Eléna Lucas
Pilote de F1, le plus dangereux métier du monde

La Formule 1, le plus dangereux de tous les sports ? Assurément. Si la sécurité a énormément progressé ces dernières années, le métier de pilote de Grand Prix reste exposé à un taux de mortalité absolument effroyable.

C’est difficile à imaginer aujourd’hui, mais il faut bien comprendre qu’à l’origine de la compétition automobile, la sécurité du pilote –et même des spectateurs !- ne constituaient pas une préoccupation majeure. A la vérité, on n’y pensait même pas trop, ce qui arrangeait bien tout le monde. Non pas que les pilotes ne tenaient pas à leur vie, mais pour eux, le seul moyen de la préserver consistait à ne pas sortir de la piste. En cas d’accident, on acceptait que la mort ou la blessure grave soit la plupart du temps la sanction immédiate. Ainsi, jusque dans les années 60, les pilotes roulaient avec un casque ouvert, moins résistant qu’une coquille de noix, et se lançaient à travers les bois ou entre les murs à 300 km/h sans être attachés.

Pourtant, dès cette période, certains pilotes commencent à sensibiliser le pouvoir sportif sur les améliorations pouvant être apportées aux véhicules et aux circuits. Le plus actif fut Jackie Stewart, miraculé de cette période, mais aussi triple champion du monde (1969, 1971, 1973) et accessoirement inventeur du sponsoring -il est écossais !

Voilà comment étaient protégés les pilotes dans les années 50 : casque qui ne sert à rien, lunettes contre les moustiques, gros pull pour ne pas avoir trop froid, et hop, roulez. Fangio survivra miraculeusement à cette époque, pas Peter Collins (à droite) qui trouvera la mort sur le Nürburgring.

Le problème est que la course automobile est un sport. Par définition, ses acteurs ne participent donc que pour une seule raison, gagner : les pilotes, les ingénieurs, les team-managers, les constructeurs, les sponsors… Par exemple, pendant longtemps, le poids des voitures n’était pas réglementé. Il fallait donc construire le plus léger possible. Ainsi, installer un peu de mousse autour de l’habitacle ou une structure déformable devant ses pieds était considéré comme une incongruité, puisque ce poids supplémentaire occasionnait une perte de performances. Ce n’est que lorsque ces règles deviendront obligatoires que l’on verra apparaître les premières ceintures, les réservoirs souples ou les crash-box à l’avant des monoplaces. Ce qui, dans un premier temps, ne changea d’ailleurs pas grand-chose pour deux raisons : les voitures roulaient de plus en plus vite, aggravant les conséquences des accidents, et les ingénieurs traitaient ces considérations réglementaires de façon très superficielle, préférant consacrer leur énergie et leur matière grise à la performance. Par exemple, malgré l’obligation en 1961 de disposer d’un extincteur dans la voiture et d’installer des réservoirs protégés par des revêtements ignifugés, le feu continuera ses ravages avec les morts de Lorenzo Bandini, Roger Williamson ou Ronnie Peterson, brûlés vifs dans leur monoplace, sans oublier Niki Lauda, miraculé des flammes de sa Ferrari entièrement calcinée. A chaque choc violent, l’auto flambait comme une allumette ou se désintégrait comme un château de carte. Ces deux problèmes furent réglés dans les années 80. Les réservoirs souples deviennent enfin totalement hermétiques, même en cas de gros chocs, et la coque carbone, qui remplacera les panneaux d’aluminium rivetés en 1983 pour l’efficacité de la tenue de route, se révèle être une excellente protection pour le pilote.

Symbole de la banalité des accidents, le pauvre Lorenzo Bandini meurt brûlé vif dans sa Ferrari pendant que la course continue.

