Car Life
Brian Johnson : « je conduis comme je chante : à fond la caisse ! »

Quand il n’est pas sur scène à électriser des milliers de fans avec sa voix reconnaissable entre mille, le chanteur du groupe AC/DC n’aime rien tant que rouler vite sur circuit. Pour Car Life, ce véritable petrolhead (en anglais dans le texte) retrace plus d’un demi-siècle de passion automobile.

Les voitures et le rock’n’roll, ça va ensemble ?

Oui, je l’ai toujours pensé, comme beaucoup de gens. Un automatisme qui remonte à ces vieux films avec Elvis Presley, dans lesquels on voyait toujours de super voitures et tout l’univers qui allait avec. C’était un monde tellement lointain de celui du nord-est de l’Angleterre où j’ai grandi. Puis sont arrivés les Beatles et les Rolling Stones, puis l’Austin Mini qui était considérée comme une voiture super cool. Tout le monde en avait une : la famille royale, les stars du rock, et ton père pouvait en avoir une. C’était LA voiture.

Qu’est-ce qui vous intéresse le plus dans l’automobile ?

J’aime l’histoire des pionniers, la vision qu’ils avaient de l’automobile à ses balbutiements. Des rêveurs qui ont concrétisé leurs rêves, et des rêves à bord desquels on roule encore.

Et cet intérêt remonte à l’enfance…

Oui, alors qu’il n’y avait justement aucune voiture dans la rue ou j’habitais, dans le nord-est de l’Angleterre. Dans les années 50, l’essence était rationnée et les automobiles très chères, inaccessibles aux personnes ordinaires. A mesure que je grandissais, u-il en apparaissait de plus en plus : Riley, Austin, Morrisson. Et c’était excitant, parce qu’à l’époque le seul moyen de se déplacer était encore le bus.

Première expérience en circuit, premier crash et transfert en hélico au centre médical. C’était marrant !

Vous vous rappelez de vos premières virées en voiture ?

La première fois, c’était à bord de la Vauxhall noire de mon oncle Bill. De toute façon, toutes les carrosseries étaient noires à l’époque. Je me souviens de l’excitation qui était la mienne, avec l’odeur de la mécanique et les fumées qui s’en échappaient. Nous étions partis en vacances avec, une caravane accrochée à l’arrière. On avait dû parcourir une cinquantaine de kilomètres en sept heures, ou un truc du genre. J’exagère un peu, mais on se traînait sacrament à l’époque ! Un souvenir merveilleux, dont je garde un souvenir vivace.

Quelle a été votre première voiture ?

Une Ford Popular, en 1959. J’avais 17 ans et mon père, pas vraiment du genre chaleureux, m’en a juste tendu les clés et dit : “vas-y”, sans même ajouter “bon anniversaire”. J’étais fou ! Elle était beige, avec un intérieur saumon. C’était horrible, mais je m’en fichais. C’était la liberté ! Que j’ai aimé cette Ford !

Brian Johnson est le chanteur du groupe rock AC/DC, qu’il a rejoint en 1980 pour remplacer le défunt Bon Scott. La dernière tournée mondiale du groupe, entre 2008 et 2010, a rassemblé environ 5 millions de personnes dans 108 pays.

Et comment en êtes-vous arrivé à vous intéresser au sport automobile ?

C’était l’époque où dominaient Stirling Moss et d’autres grands pilotes anglais. On avait la meilleure musique pop avec les Beatles, la meilleure voiture avec la Mini, et tout le monde aimait l’Angleterre ! Je pense qu’on avait encore un programme spatial à l’époque. Il y avait un engouement autour du sport auto, et j’étais fasciné par ces pilotes que je considérais comme des héros, des chevaliers que seul protégeait leur modeste casque. C’était si excitant à regarder. Je pense que tous les enfants du monde rêvaient alors d’être pilote de course !

Et comment vous y êtes-vous mis ?

