« Le hasard a beaucoup de talent » répète-t-il souvent. Hasard ou coïncidence, Claude Lelouch et Car Life ont en commun des initiales et un intérêt comparable pour l’automobile : la voiture, mais surtout la vie qui va avec. Long entretien avec le maître.
Lelouch m’a offert ma première apparition au cinéma, dans Itinéraire d’un enfant gâté, où je joue le rôle de mon père. Lelouch m’aura offert également ma première expérience d’interviewer, mais cette fois dans la vraie vie. Pour le lancement de Car Life, consacrer notre grand entretien à cet amoureux des voitures apparaissait comme une évidence. Car au-delà de l’histoire d’amour la plus mélodieuse du cinéma, est-ce une offense que de considérer Un Homme et une Femme comme le plus beau film sur l’automobile ? Qui d’autre que lui aurait pu être notre parrain ? Lui qui adore l’auto, qui sait filmer la vie comme personne, qui raconte les plus belles histoires et ne laisse à aucun le soin d’imaginer un scénario, au cinéma comme dans la vraie vie. D’ailleurs, c’est lui qui pose les premières questions. « Alors, dis-moi tout, vous lancez un magazine ? ». Il regarde le numéro 0 : « C’est bien, vos maquettes ont l’air superbes. A propos, le nouveau Lui, ça a l’air de marcher, il y a de la pub partout ! » Je suis accompagné de notre photographe et de Thierry Soave, l’éditeur de Car Life, chargé de mettre en peu de formalisme dans la rencontre. « Oui, c’est encourageant de voir qu’il y a encore des lancements qui fonctionnent en presse écrite. ». Claude nous a donné rendez-vous dans l’hôtel particulier qui lui sert de bureau dans le 8e arrondissement de Paris et qui abrite depuis toujours Les Films XIII, sa maison de production. Un lieu magique, mais aussi pratique, avec salle de montage, salle de projection, restaurant, salons de réception… Je remarque qu’il y a beaucoup de magazines sur la table. Il poursuit. « Aujourd’hui, quel que soit le domaine, quand la qualité est là, il n’y a pas de problème. La qualité n’a jamais eu autant de succès. Ce qui est terrible aujourd’hui, c’est tout ce qui est moyen. C’est la crise du moyen. Quand on te dit d’un film qu’il est pas mal, tu n’y vas pas. Quand on te dit d’un restaurant qu’il est pas mal, tu n’y vas pas, Quand tu dis d’un journal qu’il n’est pas mal, tu ne l’achètes pas. Ca se présente bien, c’est très beau. Faut faire des choses chics. » Il voit des photos de Steve McQueen sur les maquettes. « Je devais faire un film avec lui. Je suis allé le voir à Los Angeles, on a passé deux jours ensemble. J’étais à l’hôtel et il me dit « je passe te prendre ». Je sors, je ne vois pas de voiture, et à un moment donné, arrive un énorme camion. En fait juste le tracteur, sans remorque. On a passé la soirée dans son camion, il roulait comme un malade, et en plus, il avait fumé de ces trucs… » L’interview a déjà commencé, et personne ne s’en est rendu compte.
Tu sais pourquoi nous sommes là ? La voiture et toi, c’est quelque chose de très particulier…
La voiture est ma maison préférée. Je dis bien ma maison préférée. J’ai toujours eu un rapport privilégié avec ma voiture, d’abord parce que c’est la liberté : je peux partir quand je veux, je vois les autres et ils ne me voient pas, je m’isole mais je reste au contact. C’est aussi mon bureau préféré. J’ai écrit la plupart de mes films en voiture : j’ai un magnétophone avec moi qui se déclenche à la voix, et c’est en roulant pendant des heures et des heures, en écoutant de la musique ou en regardant le paysage que le cerveau fonctionne. Je suis un homme de mouvement, j’aime le mouvement. Et en voiture, je suis dans le mouvement. Quand je suis dans un bureau, même le plus beau bureau du monde, je m’endors. D’ailleurs, quand je ne vais pas bien, la première chose que je fais, je saute dans ma bagnole
Je crois que c’est dans un de ces moments que tu as écrit Un Homme et une Femme.
