Avec un nombre de milliardaires en constante augmentation, le marché de l’automobile de luxe ne s’est jamais aussi bien porté. Si pour le commun des mortels l’idée de dépenser plusieurs centaines de milliers, voire millions d’euros dans une auto est un concept à peine imaginable, c’est la réalité de quelques privilégiés triés sur le volet par les plus prestigieux constructeurs du monde.
C’est sous un soleil de plomb que le circuit varois du Paul Ricard a accueilli fin juin une manche des Blancpain GT Séries : une compétition réunissant pilotes professionnels et amateurs très éclairés au volant de véritables voitures de courses. Un spectacle passionnant qui s’est pourtant fait voler la vedette par les membres de l’Ultracar Sports Club fondé par Stéphane Ratel. Ferrari LaFerrari, Bugatti Veyron Vitesse, McLaren P1, Lamborghini Veneno, Pagani Huayra… toutes ces autos et bien d’autres étaient présentes pour se dégourdir les cylindres.
Certes si vous habitez Paris, Genève, Londres ou Monaco vous aurez peut-être la chance d’en croiser. Mais honnêtement combien de vous en ont déjà vu se brûler la gomme sur circuit ? Habituellement les propriétaires de ce genre d’autos ne sont pas friands de piste. Cela peut paraître paradoxal car c’est bel et bien le seul endroit où l’on peut les exploiter. Alors la prouesse de réunir sur le même lieu autant de bolides : on a dénombré six McLaren P1 (oui vous avez bien lu, six !) a attiré une foule que l’on avait jamais vu aussi nombreuse au Paul Ricard. Ainsi il fallait s’armer de patience pour pouvoir faire un « selfie » avec ces usines à rêve. Et à ce jeu c’est d’ailleurs l’unique LaFerrari présente ce jour qui a conquis les cœurs. Est-ce sa rareté ou sa couleur rouge unie ? Un peu des deux, mais aussi et surtout grâce Gilbert son propriétaire, collectionneur depuis plus de trente ans. Jamais avare en anecdotes sur ses autos il répond avec grand plaisir aux indiscrétions des passionnés. Si de nombreux propriétaires de Supercars préfèrent rester discrets, lui aime partager. « Quand tu achètes une Ferrari, tu l’achètes bien évidemment pour toi, mais aussi pour les autres. Il est important de partager ce privilège et de permettre aux gens de rêver ». Tout est dit. Gilbert ne sort pourtant pas sa « folie » à n’importe quelle condition. Rouler avec une auto de ce calibre sur circuit implique des frais d’entretiens importants sans compter les risques d’accident. Au cours de journées de roulage qui mêlent supersportives et Supercars, gentlemen drivers aguerris et débutants, l’accrochage est vite arrivé. Réparer une 458 Speciale coûtera beaucoup moins cher qu’une LaFerrari. En cas d’accident sa côte pourrait également être fortement impactée : les collectionneurs n’aiment généralement pas acquérir une auto ayant un historique fâcheux et la pénalité ici peut se chiffrer en centaine de milliers d’euros. Rajoutons à cela le côté émotionnel : « l’abîmer me ferait mal au cœur, elle est tellement exceptionnelle ».
Ces arguments sont partagés par de très nombreux propriétaires qui malgré leur envie sont très souvent réticents à l’idée de mettre le joyau de leur collection sur circuit. Stéphane Ratel l’a bien compris et c’est pour cela qu’il a créé l’Ultracar Sports Club. Les conditions d’éligibilité ? Posséder une Supercar. Mais comment la définir ? Au final la liste des modèles éligibles au statut de Supercars – que la presse britannique n’hésite pas à baptiser hypercars ou ultracars – est assez restreinte. A vrai dire ils étaient presque tous présents au Paul Ricard à l’exception de la Porsche 918 Spyder. Les Aventador, F12berlinetta et autres supersportives devaient quant à elle se contenter du parking visiteur. Il leur est impossible de rejoindre le club. Ici le prix de l’auto la moins chère ne descend pas en dessous du million d’euro. On comprend donc la réticence de certains collectionneurs à rouler trop souvent avec… Sauf quand il s’agit de se retrouver entre propriétaires de Supercars. Sur la piste, chacun est conscient de la rareté de l’auto de l’autre et se montre extrêmement précautionneux. Cela ne veut pas dire pour autant que les sessions de roulage sont au ralenti, mais il n’y a pas de compétition à proprement parler. Du siège passager de LaFerrari doubler et se faire doubler par une McLaren P1 GTR, une Pagani Zonda R ou l’une des trois Lamborghini Veneno le tout à plus de 270 km/h, reste un moment irréel. Non pas que faire la même en McLaren 650S face à une Aventador ne l’est pas, mais il s’agit là d’un tout autre monde. Le public est entassé dans les gradins et sur les terrasses, les onomatopées et superlatifs fusent. La joie et le bonheur se lisent sur chaque visage.
