Thierry Soave
Fabien Barthez : « une finale de Coupe du monde, c’est bien plus facile que le sport auto »

Se ranger des voitures signifie prendre sa retraite. Après sa carrière de footballeur, Fabien Barthez a fait très exactement le contraire et s’est jeté tout entier dans le sport automobile. Rencontre avec celui qui n’est pas seulement le gardien de but le plus rapide du monde, mais parfois le plus rapide tout court.

Fabien Barthez, quelle est votre profession aujourd’hui ?

Sans profession (rire) ! Officiellement. Après, bien sûr, je vis toujours de ma passion première qui reste quand même le football.

Vous ne me répondez pas pilote automobile ?

Non, le sport auto, c’est mon autre passion, mais pas comme professionnel. Je le pratique très sérieusement, parce que c’est un domaine très complexe. Professionnel, c’est autre chose. Le sport de haut niveau, il faut avoir commencé tout petit, et sur quatre roues, c’est le karting.

Comment vous est venue cette passion ? Tout de suite après le football ?

Non, bien avant. Comme 90% des petits garçons je pense, dès le plus jeune âge. Ensuite, la passion des belles voitures, mais surtout la compétition.

Vous suiviez le sport automobile, vous alliez voir des courses ?

Vous savez, quand vous êtes dans le football de haut niveau, vous ne pouvez pas vraiment trouver le temps ou l’attention pour vous intéresser sérieusement à autre chose. On est dans le football absolument tout le temps. Et puis c’est une autre culture, deux mondes complètement différents. Je n’avais pas la culture du sport automobile.

Entretien dans les stands du Mans, en compagnie d’Olivier Panis.

Olivier Panis, son coéquipier cette année, assiste à l’interview.

Oivier, connaissiez-vous Fabien avant de faire équipe ?

Fabien, je l’ai connu quand il jouait à Monaco dans les années 90. Chaque fois qu’il y avait le Grand Prix de F1, il venait dans le garage, il tournait autour des voitures. Il était déjà attiré par ça, c’était évident. De là à se retrouver aujourd’hui dans le même championnat comme coéquipier…

Mais à Monaco, tous les footballeurs comme vous viennent voir les F1 et roulent dans de belles voitures.

C’est vrai, mais pour moi, le Grand Prix, ça a été le gros déclic. C’est le seul auquel j’assiste d’ailleurs, mais quand je jouais à Monaco, je n’en loupais aucun. J’allais aussi voir tous les essais. Et c’est toujours à Monaco que j’ai eu mon premier contact physique avec le sport automobile. Gilles Panizzi, un très bon pilote de rallye, venait faire des reconnaissances pour le Monte-Carlo dans la région avec sa Peugeot 306 Maxi et dans le Turini, je suis monté à côté. Une folie !

A quel moment l’idée de prendre un jour le volant vous a traversé l’esprit ?

A ce moment-là, en 1995, précisément. Je monte avec Gilles dans la 306 Maxi et je découvre un autre monde, irréel. Il fait des choses avec cette voiture que je n’aurais jamais imaginées. J’étais avec Marco Simone, lui aussi n’en revenait pas. Voilà, je voulais connaître ces sensations, mais au volant. J’avais vu ces Formule 1 dans les rues de Monaco, puis vécu la vitesse en passager avec Panizzi, j’étais curieux de prendre le volant. C’est un sport qui m’a toujours intrigué. Je roulais avec des Porsche Biturbo, mais je me rends compte qu’à l’époque, je ne savais pas du tout conduire. J’ai eu énormément de chance. Quand on s’achète une grosse voiture, on croit que l’on sait, mais on ne sait rien du tout. Tout le monde devrait prendre des cours de pilotage au moins une fois, au moins pour savoir qu’on ne sait pas conduire.

L’automobile est bien plus un sport d’équipe que le football. Là, si ton mécano n’a pas bien fait son travail, tu ne peux pas monter dans la voiture

A ce moment, vous êtes au sommet de votre carrière. Vous en parlez à des proches ?

Non, pas du tout, je me le garde. Je n’en parle à personne. Je me suis toujours dit : quand j’arrête le football, je vais aller voir ce que c’est une voiture de course. Parmi les déclics, il y a eu également mon baptême de piste pendant le Grand Prix de Monaco. Je pense que c’était Ragnotti qui conduisait, une Mégane de course. Première fois que je tournais en circuit, mais toujours en passager.

Hugues de Chaunac, au centre, présente Fabien à Adrian Newey, le génie technique de la Formule 1. Par son humilité, l’ancien gardien de but s’est fait accepter de tous dans le milieu.

Vous n’étiez pas inquiet sur votre niveau ?