C’était un soir de grande détresse, après la projection des Grands Moments qui était une catastrophe. Le film était vraiment mal accueilli par la presse et je n’arrivais pas à trouver de distributeur. J’étais vraiment au bord du suicide. Alors j’ai pris ma bagnole et j’ai roulé, j’ai roulé, j’ai roulé, je ne savais même pas où j’allais. Comme j’aime bien la vitesse, j’ai pris le petit bout d’autoroute de l’ouest qui allait seulement jusqu’à Mantes à l’époque. Et c’est vrai, je me suis dit « si j’ai un accident, ce sera parfait ». Je n’avais pas envie de me suicider, mais j’avais tellement mal que je me disais « si j’ai un accident, ça sera fini, ça sera réglé ». J’avais quitté Paris à 1h, je suis arrivé vers 2h30 à Deauville.
Quand on a tourné L’Aventure, c’est l’Aventure, Lino m’a dit « t’inquiète pas, il sortira jamais ton film »…
Bon, je calcule, 200 km dont 150 de nationales, oui, ça fait une bonne moyenne !
Je suis arrivé au bord de la plage, je me suis écroulé dans ma voiture et j’y ai dormi. Je dors souvent dans ma voiture, j’adore ça, je trouve que c’est un endroit magique. Quand je fais des voyages, dès que j’ai un coup de barre, je suis ravi, je me mets sur une aire et je dors. Là, c’est le soleil qui m’a réveillé, comme s’il voulait me parler. J’ouvre les yeux, et là, il y a une lumière sublime. Je sors dehors, je respire un grand coup et je vois au loin sur la plage à marée basse, une femme qui marche avec un enfant et un chien, voilà. Et c’était une beauté… Je me suis dit, il faut absolument que je montre cette image à la terre entière, c’est trop beau. Tu vois, une femme à 6h du matin, mais qu’est-ce qu’elle fait là ? Avec un enfant et un chien… Et c’est là, en marchant vers elle que m’est venue l’idée de Un Homme et une Femme. Et plus je me rapprochais d’elle et plus je me disais « bon, alors c’est l’histoire d’une femme ». Qu’est-ce qu’elle fout là, peut-être que c’est pour promener son gosse, peut-être qu’elle ne le voit pas souvent, pour en profiter à 6h du matin. Et je suis retourné dans ma voiture, où j’ai commencé à écrire sur un bout de papier le début du scénario. Après je suis allé au Bistrot de la Gare, car c’était le seul qui était ouvert, et j’ai écrit pratiquement le sujet en deux heures. Donc, cette nuit où j’ai failli mourir, où j’avais envie de mourir, je me suis ressuscité. Je suis rentré à Paris comme un fou, parce que j’étais pressé de raconter l’histoire à mon pote et assistant Pierre Uytterhoeven. Je suis donc rentré aussi vite que j’étais parti, mais cette fois, parce que j’étais excité. Voyage aller, c’était pour en finir, voyage retour, c’était la renaissance. Je suis arrivé à Paris et je dis à Pierre : « écoute, j’ai écrit une histoire sublime ». Je lui raconte l’histoire, et il me dit « ouais c’est formidable, allez, on se met au boulot ! ». On a écrit l’histoire en trois semaines, on l’a préparée et pendant l’hiver, j’ai tourné. Tu vois, c’est un film qui a été écrit en trois semaines, tourné en trois semaines, monté en trois semaines…
Tu avais déjà Jean-Louis Trintignant en tête ?
J’avais Trintignant. C’était déjà une vedette, vachement plus que moi. Il avait vu un de mes premiers films, il avait adoré et il m’avait dit « si un jour tu fais un film, je serais ravi de tourner avec toi ». Ce n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd, et quand j’écris, je pense tout de suite à Trintignant. J’avais aussi pensé à Romy Schneider pour la femme. Finalement, ce sera Anouk Aimé. Trintignant, dans le film, j’en avais fait un avocat qui venait voir son fils tous les week-ends. Et puis quand je lui en ai parlé, je lui dis « bon j’ai une idée de métier. Je vais te le dire tout à l’heure, mais qu’est-ce que tu aimerais incarner ? ». Il me répond « un pilote automobile ». Eh ben je lui ai dit, écoute c’est l’histoire d’un pilote automobile… En deux secondes, j’ai quitté l’avocat.
D’un point de vue logistique, ça compliquait quand même…
Non, parce que c’est une idée géniale que j’aurai dû trouver avant lui ! Et donc on est partis sur l’idée d’un type qui faisait des rallyes. Il y avait le Monte Carlo à cette époque, alors on s’est engagés dans le rallye, parce que je n’avais pas les moyens d’arrêter ou de reconstituer la course. Donc on a fait tous les plans du film durant l’épreuve. Nous étions trois dans la voiture : Henri Chemin, de chez Ford, Jean Louis qui conduisait et moi derrière. Alors évidemment on se trainait, parce qu’on n’était pas là pour ça…
Et le choix de la Mustang, c’est le hasard aussi, ou ?..
