Thierry Soave
Christian Estrosi : « et pourquoi, un grand prix de F1, ce ne serait pas pour nous ? »

La France sans Formule 1, une anomalie qui a duré plus de dix ans. Loin du battage médiatique autour de la construction d’un circuit en Ile-de-France (projet abandonné), d’un grand prix à Magny-Cours ou au Mans (irréaliste), Christian Estrosi a œuvré en toute discrétion pour le retour de la F1 sur le circuit Paul Ricard. Un succès pour l’ancien pilote moto (et auto !), qui a donc bien des choses à raconter aux lecteurs de Car Life.

Votre carrière de pilote moto professionnel est connue de tous, ce que l’on sait moins, c’est que vous avez également roulé en Formule 3.

Oui, dans le Championnat d’Europe, en 1984. En même temps que Paul Belmondo d’ailleurs. Parmi les pilotes qui ont fait carrière ensuite, il y avait également Gerhard Berger, Ivan Capelli, et cette jeune pilote française talentueuse, Cathy Muller.

Mais vous avez envisagé sérieusement une seconde carrière en auto ?

J’ai arrêté la compétition moto en 1983, après avoir gagné, entre autres, deux fois le Grand Prix de France. J’ai été tenté, en effet, par la monoplace, mais je me suis vite rendu compte que face à la meute des jeunes loups qui étaient sur des karts depuis l’âge de huit ou dix ans, je n’arriverai pas à accrocher les podiums. Ce qui ne m’a pas empêché de ne jamais quitter cet environnement. Je participe régulièrement à des courses de karting et on m’offre de temps en temps l’opportunité de monter dans une monoplace. Et certains d’être un peu surpris de voir que mes temps sont intéressants.

Votre rêve d’enfant était de devenir Giacomo Agostini (ça c’est trop tard), ou président de la République (ça c’est encore possible) ? Ou les deux d’ailleurs ?!

A l’âge de 14 ans, je faisais des courses de ski, j’avais une mobylette pour aller au lycée et on se tiraient la bourre avec les copains dans l’arrière-pays niçois. Je commençais à feuilleter mes premiers Moto Journal et Moto Revue. Bien évidemment, l’idole de l’époque était Giacomo Agostini et son poster était affiché dans ma chambre.

Après la moto, j’ai tenté la Formule 3, mais je me suis vite rendu compte qu’à 27 ans, face à des jeunes loups qui étaient sur des karts depuis l’enfance, je n’y arriverai pas

Agostini contre qui vous avez finalement couru.

A l’âge de 20 ans j’ai remporté mon premier grand prix devant Giacomo Agostini. La vie a ceci d’exceptionnel qu’à un moment, il y a une circonstance qui transforme un rêve d’adolescent en réalité. Nous sommes d’ailleurs toujours très amis avec Agostini et nous avons roulé ensemble sur un Grand Prix Moto Légende l’an dernier, sur le circuit Paul Ricard avec nos motos de l’époque.

Donc rien qui vous prédestinait à la politique ?

Rien, absolument rien. J’ai toujours été passionné d’histoire et de géopolitique et je dirai que dix ans de championnat du monde moto dans ces années-là était très formateur. Vous avez la guerre froide, vous découvrez à vingt ans les Etats-Unis en allant courir à Daytona. Pour moi l’Amérique, c’était inatteignable. Vous allez courir au Venezuela, en Argentine, à l’époque des dictatures effrénées, vous franchissez le rideau de fer pour courir en Tchécoslovaquie, ou sous Tito en Yougoslavie… Tout cela était pour moi un enseignement extrêmement riche, car j’ai toujours profité de cette opportunité de parcourir le monde si jeune pour, en même temps, pouvoir mieux intégrer ce qu’on nous apprenait dans les livres d’histoire ou de géopolitique. J’ai toujours eu de l’intérêt pour cela. Au fond de moi-même j’étais très Gaulliste, je n’étais pas indifférent à la vie politique et j’ai tout de suite été dans les athlètes de haut niveau qui se sont retrouvés dans les soutiens de Jacques Chirac lorsqu’il a fondé le RPR. A l’époque avec des gens comme Alain Mimoun, Guy Drut, Marielle Goitschel et bien d’autres encore. Mais sans pour autant avoir aucune ambition ni réflexion et m’imaginer un seul avenir dans ce domaine.

