Thierry Soave
Michèle Mouton : « je suis allergique à la parité »

Tous les amateurs de sport automobile ont été amoureux un jour ou l’autre de Michèle Mouton. De la femme-sauvage quand elle pilotait en rallye, de la femme-sage aujourd’hui à la FIA, de la business woman quand elle organisait la Course des Champions, de la femme tout court certainement aussi pour certains d’entre eux. Au moment où les débats sur la condition féminine n’ont jamais volé aussi bas, échanger avec la vice-Championne du monde des rallyes est une belle bouffée d’air frais.

Michèle Mouton, vous avez fait bien plus pour la condition féminine que nombre de mouvements se prétendant défenseurs de la cause des femmes. En ce moment, on ne parle des rapports hommes-femmes qu’à travers le hashtag « Balance ton porc » ou le texte de Catherine Deneuve sur la liberté d’importuner. En auriez-vous signé un des deux ou aucun ?

Aucun.

Voilà qui est clair. On vous sent très détachée de ces considérations. D’ailleurs, dans la longue liste des femmes qui ont marqué l’Histoire, que ce soit dans la science, la politique, l’art ou le sport, rares sont celles qui se prétendaient féministe.

En effet, je ne le suis pas non plus… à un certain niveau les compétences prévalent sur le genre, femmes et hommes réussissant avec leurs affinités respectives ! Je suis présidente de la Commission des femmes à la FIA : nous ne sommes pas là pour mettre une femme à la place d’un homme, mais pour susciter des vocations chez des femmes dans le sport automobile. En cela, nos ambassadrices ont un rôle essentiel à jouer : donner envie et montrer que c’est possible. Alors bien sûr, dans l’idéal, je crois qu’il ne faut pas mettre de barrière, ni dans un sens, ni dans l’autre. Je suis contre la parité, je suis pour la compétence et contre toute forme de favoritisme d’un sexe par rapport à un autre. Et je ne suis pas féministe.

Donc, 50% de femmes au gouvernement ou dans une entreprise, décidé de façon arbitraire, ça ne vous convainc pas ?

Non, pas du tout. Pourquoi la moitié ? Pourquoi pas plus, ou pourquoi pas moins ? Je répète, c’est la compétence qui doit primer. Je suis allergique au terme de parité.

Mais n’est pas contradictoire avec votre mission à la FIA ?

Pas du tout. Le 7 mars prochain la Commission Femmes et Sport de la FIA va lancer officiellement une nouvelle initiative qui, nous l’espérons, aura un impact très positif sur la promotion des femmes en sport automobile. Soutenu par l’Union Européenne, ce projet est basé sur des sélections nationales pour des jeunes femmes de 13 à 18 ans. Les sélections se dérouleront dans 8 différents pays sur le format du karting slalom. Les épreuves se dérouleront dans des centres-villes où les jeunes filles pourront tenter leur chance sur le principe de « venez et essayez ». Nous espérons inspirer une nouvelle génération, non seulement sur la piste, mais aussi avec des initiatives éducatives sur la sécurité routière.

En 1977, une jolie jeune femme effectue les reconnaissances du rallye Monte-Carlo.

Vous avez une deuxième casquette à la FIA, qui est la principale, vous êtes manager du WRC.

Oui, mon rôle est de coordonner tout le championnat à la FIA, que ce soit au niveau des organisateurs, des relations avec les constructeurs, les manufacturiers, les partenaires, etc.

En tous cas, il semble que Jean Todt, qui à la base est un homme du rallye, fasse vraiment l’unanimité à la FIA.

Jean Todt a été mon patron quand j’ai couru chez Peugeot en 1986. Je pense qu’on n’a jamais eu un président aussi actif, autant pour le sport que pour la mobilité. D’un point de vue personnel, s’il n’avait pas été président, je ne serai pas à pas à la FIA aujourd’hui.

Il a dû vous convaincre ?

Il n’a pas eu à la faire, nous avions la même vision des choses. Il voulait développer le rallye et je savais qu’être avec lui, c’était être dans l’action. Il veut faire bouger les choses, il fait bouger les choses, même si ce n’est pas toujours bien vu. La priorité, c’est que le rallye se rapproche un peu plus des spectateurs, mais aussi d’être plus global, notamment en étant présent sur tous les continents.