C’est le hasard encore une fois. Je vais te dire, il y’a quelqu’un à qui je dois beaucoup, beaucoup. C’est la personne qui m’a rendu le plus de services dans la vie et la personne sur laquelle j’ai pu toujours compter, c’est le hasard. Le hasard chez moi a toujours eu beaucoup de talent. Et donc, quand on a l’idée de faire le film, on a pensé aux Renault Alpine qui marchaient bien en rallye. Ils m’ont dit non tout de suite parce que je n’étais pas connu. Puis, je suis allé voir Peugeot, ils m’ont dit non aussi. Et donc à trois semaines du tournage, je me dis ah merde, je n’ai pas la bagnole. Avec Jean-Louis Trintignant, on avait un ami, Henri Chemin, qui travaillait chez Ford. Je n’aurais jamais eu l’idée de penser à la Ford Mustang, ce n’était pas une voiture faite pour ça. Donc, Henry Chemin (qui d’ailleurs a mis Johnny au rallye quelques années plus tard) avait un copain concessionnaire Ford qui avait des Ford Mustang, et ce copain avait un autre copain qui me dit « je peux vous trouver en plus une GT40 pour les essais à Montlhéry ». Banco. En plus, quand je la vois, je la trouve très belle. Et depuis qu’elle est devenue une star de cinéma, elle est encore plus belle ! Après, ils l’ont prise dans Bullitt. Finalement, qu’est-ce que je me serai emmerdé avec une Renault !
J’ai détesté ma Ferrari Daytona : il y avait deux places, une pour moi, une pour le mécano
Oui, depuis toutes les Ford Mustang engagée au Tour Auto sont toutes blanches comme la tienne dans le film…
Et ils disent tous que c’est la voiture de Un Homme et une Femme. D’ailleurs, tout le monde pense que c’est Ford qui a financé le film. Ce qui est incroyable, c’est que le film a été un tel succès que lorsqu’il sortait dans un nouveau pays dans le monde, les ventes de Ford Mustang augmentaient de 30% !
Renault a raté le coup du siècle… Si je te dis que cette histoire d’amour est le plus beau film sur l’automobile, tu le prends comme un compliment ou pas ?
Comme un compliment. C’est mon histoire d’amour avec l’automobile. L’histoire n’aurait pas eu lieu s’il n’y avait pas l’automobile. C’est l’automobile qui leur permet de se rencontrer, il la ramène parce qu’elle a loupé le train, la semaine d’après il la ramène, s’ils avaient pris le train, ce n’était pas la même histoire. Dans le compartiment, tu as des témoins, tu ne dis pas la même chose à quelqu’un quand il y a des gens qui t’écoutent. Trintignant et Anouk Aimée se disent des choses parce qu’ils sont dans une voiture. Dans un train ils ne se seraient pas parlé. Tu fais partie de la foule. La voiture, c’est un lieu clos, c’est une sorte de huis clos qui s’installe. C’est très important : tu conduis, tu peux dire à une femme que tu la quittes sans affronter son regard, parce que tu regardes la route. Et puis, en voiture, tu es le patron, tu vois, tu t’arrêtes… Donc, je ne fais pas de films où il n’y a pas des scènes à table et en bagnole. La voiture idéale, pour moi est une voiture dans laquelle on peut vivre. J’ai eu à un moment donné une Ferrari Daytona, mais je me faisais chier dedans. Je n’étais pas bien installé, elle chauffait. Elle avait deux places : une pour moi, une pour le mécano. J’ai eu quelques Porsche aussi, mais j’ai détesté.
Et ta première voiture ? C’est souvent très révélateur la première voiture…
C’est la 2 CV, quand j’ai eu mon permis, à 18 ans. D’abord, parce que c’est la seule que je pouvais m’offrir. Et les plus beaux souvenirs… D’ailleurs, c’était une voiture pour faire des travelings extraordinaires, elle avait une telle suspension… Je mettais ma caméra dessus, j’ai fait tous mes premiers films en 2 CV. Bon en plus, j’ai eu mes premiers amours dans la 2CV.
Tu n’as pas la nostalgie d’un modèle en particulier ? La plus belle de toutes ?