Que dire de la symphonie orchestrée par ces monstres rugissants dont nombreux dépassent pour la première fois les 6 000 tr/mn ? C’est tout simplement un régal. Le retour au paddock tourne à l’embouteillage car manœuvrer n’est pas si facile, surtout lorsque des centaines de personnes sont hypnotisées derrière leur appareil photo. Et quand ils découvrent qu’au volant de LaFerrari se trouve la fille de Gilbert (notre propriétaire de la version FXXK) les mâchoires se décrochent et certains qui pensaient que ce milieu était exclusivement masculin sont ravis de cette surprise. Il faut avouer que cela n’est tout de même pas courant. Les questions fusent : « Pourquoi avoir acheté une LaFerrari ? Est-ce facile à conduire ? Peut-on prendre une photo avec vous ? ». Un moment un peu embarrassant pour Séverine qui se prête tout de même au jeu. La présence sur la piste de la jeune femme n’est pas passée inaperçue non plus du côté des autres membres du club. Pierre-Henri Raphanel, le pilote maison de Bugatti et recordman du monde avec 431 km/h atteint en Veyron Super Sport ne manque pas de venir la féliciter et lui propose de prendre le volant de sa Bugatti en échange d’un tour en italienne !
Les autos mais pas seulement
L’Ultracar Sports Club n’est pas qu’une affaire de roulage. C’est un vrai club qui a compris les envies et les besoins de ses membres. La preuve avec une loge dédiée dans laquelle ils se retrouvent tout au long du week-end. Ici pas de public, juste les pilotes et leurs proches dans une ambiance décomplexée. Autour d’un déjeuner haut de gamme on discute trajectoires et points de freinage avec Chris Goodwin, pilote maison McLaren venu aujourd’hui avec une P1 GTR, horlogerie (certains portent au poignet des montres au prix plus élevé que celui d’une Lamborghini Aventador), on se conseille sur les jets privés et hélicoptères, on lance des débats œnologiques. On échange parfois même des voitures : « ça te dit ma 911 GT2 contre ta Murcielago ? ». Une poignée de main plus tard l’affaire est réglée. On aura vu dans le week-end des contrats se conclure et des chèques de montants astronomiques s’échanger le tout dans la plus grande simplicité. L’ambiance détendue et la bonne humeur de chacun y sont propices. Mais chut ! Ce qui se passe dans la loge, reste dans la loge.
C’est l’une force de ce club : rassembler autour de la passion automobile de riches collectionneurs d’automobiles rarissimes et leur permettre de nouer des liens, tout en profitant de leurs belles mécaniques. Le tout en offrant un spectacle inoubliable au public. Une recette gagnante qui assurera, on l’espère, la pérennité de ces évènements dont le prochain aura lieu à Misano en Italie le 3 octobre prochain. Pour poursuivre l’expérience et garder contact, les membres ont d’ailleurs une application dédiée. Développée par Icodrive, elle leur permet de rester au courant de l’actualité du club, d’échanger avec les membres, de comparer les chronos, etc. Un excellent moyen de tisser les liens entre deux évènements.
Acheter une supercar pour quoi faire ?