Le jeune Christian Estrosi, en championnat du monde.

Mais à quel moment votre situation a-t-elle basculée ?

Je suis né à Nice, fils d’immigré italien, et très attaché à ma ville, ma région.

La ville qui vous a aidé en tant que pilote.

Oui, le maire de la ville de l’époque, Jacques Médecin, qui aidait beaucoup les sportifs de haut niveau comme je le fais moi-même aujourd’hui, m’avait apporté son soutien et j’étais fier de porter les couleurs de la ville de Nice sur tous les circuits du monde. On disait toujours « Estrosi le Niçois », dans les compte-rendu de vos confrères de l’époque. A cet égard, j’étais assez populaire dans ma ville, évidemment. Aux élections municipales de 1983 qui correspondaient à peu près au moment où j’arrêtais ma carrière sportive, il m’a été proposé au titre du RPR, d’être sur la liste de Jacques Médecin, pour remplir les fonctions d’adjoint aux sports. J’ai beaucoup hésité, puis j’ai surtout fait valoir que je n’étais pas très disponible.

Vous prépariez déjà votre après carrière ?

A ce moment-là, je cours pour Pernod Ricard, et en même temps ceux-ci me proposent un plan de carrière chez eux. La proposition qui m’est faite à la mairie, n’est pas une proposition professionnelle d’ailleurs, puisqu’un mandat d’élu local n’est pas une garantie d’avenir, loin s’en faut. J’ai finalement accepté parce que c’est ma ville. Si je peux être un témoignage, si je peux apporter une petite valeur ajoutée à la politique sportive de ma ville, mais sans grandes ambitions… Voilà, et puis je me souviens du jour de l’installation du conseil municipal, je n’ai pas pu siéger, j’ai dû donner ma procuration car je courrais le Grand Prix d’Afrique du Sud à Kyalami. C’est vous dire que je n’étais pas vraiment très décidé à en faire mon centre d’intérêt majeur.

Pour Ecclestone, la France est un enchevêtrement de décideurs et de leviers, tout ce qu’il déteste. Pour la première fois, il avait en face de lui un décideur seul et unique 

Avez-vous trouvé des parallèles entre la compétition et le monde politique ?

Je pense que le tempérament joue beaucoup. Notamment sur les campagnes électorales, même si la vie politique ne se résume pas aux campagnes, car si on n’est pas bon, on ne gagne pas celle d’après. Et là, une autre partie de ma vie s’est construite. J’ai travaillé, j’ai appris, je suis devenu l’un des principaux rapporteurs de la commission des Lois à l’Assemblée, j’ai appris le code de procédure pénal, que je pense maitriser aussi bien que les meilleurs juristes, jusqu’à exercer des ministères, l’Aménagement du territoire, l’Outre-mer, l’Industrie au moment le plus dur, entre 2008 et 2010, où je pense avoir participé au sauvetage de l’industrie automobile française et de l’industrie pharmaceutique.

Rencontre avec le dieu Agostini, ancien rival sur la piste… quelques petites années plus tôt.

Curieusement, le projet du Grand Prix de France s’est matérialisé bien après ce gouvernement, dans lequel il y avait quand même François Fillon, passionné d’automobile, et vous à l’Industrie.

Lorsque nous avons perdu le Grand Prix de France à Magny-Cours il y a dix ans, le Premier ministre était François Fillon. Il m’avait sensibilisé au fait que si on réussissait à rassembler un certain nombre de moyens, le circuit Paul Ricard pouvait être une opportunité pour une nouvelle candidature de la France. Mais cela a été une fenêtre de quelques semaines seulement à l’époque, car Nicolas Sarkozy a été battu à la présidentielle, et il n’a pu y avoir d’aboutissement.