Alors si ! Ma grande nostalgie, encore une fois, c’est une belle histoire, c’est la voiture que j’avais durant le tournage de Un Homme et une Femme. A l’époque, je faisais des Scopitones pour un garçon qui s’appelait Gérard Sire. Il travaillait pour Europe 1, c’était un mec formidable, et il avait créé une infrastructure à Paris qui s’appelait Pilote Production dans laquelle travaillaient, tiens-toi bien, Philippe Bouvard, Jean Yanne, Jacques Martin, Jacques Brel et Claude Lelouch. Et avec nous, il a réussi à faire faillite !
J’ai financé Un Homme et une Femme grâce à une Mercedes 280 SL
Un visionnaire en quelque sorte !
Non, parce qu’il était généreux. Donc, il produisait des Scopitones et moi j’en ai fait presque une centaine. Il me devait de l’argent, mais s’il ne me payait plus, c’est parce qu’il n’en avait plus les moyens. Je rentre dans son bureau et je lui dis « écoute, Gérard, tu me fais chier, vraiment, tu ne veux pas me payer et tu viens de t’offrir une Mercedes 280 décapotable ». C’était vraiment une des plus belles voitures du monde. Et là, il me dit « Tiens, prends les clés, elle est à toi. ». Je lui dis « arrête tes conneries ». Et il me répond « non, non, prends-là et vas la vendre ! ». Et je me retrouve avec cette bagnole. Je n’avais même pas de quoi mettre de l’essence dedans. Quelques jours plus tard, j’avais rendez-vous avec un distributeur pour le film. Il était au George V et je lui dis, écoutez, je passe vous prendre avec ma voiture. Au moment où il est monté, j’ai senti que je l’avais impressionné et j’ai fait l’affaire avec lui. J’avais une chambre de bonne à l’époque et si j’y emmenais mes producteurs, ça ne marchait pas, alors je leur disais je viens vous chercher avec ma voiture. J’ai vendu ma DS et j’ai gardé la Mercedes pendant tout le tournage du film. D’ailleurs, on l’aperçoit dans Un Homme et une Femme. Donc tu vois, les voitures ont toujours été des objets qui m’ont porté chance. Tu sais que j’ai eu un jour un grave accident et encore une fois, la voiture m’a protégé… J’ai fait un double looping, je suis ressorti, j’avais pratiquement rien, la voiture était costaude. C’était avec un 4×4 BMW.
Tu avais atterri dans un golf ou quelque chose comme ça, non ?
Non, pas dans un golf, dans une kermesse. Sur l’autoroute A13. Il y avait eu un orage violent, j’ai fait de l’aquaplaning. Je ne marchais pas très vite, je devais être à 130-140, j’ai voulu ralentir, et là je suis parti en aquaplaning comme sur du verglas. J’ai percuté la rambarde, j’ai fait deux tours, je tombe en contrebas et il y avait une kermesse. Je me suis retrouvé comme dans le film de Claude Sautet, Les Choses de la Vie, allongé dans la voiture à entendre les gens dire « faut pas y toucher, faut pas y toucher ! », et moi j’étais conscient. J’ai réussi à sortir par la fenêtre, mais j’étais en sang, comme dans un film gore, les gens avaient peur, ils reculaient ! Et là, il y a un type qui dit « mais c’est Claude Lelouch ! » Surréaliste, tu vois… Comme dans un film !
Trintignant, je l’avais prévu en avocat. Quand il m’a dit, « j’aimerais bien être pilote de course », je lui ai répondu, « alors voilà, c’est l’histoire d’un pilote de course… »
Je viens de voir Rush, le biopic sur Lauda-Hunt. C’est quand même étonnant que tu n’aies jamais fait un film sur la Formule 1. C’est une mine de scénarios.