L’autre source de progrès vient des circuits. Si les concepteurs de monoplaces faisaient preuve d’un inexcusable manque de zèle sur ces questions sécuritaires, que dire des propriétaires de circuit, totalement désintéressés par ce sujet ? Pensez donc, investir des fortunes dans des glissières, des rangées de pneus ou des modifications de tracé, tout ceci ne faisaient pas venir un spectateur de plus, donc pas gagner le moindre centime. Si le feu représentait la hantise des pilotes, leur deuxième source d’inquiétude était de rencontrer un obstacle en cas de sortie piste : arbre, maison, rocher, réverbère (à Monaco !)… C’est donc très tard, à la fin des années 90, soit bien après les Formule 1, que les circuits devinrent des endroits sûrs pour les voitures de course. Souvenez-vous que Senna s’est tué en heurtant un mur placé devant un virage négocié à 300 km/h ! Pour autant, on aurait tort de croire que la Formule 1 est devenu un sport sans risque. Au départ d’une course, tous les pilotes jouent leur vie. Si aucun accident n’est venu endeuiller un Grand Prix depuis 1994, c’est bien sûr grâce à tous ces efforts consentis dans la réglementation, mais aussi grâce à l’incroyable adresse des pilotes…  et à la chance. Régulièrement, certains accidents se terminent sans bobo parce que le hasard en a décidé ainsi. Autant de miracles qui forcent encore et toujours l’admiration. D’hier ou d’aujourd’hui, ces gens-là sont décidément différents.

L’effroyable crash de Spa 2012 provoqué par Romain Grosjean. Tout le monde sans sortira sans bobo. Un miracle.

Pilotes de F1 morts au volant

Sont indiqués dans ce tableau les décès en compétition des pilotes de Formule 1 depuis la création du championnat du monde en 1950. Sont considérés comme pilotes de Formule 1 les coureurs ayant pris part à au moins un Grand Prix dans leur carrière. Nous avons également comptabilisé les décès survenus à l’occasion d’épreuves hors Formule 1 auxquelles ils participaient régulièrement jusque dans les années 80. Les exemples les plus marquants étant Jim Clark, disparu à l’occasion d’une course de Formule 2, ou Bruce McLaren dans une Can-Am, alors qu’ils étaient tous deux au sommet de leur art en Formule 1. En revanche, nous n’avons pas intégré les 500 milles d’Indianapolis qui faisait pourtant partie du championnat du monde de Formule 1 des 1950 à 1960. Sur ces 11 éditions, 8 pilotes trouvèrent la mort (!), mais il s’agissait de pilotes américains qui disputaient exclusivement leur propre championnat.