Jusqu’aux discussions récentes avec Bernie Ecclestone…

Au fond, la vie m’a démontré que les concours de circonstances jouent souvent à plein. Il se trouve que j’ai été mis en relation avec Bernie Ecclestone, à la fois par Cyril Abiteboul patron de l’écurie Renault, et Eric Boullier, patron de l’écurie McLaren. Ils avaient dit à Bernie « nous pouvons organiser une discussion avec le Président de la région sur laquelle il y a un circuit qui a fait beaucoup d’investissements ces dernières années et qui est une base pour accueillir raisonnablement un retour du Grand Prix de France ». Et bien évidemment, pour avoir mémorisé un certain nombre de choses quelques années plus tôt, je me suis dit que s’il y avait une ouverture, il fallait surtout la jouer.

Ne pas vouloir le Grand Prix de France, c’est avoir du mépris pour la France

Donc, pas découragé par les échecs précédents ? Plus personne n’y croyait. Surtout avec un gouvernement de gauche, notoirement opposé à ce projet.

Je crois que ce qui a joué en notre faveur, c’est que les interlocuteurs qui nous présentaient à Bernie m’ont aidé à lui démontrer que la France pouvait être autre chose que ce qu’il en pensait, c’est à dire, pour lui, quelque chose de multi-organisationnel, avec un enchevêtrement de décideurs et de leviers. Tout ce qu’il déteste et qui ne lui inspire pas confiance. Pour la première fois, il avait en face de lui un décideur seul et unique. 

Par certaines de ses positions, notamment sur l’automobile, l’ancien ministre détonne dans le monde politique.

Comment se déroule une négociation avec Bernie ?

On peut se dire au départ que l’affect, la relation humaine sont des choses qui comptent peu dans les facteurs de décision. Pourtant, en rentrant dans le fond de la discussion et de la personnalité de l’homme, il y a un moment où, je crois, que quelque chose a accroché. Je pense que c’est quelqu’un qui n’a pas l’habitude de se laisser abuser, qui a rencontré des déceptions avec la France -et je ne veux pas faire de commentaires sur ce sujet-, qui malgré ses doutes, à un moment a fini par y croire. En exigeant, bien évidemment des preuves. Après avoir dit non, non, non, on est arrivé à la discussion de fond. Et Bernie nous a dit, « si nous allons plus loin, je suis prêt à jouer la transparence et à vous montrer les contrats que j’ai avec Spa et Monza, deux épreuves comparables. Et à vous de m’apporter la preuve que vous êtes capables de remplir les mêmes clauses de votre côté ». Il y a un moment où l’on est arrivé à ça. Ensuite, nous avons discuté le nombre d’années, il voulait trois, je voulais cinq, le montant, la caution bancaire, et puis lorsqu’il a eu la démonstration, que par ma voix, toutes les étoiles pouvaient être alignées, il a validé. J’en suis très fier car nous pouvons apporter une belle image au championnat, une image française, méditerranéenne, provençale, pour donner à notre Grand Prix une identité propre. En tout cas, voilà comment on y est arrivé et comment aujourd’hui, cette confiance qui s’est nouée avec Bernie Ecclestone, s’est consolidée avec ses successeurs. Bien évidemment, je sais ce qui pèse sur mes épaules. On n’a pas droit à l’échec.

Ce n’est pas forcément très populaire de se battre pour avoir un Grand Prix en France. Beaucoup de voix s’élèvent contre les sports mécaniques.

Il y a peut-être beaucoup de coups à prendre, mais toute ma vie j’ai pris des coups, toute ma vie j’ai pris des risques dans ce que je réalise dans ma ville au quotidien. Pour moi, la politique n’a de sens que pour servir. Il n’y a pas tant de marques automobiles que ça dans le monde. Nous, nous avons Peugeot Renault, Citroën, DS, Alpine, et nous allons être au rencart du championnat automobile le prestigieux du monde ? Ceux qui ont cette attitude ont du mépris pour la France.

A la commission des lois, j’avais réussi à faire adopter un amendement pour faire remonter la vitesse autorisée de 130 à 150 km/h sur les autoroutes à trois voies

Nicolas Hulot dit qu’il faut carrément supprimer la Formule 1.