Le sport n’est intéressant que si l’humain se superpose au sport. Il faut qu’il y ait de l’humain. Le sport en tant que sport est fabuleux en direct. Il n’y a rien de plus chiant que la Formule 1 à la télé aujourd’hui. Une fois que j’ai vu le départ, je pars. Après, je sais qui va gagner. Bon, sauf incident technique, et puis on attend l’accident, c’est terrible ! Les gens attendent, parce qu’au départ, évidemment, ça peut cogner, on sait qu’il va se passer un truc. Moi j’adorais la Formule 1 quand tu courais, quand je me disais « il est où, le Paulo ? ». Aujourd’hui la sécurité a tué le sport automobile. C’est terrible ce que je te dis, mais à l’époque d’Ascari et de Fangio, il y avait pratiquement un mort à chaque course ! Derrière le sport, il y a la notion de héros, de superman ! Donc quand tu vois un mec monter dans une F1, tu te dis, bon sang, il risque sa vie le mec ! Aujourd’hui, il la risque encore, mais c’est vrai qu’il y avait un truc qui faisait qu’on regardait la course en entier, parce qu’on se disait à un moment donné, le mec s’il veut gagner, il doit prendre le risque de sa vie. Et s’il prend le risque de sa vie, il va peut-être y rester. Tu vois ce que je veux dire ? C’est l’humain qui m’intéresse, c’est le pilote qui m’intéresse. Pour moi, si tu avais eu une bonne auto quand tu courais en Grands Prix, ce n’était pas le même scénario. Moi je suis pour la course de F1 où on a tous le même matériel. Oui, ça, ça me plairait.
La course, toi, tu la fais souvent sur la route dans tes films !
Encore une fois, moi je suis dans le cinéma, dans la fiction… Je raconte l’histoire d’un mec qui va à un rendez-vous, il est en retard, il prend tous les risques. Il considère que pour une histoire d’amour, on ne peut pas arriver en retard. Je suis dans l’humain. Ce qui fait la force de C’était un Rendez-vous, c’est qu’il sort de la voiture et il y a une femme qui l’attend.
Tu sais que C’était un Rendez-Vous fait un buzz inouï sur la toile depuis des années, surtout auprès des jeunes. Pour eux, c’est le premier jeu vidéo…
Oui, oui… C’est le film le plus vu au monde aujourd’hui. En Chine, au Japon, en Inde… Je suis connu là-bas par ça. Après, on leur a dit « c’est le mec qui a fait Un homme et une femme » tu vois… Les mômes d’aujourd’hui me connaissent par ça. C’est marrant, il y a plein de pilotes qui ont laissé dire que c’était l’un d’eux qui conduisait la voiture : Jackie Stewart, Jacques Laffite.
La voiture est mon bureau préféré. J’ai écrit la plupart de mes films en voiture
Et c’était bien toi. Dans Le Chat et la souris, tu as tourné dans les mêmes conditions ?
Non j’avais des sécurités, même si le risque fait partie de ma vie. Quand je fais un film, je prends des risques. S’il n’y a pas la part de risque, la vie n’a pas de sens pour moi. J’ai besoin que les gens qui travaillent avec moi prennent aussi un risque. J’aime le jeu, parce qu’à un moment donné, le hasard va vous punir, ou vous récompenser. Si le bonheur existe, il est dans le risque. Il m’est arrivé quelques fois d’aller sur un champ de course, je n’ai jamais joué le favori ! Moi je prends celui qui a une cote d’enfer, le tocard, le caniche, ça j’aime. Quand un favori gagne, ça nous fait chier ! Le publique se passionne toujours pour le plus faible, pour que l’exploit ait lieu. Aujourd’hui, le Paris Saint Germain, ça m’ennuie totalement c’est le triomphe du fric, je ne sais pas ce que le sport fout là-dedans ! J’étais un fou du Paris-Saint-Germain, je ne veux plus en entendre parler. Ca ne m’intéresse pas du tout. Toutes ces équipes à fric, je rêve qu’elles perdent à chaque fois. Je veux que l’humain soit plus fort que le fric. Dans tous les domaines. Le fric, c’est trop facile. Comme au cinéma, maintenant, il faut faire un film formaté pour qu’il passe à 21H à la télé, il n’y a que comme ça que tu peux le financer. Mais moi, je n’ai jamais fait un film qui était totalement financé.
Tu roules toujours dans des grandes berlines allemandes ?
Là, j’ai une Audi A7. Vachement bien. Je me régale. Elle va vite, elle est agréable, elle est confortable, quatre roues motrices, c’est vraiment… pour moi c’est la voiture de synthèse. C’est la voiture qui correspond à ce que je suis. Je l’aime beaucoup, c’est une belle voiture.
Et tu roules toujours beaucoup dans ton bureau préféré ?
Tout le temps ! Même pour aller à Nice, je prends ma voiture. J’ai toujours aimé les voitures qui allaient vite, mais qui étaient confortables. J’adore voyager en voiture. Surtout maintenant avec le GPS, parce qu’avant il fallait sortir les cartes, demander son chemin… Là, ça a changé l’histoire de la voiture, parce que je vais d’ici dans n’importe quelle ville d’Europe et je ne me fais pas chier. Voilà, donc t’as un guide pas chiant, quoi. Je fais un tour du monde chaque année : 40 000 bornes !