Par coup de cœur
Sur la route le conducteur d’une McLaren P1 ou d’une Bugatti Veyron devient aux yeux de la loi un dangereux criminel en une poignée de secondes sans même avoir eu le temps d’enclencher le tiers des rapports ni exploiter 50% de la puissance de son auto. Pour faire de la piste il préfèrera prendre une auto moins chère, moins rare et au final suffisamment performante. Gilbert, propriétaire de LaFerrari le reconnaît : sur le circuit il s’amuse tout autant avec sa 458 Challenge qui offre des performances suffisantes pour son niveau de pilotage. Qui peut mener une Supercar dans ses derniers retranchements si ce n’est un pilote professionnel ? Pourquoi dépenser plus d’un million d’euros pour une auto que l’on n’exploitera jamais ? « C’est une histoire de cœur » répond Gilbert. « Je les ai toutes eues : 288 GTO, F40, F50, Enzo. Quand LaFerrari est sortie j’ai dit non. Je la trouvais sublime mais trop chère, trop puissance, je savais que je ne pourrais pas en profiter pleinement ». Ce n’est que dix-huit mois après la présentation qu’il craque. En visite à l’usine pour configurer sa 458 Aperta, les dirigeants de Ferrari lui montre la ligne d’assemblage de LaFerrari. « Une telle beauté, un tel savoir-faire, ça a été la révélation ». Dans la foulée il configure son exemplaire. Contre l’avis du staff de la marque il ne cède pas au bi-ton. Sa décision est payante, son auto est l’une des seules à être sortie rouge unie. Un choix qui révèle encore plus les lignes aérodynamiques de l’auto et lui donne une plus grande élégance que le combo rouge / toit noir. « Sur le coup je savais que c’était une grosse folie de dépenser autant d’argent pour une auto, mais voilà c’est la magie Ferrari, on ne peut rien y faire ». Et comme pour se le rappeler à chaque utilisation il a fait graver sur le volant l’inscription « Ma Folie ».
Depuis sa livraison en janvier dernier l’auto a peu roulé, la faute à une météo peu capricieuse. Mais dès que les conditions le permettent il ne manque pas de partir au petit matin sur les petites routes de campagne pour se faire plaisir. « Tu n’as pas besoin d’aller vite pour prendre du plaisir, ces routes sont exigeantes, ça pousse, ça tourne, ça freine, je m’amuse beaucoup et je ne parle même pas du son du V12 ! ».
Pour ce qu’elle représente
Et les anciennes dans tout ça ? Gilbert en a quelques-unes et quand il en parle c’est surtout à propos de l’esthétique comme pour sa Corvette C1 ou sa Dino que pour leurs performances.
Le monde des collectionneurs de supercars est assez différent de celui des anciennes et il est rare qu’un collectionneur dispose en quantité des deux dans son garage. Cela vient également de l’utilisation et du profil des clients. Les membres de l’Ultracars Sports Club qui utilisent leurs autos sont une caste à part. De très nombreux propriétaires de Supercars et hypercars roulent très peu avec leurs autos comme l’explique Didier (son prénom a été changé) voiturier à Monaco et bien qu’il ne faille pas généraliser, il s’agit souvent d’un effet de mode : « Nous avons de vrais passionnés mais c’est pour beaucoup un moyen d’étaler leur richesse. Si l’ami ou le voisin a une Bugatti Veyron, il leur en faut une et si une autre plus chère plus puissante sort, il la leur faut aussi ». Il raconte ainsi que lors d’un réveillon de la Saint-Sylvestre, un client âgé d’à peine une trentaine d’années est venu avec une Bugatti Veyron. En voyant qu’il y en avait déjà deux garées, il est reparti chez lui chercher sa Ferrari Enzo. De fait ces autos là totalisent un faible kilométrage et sortent rarement des rues de la Principauté dans lesquelles elles évoluent à une vitesse indigne de leur conception.