Mais qui plus est en matière environnementale ! La plupart des grands progrès que nous avons pu connaître en matière d’innovation sur tous les systèmes de mobilité, c’est la compétition qui en a été à l’origine : nouvelles mécaniques, nouveaux systèmes électroniques… L’écomobilité avance, la Formula E a fait son entrée en France, on ne va pas continuer à être sous-classé en matière d’organisation sportive. Aujourd’hui, le Grand Prix de France fait son retour dans la cour des grands, une semaine après les 24 H du Mans. Le monde entier pendant ces deux semaines va avoir un les yeux braqués sur notre pays. En Formule 1, nous avons trois pilotes engagés, trois directeurs d’écuries, un constructeur motoriste, et Jean Todt président de la FIA. Et les grands prix du championnat du monde de Formule 1, c’est pour les autres ? Pas pour la France ? Ceux qui contestent ça ont peu d’ambition pour leur pays. Moi j’ai de l’ambition pour mon pays.

Vous avez un pilote préféré ?

Oui, j’ai plutôt envie d’être dans la peau de nos trois Français. Je trouve qu’il y a toujours un côté humiliant à ne regarder ou à n’encourager que le plus titré, en considérant que le tour des autres ne va pas arriver. Nous avons eu de grands champions français et quand je vois le talent de ces trois-là et je suis absolument convaincus qu’on aura de belles surprises avec eux.

Vous conduisez toujours sur la route ou vous êtes avec chauffeur ?

Non, je conduis.

Et comment conduisez-vous ?

(silence, puis rires). Je conduis (re-rire). Je conduis prudemment. Mais on ne conduit plus pareil. Nous sommes, ma femme et moi, en train de faire l’acquisition d’une voiture. Ce week-end, nous faisions l’essai d’une BMW i3 et d’une Renault Zoe. Deux voitures formidables, on va vers une conduite différente. Il y a quelques années, la conduite sportive sur route, c’était l’attrait J’aime conduire, mais aujourd’hui, on sait très bien qu’il y a des choses qui ne sont plus possibles Ce n’est plus la conduite sportive qu’on recherche, on recherche la conduite intelligente. Sachant que, si j’ai envie de me faire un petit plaisir, j’ai toujours des amis qui me proposent deux fois par an de monter dans une bagnole ou une moto. Voilà, je n’ai pas le droit de donner le mauvais exemple. Mais je dirai clairement que je suis en désaccord total avec la vitesse à 80 km/h sur routes nationales. Des pays, qui ont remonté la vitesse sur les route, ont moins d’accidents que quand ils l’avaient baissée.

Pourquoi cette mesure à votre avis ?

Je ne l’explique pas, ça fait partie des choses que j’ai du mal à comprendre.

A l’inverse, en 2003, vous avez déposé un amendement pour un relèvement de la limitation de vitesse sur l’autoroute à 150 km/h.

C’est vrai (rires) ! Un fantastique souvenir. A la Commission des lois, j’avais réussi à faire adopter un amendement qui augmentait la limitation de vitesse de 130 km/h à 150 km/h sur les autoroutes à trois voies, pour la file la plus à gauche. Une expérimentation qui avait fait ses preuves et donc je l’avais proposée. La commission des Lois m’a suivi, gauche et droite confondues d’ailleurs ! J’ai reçu un appel du ministre de l’Intérieur, mon ami Nicolas Sarkozy, furieux comme tout, « qu’est-ce que tu es en train de me faire ! Tu ne te rends pas compte, tu as intérêt à retirer ton amendement en séance ». Je lui ai dit, Nicolas, sincèrement, je pense que beaucoup de français ne perçoivent pas cette mesure comme quelque chose qui apporte de l’insécurité. Aujourd’hui, ce n’est pas la surenchère dans la baisse de la vitesse qui nous fera gagner la partie de l’accidentologie. Au contraire, c’est en travaillant sur les points noirs, les endroits où il faut baisser la vitesse, les endroits où il faut laisser plus de souplesse… Bon, j’ai eu du mal à me faire entendre sur ce sujet et je n’avais pas envie d’ouvrir un conflit avec celui qui par ailleurs a été si utile à notre pays.



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