Comment se porte le WRC en 2018 ?

Le mieux possible avec toujours quatre constructeurs et des bagarres de plus en plus serrées entre les pilotes. Il n’y a plus de domination d’un seul constructeur ou d’un seul pilote comme nous avons connu avant la nouvelle génération de voitures WRC.

Comment expliquez-vous que le rallye n’ait jamais provoqué à nouveau l’extraordinaire engouement des années 80, à l’époque où vous rouliez avec les Groupes B ?

Je pense qu’une erreur a été commise de vouloir faire du rallye un produit qui ressemble à la Formule 1 en termes d’ambiance, avec un parc d’assistance unique et quelques spéciales autour. Plus d’épreuve de nuit, plus de longues spéciales, plus de proximité avec le public. Et les amateurs ont été mis de côté aussi. Le rallye, c’est un sport populaire. Il faut que les gens puissent approcher les pilotes et les équipes dans les parcs d’assistance. Les voitures font également moins rêver. Aujourd’hui encore, quand je conduis l’Audi Quattro vieille de plus de trente ans, les gens sont enthousiastes, y compris des jeunes qui n’étaient pas nés à l’époque. En tous cas, nous essayons de faire évoluer les choses pour retrouver cet esprit.

En 1985, elle remporte l’épreuve la plus effrayante du monde : Pikes Peak dans le Colorado, la course dans les nuages.

Vous avez créé la Course des Champions. Comment avez-vous réussi à faire venir ce nombre incroyable de pilotes, de champions du monde, de superstars ?

La course a l’âge de ma fille : 30 ans ! C’est un travail de longue haleine. Même s’il s’agit d’un show, on a toujours essayé de faire les choses avec beaucoup de sérieux. Au final, c’est tout de même une véritable course, avec des pilotes qui partent à égalité sur des voitures identiques. L’ambiance y est très conviviale, mais quand vous êtes pilote et qu’on vous met un casque sur la tête, vous ne participez que pour gagner. Je pense que c’est ce mélange de sérieux et de décontraction qui nous a permis d’avoir les pilotes de Formule 1 à partir de 2004. En tous cas, ils nous disent qu’ils s’amusent beaucoup.

Revenons-nous à vos débuts. A quel moment naît dans l’esprit d’une jeune fille la passion du sport automobile au point d’en faire sa profession ?

J’ai toujours dit que je n’ai jamais été passionnée de voiture. Je suis passionnée de défis, quels qu’ils soient et je ne baisse jamais les bras. Il se trouve que je conduisais dès l’âge de 14 ans, mais jusqu’à 22 ans, je ne connaissais absolument rien au sport automobile. Je n’ai pas été élevée dans ce milieu, ça m’est vraiment tombé dessus par hasard. Un jour, un ami d’enfance qui participait à un rallye m’a demandé d’être sa coéquipière. Au bout de quelques courses, mon père commençait à être un peu inquiet parce qu’il voyait bien que mon pilote n’avait pas un gros budget et qu’il ne pouvait pas changer trop souvent les pièces de la voiture, les pneus, les plaquettes de freins, etc. Mon père m’a donc convaincue de prendre moi-même le volant. Il m’a acheté une voiture et m’a dit « voilà, tu as un an pour obtenir des résultats ». Moi je me suis dit, « je vais te faire voir de quoi je suis capable » et effectivement, ça a tout de suite marché. Je pense qu’il a vécu à travers moi ce qu’il n’avait pas pu faire lui-même.

Cette volonté de toujours relever des défis aurait pu se révéler dans d’autres domaines donc ?

Tout à fait. Ma véritable passion c’était le ski, c’est ce que j’aurais toujours aimé faire, mais j’habite la Côte d’Azur, donc les montagnes sont un peu loin.

Evénement historique au San Remo 1981 : pour la première fois, une femme remporte la victoire absolue dans une épreuve de Championnat du Monde auto.

Votre papa était passionné de sport automobile ?

