à moi, finalement ce n’est pas si simple que ça.

Globalement je suis plus attiré par les anciennes.

Quel regard portez-vous sur le monde automobile aujourd’hui ?

L’automobile aujourd’hui, c’est incroyable. Aller dans un salon auto c’est sympa, il y a des très belles nouveautés… La seule chose qui me choque, c’est que j’ai l’impression qu’on fabrique des autos de plus en plus lourdes. On veut réduire la consommation, avec des voitures beaucoup plus légères ce serait quand même plus logique. Le carbone coûte encore cher mais malgré tout je pense qu’on pourrait faire des voitures plus légères. Quand on voit qu’il y a vingt ans, sans les nouvelles technologies, une voiture pesait entre 700 et 900 kilos et qu’aujourd’hui n’importe quelle voiture fait 1 500 kilos, je dirais que c’est ce qui me choque le plus !

Par ailleurs, je crois en l’électrique. Quand on a une famille qui n’a qu’une voiture c’est peut-être plus compliqué mais en deuxième voiture, cela devrait presque être obligatoire. Quand on connait le problème de pollution dans les villes, c’est important ! L’impact global de l’automobile n’est pas si grand, les usines, l’agriculture polluent beaucoup plus, mais en ville c’est vrai que c’est un problème. Le prix reste encore élevé mais j’espère que les voitures électriques vont devenir plus accessibles.

Cette année, on croirait presque de la fiction comme dans la BD d Michel Vaillant, vous vous retrouvez au Mans aux côtés de Bruno Senna, le neveu d’Ayrton… Un Prost avec un Senna, la vie est étrange non ? Vous évoquez ensemble l’incroyable rivalité de votre père et son oncle ?

Bruno et moi, on se connait depuis dix ans, on en a un peu parlé au tout début, car on avait chacun besoin de voir comment chaque famille voyait l’autre. Finalement, la vision est très similaire : énormément de respect. Mon père et Ayrton, c’était tous les deux de très grands compétiteurs. Cette histoire, on sait très bien qu’elle a bien fini, qu’ils s’entendaient bien à la fin, que la hache de guerre était enterrée. C’est une tellement belle histoire du sport automobile que même les mauvais épisodes, on en rigole presque, ils ont écrit une si belle page, à se battre comme ça, que cela aurait presque été dommage que cette rivalité n’existe pas ! Et honnêtement, courir avec Bruno Senna c’est vraiment une belle expérience et une nouvelle page de l’histoire…



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