Posséder une Supercar est ici un signe extérieur de grande richesse. Il n’y a qu’à observer le ballet incessant de bolides le week-end du Grand Prix pour s’en convaincre. Que dire des collectionneurs du Moyen-Orient dont les voitures sont livrées par camion au pied des palaces parisiens et n’en bougent que temps en temps pour un aller-retour sur les Champs-Elysées ? C’est encore un autre monde. Certains collectionneurs possèdent même jusqu’à dix exemplaires de chaque modèle ! En France les mentalités sont différentes et les collectionneurs préfèrent rester cachés. Les trois-quarts des supercars présentes dans l’Hexagone ne seront jamais vues par le public. Il y a à ce jour une dizaine de LaFerrari en France, seulement deux ou trois ont été aperçues ! Les anglais et les américains ont quant à eux plus de chances. Les collectionneurs sont friands d’automobiles et n’hésitent pas à les utiliser au quotidien comme sur de nombreux évènements tout au long de l’année. Certains sont même hyperactifs sur les réseaux sociaux comme « @Salomondrin », un collectionneur américain qui poste très régulièrement des photos de ses aventures en Pagani Huayra ou en Porsche 918 Spyder. Le succès est au rendez-vous et il est devenu une vraie star du web, car si l’on aime bien voir et entendre ces autos, écouter leurs propriétaires nous en parler est encore plus palpitant.A l’opposé il y a ceux qui préfèrent les laisser dans leur garage / musée et ne les font jamais rouler. Certains poussent même le vice à les enfermer sous des bulles géantes ventilées censées préserver l’auto. L’esthétique et l’objet priment sur son utilisation. Un peu dommage non ? Surtout qu’au final ce n’est pas nécessairement bon pour la mécanique. Cela n’empêche pas ces exemplaires d’être revendus beaucoup plus chers qu’un exemplaire correctement kilométré et entretenu dans les règles de l’art.
Pour spéculer ?
A l’opposé des GT et supersportives qui subissent une décote lourde durant leurs premières années de vie, les Supercars eux ne cessent de voir leur côte grimper. A la fin des années 80 par exemple certains bons de commande de F40 s’échangeaient jusqu’à sept fois le prix de l’auto. Aujourd’hui cette folie est terminée mais les productions toujours limitées et la demande croissante des clients empêchent toute baisse de prix. Ainsi la côte des précédentes Supercars de Ferrari ont profité de la commercialisation de LaFerrari.
Ceux qui n’en ont pas eu se sont rabattus sur elles et se sont également empressés d’acheter quelques autos neuves. Un geste qui n’est pas anodin : comme nous l’a expliqué Gilbert on ne commande pas une LaFerrari comme on commande une 488 GTB. C’est l’usine qui décide ou non de vous la vendre. C’est une façon de maîtriser son image de marque et d’éviter la spéculation (ou du moins d’essayer). Ainsi pour espérer être autorisé à payer plus d’un million d’euros pour le Graal il faut être un client régulier de la marque (certains parlent de l’achat d’au moins cinq Ferrari neuves au cours des dernières années). Il existe également une clause interdisant la revente de l’auto avant deux ans. Légalement rien n’oblige les clients à la respecter : la preuve certains exemplaires sont sur le marché à un prix avoisinant les 2,5 millions d’euros soit le double de la valeur d’achat. Toutefois Ferrari garde trace de chacune de ces autos et il est certain que ce client n’aura plus les faveurs des décideurs de la marque…
Est-ce que l’on pense déjà au prix de revente lors de la commande ? « On y pense forcément un peu car c’est une somme très conséquente mais ce n’est pas ce qui détermine l’achat, je marche au coup de cœur » explique Gilbert. La revente de LaFerrari n’est pas d’actualité mais il sait que ce jour viendra. « Avec ma famille et mes amis nous allons vivre de belles aventures et puis viendra le moment où je m’en séparerais. On ne peut pas garder toutes les voitures, il faut savoir tourner la page. Rien de m’attriste plus que de ne pas faire rouler mes autos donc je préfère les transmettre à quelqu’un qui vivra à son tour d’extraordinaires moments avec elles ». Parmi toutes les supercars qu’il a possédé, il n’en a gardé qu’une seule depuis sa sortie, sa F40 : « Tu peux conduire toutes les voitures du monde, une fois que tu as goûté à la F40 tu y reviendras toujours ». C’est ce que l’on appelle une déclaration d’amour.