Si bien sûr. Le premier sentiment, c’est la curiosité, je voulais vraiment aller voir. Ensuite, c’est le doute, forcément : est-ce que je serai capable ? En fait, j’ai mis le doigt dedans et ça m’a pris le bras, la tête et tout le corps !

Alors, les débuts ?

Je connaissais bien le pilote Olivier Pla et on décide d’aller sur circuit avec ma Porsche Biturbo. C’est d’abord lui qui conduit et là, je ne reconnais plus ma voiture. Moi qui la trouvais très directive, très efficace, un peu comme un karting, elle se transforme en chewing-gum et se tord dans tous les sens tellement il la met en contrainte dans les virages. Et tout ça en me parlant tranquillement. Dans cette même journée, il me présente Jérôme Policand, un ancien pilote professionnel qui a monté son team. C’est la rencontre qui a tout changé. Jérôme monte à côté de moi, impassible, visage fermé, façon maître d’école et me regarde rouler. Je fais quatre ou cinq tours et il me dit : « ok, on va t’apprendre à conduire, on va t’apprendre le pilotage ». On devait être au mois d’octobre 2007 et il me fixe l’objectif de la Coupe Porsche et la première course de la saison suivante, fin mars, à Nogaro, dans le Gers. A l’époque, Sofrev, son sponsor avait une voiture pour des invités et je devais juste apprendre à piloter tout l’hiver. Un détail !

Et vous dites oui tout de suite ?

De suite !

Je roule beaucoup moins vite sur la route depuis que je fais des courses

Vous êtes Fabien Barthez, vous débutez dans un sport dangereux à presque 40 ans, il y 35 000 spectateurs à Nogaro pour vous observer et vous dites oui comme ça ? Et ça ne vous inquiète pas ?

Non, non, pas du tout. Je ne vois pas les choses comme ça, c’est beaucoup plus simple : c’est ma passion et je suis super heureux de pouvoir enfin voir ce qu’est la course automobile comme concurrent.

Et alors, cet hiver 2007/2008 ?

Très studieux. J’apprends d’abord le pilotage sur une Clio école, toujours à Nogaro. Pendant trois mois, à raison de trois journées par semaine. A comprendre ce qu’est une trajectoire, ce qu’est un freinage… A bouffer du kilomètre, avec mon moniteur Henri Pellefigue. Il est assis à côté de moi et me dit de viser le cône de braquage, le cône de corde, le cône de sortie, interdiction de freiner tant qu’il ne m’a pas mis la main sur la jambe, refaire le talon-pointe, etc., etc. Ensuite, avec les Campus, ces petites monoplaces. J’ai appris le métier. Mais ce qui m’inquiète pendant toute cette période, c’est que je n’ai pas la moindre nouvelle de Jérôme Policand. Jusqu’au mois de février. Et là, enfin, ma première séance d’essais avec la Porsche Cup.

Avec Anthony Beltoise, sur une des courses du championnat de France.

Toute cette période dans l’ombre, à vous entraîner, vous connaissiez déjà ça en tant que sportif de haut niveau.

Pour un sportif de haut niveau, l’entraînement est un aspect capital. Donc, oui, un ancien champion a plus de facilité qu’un autre débutant, c’est évident car très logique. Dans notre cas, c’est même une question d’éducation. L’éducation du sportif, c’est l’écoute, l’humilité et la gagne bien sûr. Toute ma carrière se résume à ça. Le reste, l’anticipation, les réflexes, c’est un peu génétique, ça ne se travaille pas vraiment.

Panis,

C’est là où Fabien est impressionnant. C’est tout bête, mais il a bien appris.

En fait, ma vraie chance, c’est d’être tombé sur Jérôme. Peut-être que ça n’aurait pas marché avec un autre, je n’aurais pas autant progressé. Mon succès je le partage avec lui : 50/50, vraiment. On ne se connaissait pas, mais quand on parlait d’humilité, voilà quelqu’un qui n’en manque pas, et pourtant, c’est un peu un magicien. A chaque début de saison, il me dit, voilà, il va se passer ça et ça. Et depuis sept ans que nous sommes ensemble, les choses se passent toujours exactement comme il les a prédites. Avant une course, c’est pareil, il sait exactement ce que je vais faire.

Jean-Claude Killy s’est lancé dans le sport auto après sa retraite. C’est même l’une des raisons pour lesquelles il a arrêté si tôt le ski, à 24 ans. Mais il n’a pas persévéré, car il s’est rendu compte que ce qui l’intéressait dans le sport, c’était d’être le meilleur et rien d’autre. Et que ce n’était pas possible pour lui en auto. Vous êtes devenu un excellent pilote, mais vous ne serez jamais à nouveau champion du monde. Ca ne vous gêne pas ?