Le hasard chez moi a toujours eu beaucoup de talent
Et pour garder ton permis ? Tu as tous tes points ?
Maintenant, il y a tellement de radars que je respecte les limitations. Mais je me fais plus chier, je ne sais plus conduire. Là, je suis un danger, moi. Quand je suis à 130 à l’heure, je discute, j’ai mon téléphone bluetooth, je vis quoi, donc je ne conduis plus. Quand je respecte les limitations de vitesse, je suis un danger public. Avant, j’étais un très, très bon conducteur ! Quand j’allais vite. Je suis très bon quand je vais vite.
Hervé Poulain nous a dit qu’il t’avait vendu une de Dion Bouton et que tu l’avais mise dans ton salon ?
Oui, je l’avais mise dans mon salon, parce que c’était un tellement bel objet. Je l’avais fait venir avec une grue pour la rentrer.
Où ça ? Dans ta maison en Normandie ?
Non, ici, boulevard Malesherbes, à Paris, j’avais un grand appartement et j’avais la voiture dans le salon, les gens s’installaient dans la De Dion Bouton
Il y a souvent une part autobiographique dans tes films.
Oui. Un petit peu. J’ai eu sept enfants avec cinq femmes différentes donc c’est un sujet que je connais bien. Dans Itinéraire, c’est pareil, c’était une période de ma vie qui correspondait bien au personnage de Jean-Paul (Belmondo). Je lui en avais parlé à l’époque… Mais je crois qu’il était un peu dans le même état d’esprit. J’ai pensé tout de suite à lui, je l’ai appelé, je lui ai expliqué le scénario, j’ai senti tout de suite que c’était un film pour nous deux. D’ailleurs, c’est le film qu’on aime bien tous les deux. Et je te rappelle que tu joues dedans.
Et la scène culte Belmondo-Anconina : impro ou pas impro ?
Dans tous les films, il y a des figures imposées et des figures libres. Il y a ce qui est écrit, et ce qui ne l’est pas. Comme dans la vie ! il y a ce que vous aviez prévu ce matin de me poser comme questions et puis il y a les questions que vous n’aviez pas prévues, qui sont peut-être les plus intéressantes. Les plus belles scènes de mes films sont celles qui n’étaient pas dans le scénario. C’est comme dans la vie. Je vous le disais tout à l’heure : le hasard a du talent. Le matin, vous vous dites « tiens ben aujourd’hui, je vais faire ça et ça ». Et quand vous regardez le soir, ce qui s’est passé par rapport à ce que vous aviez prévu, c’est dix fois plus fort. Tu te dis la vie a dix fois plus d’imagination que le plus grand scénariste du monde. Donc je laisse la vie rentrer dans mes films un maximum. Si un acteur à un moment donné a des idées, je les utilise. Quand Jean-Paul et Anconina sont face à face, je sens que ça marche bien. Ces gens-là sont de bonne humeur, on a fait une belle journée, on a tourné des belles scènes, et je sens que je peux les embarquer dans un délire et ça marche. La bonne humeur et la mauvaise humeur sont très photogéniques aussi. Ce jour-là, c’est la bonne humeur qui a triomphé. Parce qu’on a fait joujou, on s’est amusé, on s’est dit même « peut être que ça ne sera pas dans le film » tellement on a déliré. Quand on a tourné L’Aventure, c’est l’Aventure, Lino m’a dit « t’inquiète pas, il ne sortira jamais ton film ». C’est aussi une question de disponibilité et de confiance. Quand je tourne avec Trintignant, il me fait confiance… J’ai besoin de travailler avec des acteurs qui me disent oui tout de suite. Je raconte un scénario à un acteur qui me dit « je vais réfléchir, je te rappelle la semaine prochaine », c’est fini, je ne le prends pas. Terminé.
Tu crois toujours en la réincarnation ?
Je crois en l’éternité. Je n’aime pas le mot réincarnation, car il a été galvaudé. Je pense que le meilleur de chacun d’entre nous est conservé, d’une façon ou d’une autre. Les bonnes idées… L’histoire du monde s’est construite avec le meilleur d’entre nous. Sept milliards de gens, il y a des trucs bien qui sont conservés. Je ne sais pas sous quelle forme et comment, mais je crois en l’éternité des belles choses.