Je m’y suis mis il y a 16 ans. Ma femme et moi nous sommes inscrits à un stage de pilotage de 4 jours, en Californie, et j’y suis retourné plusieurs fois afin de grimper les échelons. Tu reçois un certificat à la fin, qui atteste de ta capacité à t’aligner en course. Je me suis ensuite offert ma première voiture de course une Lotus Cortina Mark 1. Elle pourrissait dans un jardin en Floride, je l’ai récupérée pour 200 $. Le type n’en revenait pas, je crois qu’il m’aurait plutôt donné 20 $ pour que je l’en débarrasse ! Je l’ai ensuite transformée en bolide. La première fois que je l’ai emmenée sur circuit, à Road Atlanta, je me suis crashé sous la pluie à près de 150 km/h et l’ai entièrement détruite après une série de tonneaux ! Il faut dire que je n’avais pas de pneus pluie, ni même d’essuie-glace… Mais j’ai eu droit à un transfert en hélico jusqu’au centre médical, c’était marrant !

Ma première voiture, une Ford Popular offerte par mon père. Elle était horrible, mais je m’en fichais, c’était la liberté

Et votre première voiture de course digne de ce nom ?

Une Royal RP4, que je possède toujours et avec laquelle j’ai gagné pas mal de courses et réalisé plusieurs podiums. Elle était fabriquée au nord de Londres, 12 exemplaires en ont été produits en 1971 et il en reste 7 aujourd’hui. De bonnes voitures, hélas pas au niveau des Lotus avec lesquelles elles cherchaient à rivaliser. Je l’adore, et je cours encore à son volant.

A part celle-ci, de quoi se compose votre cheptel ?

J’ai aujourd’hui quatre voitures: une Lola T70 Mark 1 avec un V8 de 204 ch, une vraie fusée. J’ai aussi une Pillbeam, voiture anglaise, et une Porsche 914-6 que conduit ma femme.

Début des années 80, AC/DC au grand complet après le décès de Bon Scott : Cliff Williams (basse), Malcolm Young (guitard), Brian Johnson (chants), Malcolm Young (guitard), Phil Rudd (batterie).

Et laquelle est votre favorite ?

Mon Austin Mini Cooper S, que j’ai achetée l’an dernier et qui est de loin la plus amusante du lot. Je suis allé voir son propriétaire, qui a au départ refusé de me la vendre, avant de se raviser. J’ai couru 5 fois avec l’an dernier en Europe, et j’ai pris un plaisir incroyable à son volant. Je me marre tellement que j’ai des crampes aux mâchoires quand j’en descends !

Existe-t-il des similarités entre la musique d’AC/DC et le fait de conduire des voitures rapides ?

C’est évident pour tout le monde, je pense. Il y a la foule, le bruit, l’excitation, la ligne d’arrivée, la fin du spectacle, tout ça réuni. Sur scène, quand tu perçois l’énergie de 100 000 spectateurs, quelle folie ! Certes, rien ne sera jamais aussi fort que le moment où ils scandent ton nom. Mais juste derrière en termes d’intensité, il y a le moment où tu te trouves sur une ligne de départ, au milieu d’une quarantaine de V6 et V8 des années 60 et 70. Je parle de gros moteurs qui pétaradent, dans des McLaren, des Lola ou des Chevron. Quand le drapeau s’abaisse, c’est carrément le tonnerre de Zeus !

Courez-vous souvent ?

Aussi souvent que possible. J’ai découvert le circuit de Goodwood récemment, et j’ai horreur de la phase de découverte d’un nouveau circuit. Tu n’as pas encore tes points de repère et tu te traînes comme un idiot. Mais cela vaut mieux que de pêcher par excès d’optimisme, ce qui finit souvent en crash.

Les pilotes vous fascinent toujours autant ?

J’adore Valentino Rossi, à moto. Il est très rock’n’roll, avec en même temps ce sens du style et cette classe dont les italiens ont le secret. Je l’admire assez, oui.