Il était passionné de voiture et de liberté et de voyage. Notre famille, c’est les voyages. Pour moi, la voiture, ça a toujours été la liberté et quand j’ai arrêté la compétition, ce qui m’a le plus manqué, ce n’est pas la compétition elle-même, mais les voyages. Maintenant, avec mon rôle à la FIA, tout va bien pour moi, je suis très heureuse. 

Je n’ai pas l’impression que vous ayez été très rudoyée par les autres pilotes finalement. Il semble même qu’il y avait beaucoup de respect de leur part.

Absolument. Vu de l’extérieur, on dit « oh la la, une femme au milieu de tous ces hommes », mais moi je me disais toujours, quelle chance, on était deux femmes (parce qu’il ne faut pas oublier la copilote) et il y avait beaucoup de gentlemen. A un haut niveau je n’ai jamais eu de problème. Bien sûr, ça ne leur faisait pas plaisir de se faire battre, mais c’est normal. Un homme qui dit, « tu m’as battu, je suis content », pour moi, ce n’est pas un homme, mais vraiment, je ne garde que des bons souvenirs

La part de risque dans le rallye, c’est quelque chose que vous gériez de quelle façon ?

Pour moi, le risque fait partie du sport automobile. Si on prend une voiture, l’adrénaline quand on se bat contre les éléments, contre la route, c’est ce qui fait l’intérêt et la grande noblesse de ce sport. Toujours flirter avec la limite sans jamais la dépasser. Quand on est pilote on ne peut pas avoir peur, c’est ce que je réponds toujours à cette question : on peut avoir peur avant, parce qu’on est conscient, peut-être après, mais pendant, non, c’est impossible.

Les grands débuts avec l’Alpine A110.

Même à Pikes Peak, qui est tout de même un endroit assez effrayant ?

Oui, mais pas plus que la Corse dans la spéciale de Borgo par exemple. Moi, j’adorais quand il y avait des ravins, je me disais que les autres allaient peut-être lever le pied ! De toute façon, c’est impossible d’exprimer ce que l’on ressent dans une voiture de course surpuissante dans ces moments-là.

Comment ont réagi les Américains à votre victoire, chez eux, à Pikes Peak ?

C’était assez choquant pour eux, ils n’avaient jamais vu de voiture de rallye, jamais de voiture turbo, jamais un européen, jamais une femme-pilote. D’ailleurs, ils ne m’ont pas épargnée. Durant les reconnaissances, j’ai dépassé la limitation de vitesse de façon infime et à partir de là, ils ne m’ont fait que des misères. Tant pis pour eux, c’est ce qui a vraiment décuplé ma motivation. Je pense que c’est comme ça que j’ai gagné la course. D’ailleurs, pour l’anecdote, il y avait trois courbes très rapides, la première à fond, la deuxième quasiment à fond et la troisième à nouveau à fond. Et bien j’ai passé la deuxième à fond, j’ai senti la voiture glisser vers le vide, mais elle s’est maintenue et j’ai freiné encore plus tard pour le dernier virage. Personne ne pouvait me battre.

La politique a eu Simone Weil, le sport auto a Michèle Mouton.

Michèle Mouton express

> 1951 : naissance à Grasse

> 1973 : début en rallye comme coéquipière

> 1974 : début en rallye comme pilote au volant d’une Alpine Renault

> 1977 : débuts en Championnat d’Europe des Rallyes – 4 victoires au général sur Porsche 911, Fiat 131 Abarth, Audi Quattro et Peugeot 205 Turbo 16

> 1978 : débuts en Championnat du monde des rallyes – 4 victoires au général sur Audi Quattro

> 1983 : vice-championne du monde des rallyes

> 1985 : victoire à la course de côte de Pikes Peak sur Audi Quattro S1

> 1986 : Championne d’Allemagne des rallyes

> 1986 : fin de carrière sur Peugeot 205 Turbo 16

> 1988 : organise pour la première fois la Course des Champions

> 2004 : entrée des pilotes de Formule 1 dans la Course des Champions au Stade de France

> 2010 : nommée présidente de la Commission des femmes à la FIA

> 2011 : nommée manager générale du WRC à la FIA



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