Non, absolument aucun problème. Je sais que plus jamais je ne retrouverai mon niveau de footballeur dans une autre activité. C’est impossible, évidemment. Ce qui me plait dans le sport, c’est d’abord le sport, la passion du sport. Jouer la finale de la Coupe du Monde au Stade de France ou disputer une course devant des tribunes vides sur un petit circuit, du point de vue du sport, c’est la même chose. J’aurais pu jouer dans des stades vides, je m’en moque.

Et en termes de sensations, de stress ?

Ouh là ! Je préfère une finale de Coupe du Monde, c’est beaucoup plus facile ! Après, en termes de stress, tu ne peux pas comparer. Déjà, les âges ne sont pas les mêmes. En sport auto, il y a le risque. Ce qui est identique, c’est la pression avant, et le moment où tu te sens bien, quand tu rentres sur le terrain ou dans la voiture.

Je fais partie de la famille maintenant.

Vous avez conservé des petits trucs ?

Oui, mais c’est des trucs très perso (rires) ! On a besoin de ça.

Des similitudes entre les deux sports ?

Aucune. Je vais peut-être vous surprendre, mais l’automobile est bien plus un sport d’équipe que le football. Quoi qu’on en dise, tous les sportifs sont des individualistes, surtout les footballeurs. C’est la gagne qui veut ça. Mais celui qui réussit dans le sport est celui qui sait évoluer et briller dans un collectif malgré son caractère. Dans le sport automobile, le collectif est vital, alors qu’il est juste nécessaire en football. Je m’explique : pour que ta voiture roule, il faut que chacun ait fait sa part de travail : le préparateur, le mécanicien, l’ingénieur, le pilote… Si tu enlèves un de ces éléments, tu ne peux pas monter dans la voiture, elle ne roule pas. Au foot, si ton entraîneur ou ton intendant n’est pas là, c’est gênant, mais ça ne t’empêche pas de jouer. Tu vas peut-être même gagner le match. Par contre, le mécanicien qui n’a pas serré ta roue, là c’est un problème. Quand tu es dans la voiture, tu as la certitude que tout le travail a été fait parfaitement, tu es en confiance et tu peux attaquer. C’est ça le vrai collectif.

Les points communs entre le Barthez footballeur et le Barthez pilote ? (c’est finalement Olivier Panis qui répond)

Moi, je l’ai connu comme joueur et comme pilote. Et ce qui m’a toujours impressionné, c’est l’agressivité qu’il peut avoir tout en restant incroyablement calme. Dans la voiture, c’est le même.

Comment roulez-vous sur la route maintenant ?

De ce point de vue, la course automobile a tout changé, bien sûr. Je vais à mon rythme. Quand il pleut, je fais très très attention. Sur une quatre voies désertes, je vais aller plus vite, évidemment. En tous cas, je roule beaucoup moins vite depuis que je fais de la course. J’ai compris énormément de chose. Quand je vois comment je conduisais quand j’avais 20 ans avec ma Porsche… Quand j‘y repense, quelle chance j’ai eu d’avoir survécu à ça.

Seriez-vous prêt à vous impliquer dans des actions pour la sécurité routière ? Vous êtes plus crédible auprès des jeunes qu’un technocrate.

Pourquoi pas, oui. On ne me l’a jamais proposé, mais bien sûr, je le ferais. J’ai deux enfants et c’est vrai que je n’ai pas envie qu’ils fassent les mêmes âneries que moi au même âge. On en a tous fait, maintenant que je sais, je ne les fais plus. En plus, ce problème touche beaucoup les footballeurs qui ont tous des voitures de plus 500 chevaux !

Et vos amis footballeurs justement, que pensent-ils de votre nouvelle vie ?

Il y a beaucoup qui me disent « fais gaffe, fais gaffe ».

Vous avez emmené votre ami Laurent Blanc je crois ?

Oui, à Nogaro. Au début, j’ai bien vu qu’il me prenait un peu pour un rigolo, il me chambrait un peu. Du genre, « mais qu’est-ce que tu fais là-dedans ?.. ». Après que je l’ai emmené dans la voiture de course, tout a changé ! En fait, il a compris que c’était un vrai sport, un vrai métier, pas du tout un truc de fou du volant. Le pilotage, c’est le contraire de ça. Je crois qu’il a beaucoup aimé. Elie Baup, pareil, je l’ai emmené au Castellet.

Vous êtes parti pour une longue carrière en sport auto ?
Je m’étais dit 10 ans.

C’est court.

Surtout quand j’en vois certains, qui ont plus de 50 ans et qu’ils roulent encore très vite, je me dis que ça vaut peut-être le coup de continuer.

Finalement, vous avez préféré être interviewé par Car Life ou par France Football ?

Car Life, sans hésiter. France Football, même si c’est très bien, c’est fait et refait. Un magazine automobile, pour moi, c’est une petite fierté, il faut bien le dire. Ca veut dire que je fais un peu partie de la famille maintenant.



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