Quels sont vos circuits favoris?

Mes circuits préférés sont Road Atlanta, Sebring, Zandvoort et Brands Hatch. Par contre, je n’ai toujours pas bien mémorisé Silverstone ! Je risque de m’y perdre !

Les racines du groupe sont en Australie. Vous y courez aussi ?

Non, c’est trop loin, trop cher et trop compliqué de s’y rendre avec des voitures. Je ne m’imagine pas les charger dans un cargo et attendre des semaines qu’elles arrivent. La seule solution serait de s’y rendre à l’invitation d’une équipe locale avec laquelle je participerais à une course. J’adorerais ça, surtout qu’ils ont un paquet de bons pilotes par là-bas ! Ce serait super de rouler à Bathurst, par exemple.

Comme pilote, Brian Johnson a notamment participé aux 24 Heures de Daytona 2012. En 2014, il a présenté une série de documentaires sur des voitures qui l’ont marqué : “Cars that rock with Brian Johnson”.

Que pensez-vous des voitures australiennes?

Très rapides ! Les australiens aiment les V6 et les V8, ces gros moteurs plein de chevaux qu’on retrouve sous les capots des Holden et des Ford. Il y a toujours eu cette dualité là-bas : tu es soit un “Holden man”, soit un “Ford man”, comme en Amérique ou tu es soit un “Chevy man” soit un “Ford man”. Tu dois choisir ton camp.

Mais cette opposition devient un peu artificielle…

Tu parles! C’est la mondialisation, les voitures perdent leur âme. Avant tu différenciais une Ford d’une Vauxhall, d’une Toyota ou d’une Nissan. Aujourd’hui ça devient impossible. Cela explique aussi la popularité de la Fiat 500, elle a un look retro qui plait à tout le monde.

Un mot rapide sur AC/DC. C’est dingue que le groupe dure depuis plus de 40 ans.

Jamais on n’y aurait cru, c’est sûr ! Et il faut que ça continue. Je veux me prouver que je peux toujours tenir sur scène pendant deux heures, comme je l’ai toujours fait. Je n’ai aucune intention de me retirer, du moins tant que je suis en forme pour chanter. Et je ne veux surtout pas laisser tomber les gars.

Quel est votre rapport à la célébrité ?

Nous ne nous considérons pas comme des célébrités. Ce n’est pas notre truc, on ne sait pas faire. On garde les pieds sur terre. Moi, je suis juste un petit gars du nord est de l’Angleterre, comment prendre la grosse tête ? Surtout, j’aime être tranquille durant les week-ends de course. Je veille à ce que le speaker évite d’annoncer qu’il y a le gars d’AC/DC présent sur le circuit. Je sais que ça attirerait plus de monde, mais tant pis. De toute façon, j’ai horreur de la célébrité et de ces gens qui se prennent pour des stars.

Comment se passent vos retrouvailles avec les membres du groupe ?

On s’est retrouvés en mai, à Vancouver, quatre ans après la fin de la dernière tournée à Jerez. Dans ces cas là, on s’assoit, on discute, on voit ce qu’il en sort… On a passé deux semaines en studio, à voir ce sur quoi les uns et les autres avaient travaillé dans leur coin. Les deux premiers jours on fait de la m…, après quoi on avance.

Vous n’arrêtez jamais…

C’est aussi comme ça que je chante : à fond la caisse! Tant que je le pourrai, je continuerai ! Je ne sais faire que comme ça, je chante comme si j’étais un jeune homme. Malgré mes 66 ans, je suis fier de tout donner et d’y aller à fond.

Rendez-vous pour les cinquante ans du groupe, donc.

Là, je ne suis pas certain de pouvoir en dire autant côté chanson. Par contre, si la question est de savoir si je roulerais toujours pied au plancher avec un V8, ma réponse sera toute différente !



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