ANNEEPILOTENATIONALITELIEU DE L’ACCIDENTDISCIPLINEVEHICULESESSION
1950Joe FryAngleterreBlandford Camp (Angleterre)MonoplaceFreiwagenCourse
 Raymond SommerFranceCadours (France)Formule 3CooperCourse
1952Luigi FagioliItalieMonaco (Monaco)Formule 1Alfa RomeoEssais officiels
1953Charles de TornacoBelgiqueModena (Italie)Formule 1FerrariEssais privés
 Felice BonettoItalieSilao (Mexique)Voiture de SportLanciaCourse
1954Onofre MarimonArgentineNurburgring (Allemagne)Formule 1MaseratiEssais officiels
 Guy MairesseFranceMontlhéry (France)Voiture de SportTalbotEssais privés
1955Alberto AscariItalieMonza (Italie)Formule 1FerrariEssais officiels
 Pierre LeveghFranceLe Mans (France)Voiture de SportMercedesCourse
 Don BeaumanAngleterreRathnew (Irlande)Voiture de SportConnaught Course
1957Ken WhartonAngleterreArdmore (Nouvelle-Zélande)Voiture de SportFerrariCourse
 Eugenio CastellotiItalieModena (Italie)Formule 1FerrariEssais privés
 Piero CariniItalieSt Etienne (France)Voiture de SportFerrariCourse
 Herbert MacKay-FraserEtats-UnisReims (France)Formule 2LotusCourse
 Bill WhitehouseAngleterreReims (France)Formule 2CooperCourse
 Alfonso de PortagoEspagneGoito (Italie)Voiture de SportFerrariCourse
1958Luigi MussoItalieReims (France)Formule 1FerrariCourse
 Peter CollinsAngleterreNurburgring (Allemagne)Formule 1FerrariCourse
 Stuart Lewis-EvansAngleterreCassablanca (Maroc)Formule 1VanwallCourse
 Archie Scott-BrownAngleterreSpa (Belgique)Voiture de SportListerCourse
 Erwin BauerAllemagneNurburgring (Allemagne)Voiture de SportFerrariCourse
 Peter WhiteheadAngleterreLasalle (France)Voiture de SportJaguarCourse
1959Ivor BuebAngleterreClermont-Ferrand (France)Formule 1CooperEssais privés
 Jean BehraFranceBerlin (Allemagne)Voiture de SportPorscheCourse
1960Harry SchellEtats-UnisSilverstone (Angleterre)Formule 1CooperEssais officiels
 Ettore ChimeriVenezuelaLa Havane (Cuba)Voiture de SportFerrariCourse
 Chris BristowAngleterreSpa (Belgique)Formule 1CooperCourse
 Alan StaceyAngleterreSpa (Belgique)Formule 1LotusCourse
1961Giulio CabiancaItalieModena (Italie)Formule 1CooperEssais privés
 Wolfgang von TripsAllemagneMonza (Italie)Formule 1FerrariCourse
1962Ricardo RodriguezMexiqueMexico (Mexique)Formule 1LotusEssais privés
1964Carel Godin de BeaufortPays-BasNurburgring (Allemagne)Formule 1PorscheEssais officiels
 Tim MayerEtats-UnisLongford (Tasmanie)Formule 1CooperCourse
1966John TaylorAngleterreNurburgring (Allemagne)Formule 1BrabhamCourse
 Walt HansgenEtats-UnisLe Mans (France)Voiture de SportFordEssais officiels
1967Lorenzo BandiniItalieMonaco (Monaco)Formule 1FerrariCourse
 Bob AndersonAngleterreSilverstone (Angleterre)Formule 1BrabhamEssais privés
 Giacomo Russo (dit Geki)ItalieCaserta (Italie)Formule 3MatraCourse
 Georges BergerBelgiqueNurburgring (Allemagne)Voiture de SportPorscheCourse
 Ian RabyAngleterreZandvoort (Pays-Bas)Formule 2BrabhamCourse
1968Jim ClarkEcosseHockenheim (Allemagne)Formule 2LotusCourse
 Ludovico ScarfiottiItalieRossfeld (Allemagne)Voiture de SportPorscheCourse
 Mike SpenceAngleterreIndianapolis (Etats-Unis)Formule 1LotusEssais officiels
 Joseph SchlesserFranceRouen (France)Formule 1HondaCourse
1969Gerhard MitterAllemagneNurburgring (Allemagne)Formule 1BMWCourse
 Paul HawkinsAustralieOulton Park (Angleterre)Voiture de SportLolaCourse
 Lucien BianchiBelgiqueLe Mans (France)Voiture de SportAlfa RomeoEssais officiels
 Moises SolanaMexiqueValle de Bravo (Mexique)Voiture de SportMcLarenCourse
1970Bruce McLarenNouvelle-ZelandeGoodwood (Angleterre)Can-AmMcLarenEssais privés
 Piers CourageAngleterreZandvoort (Pays-Bas)Formule 1de TomasoCourse
 Jochen RindtAutricheMonza (Italie)Formule 1LotusEssais officiels
1971Ignazo GiuntiItalieBuenos Aires (Argentine)Voiture de SportFerrariCourse
Joseph SiffertSuisseBrands Hatch (Angleterre)Formule 1BRMCourse
 Pedro RodriguezMexiqueNuremberg (Allemagne)Voiture de SportFerrariCourse
1972Joakim BonnierSuèdeLe Mans (France)Voiture de SportLolaEssais officiels
1973Roger WilliamsonAngleterreZandvoort (Pays-Bas)Formule 1MarchCourse
 Nasif EstefanoArgentineAimogasta (Argentine)Voiture de SportFordCourse
 François CevertFranceWatkins Glen (Etats-Unis)Formule 1TyrrellEssais officiels
1974Peter RevsonEtats-UnisKyalami (Afrique du Sud)Formule 1ShadowEssais privés
 Silvio MoserSuisseMonza (Italie)Voiture de SportLolaCourse
 Helmut KoiniggAutricheWatkins Glen (Etats-Unis)Formule 1SurteesCourse
1975Mark DonohueEtats-UnisZeltweg (Autriche)Formule 1PenskeEssais officiels
1977Tom PryceAngleterreKyalami (Afrique du Sud)Formule 1ShadowCourse
1978Ronnie PetersonSuèdeMonza (Italie)Formule 1LotusCourse
1980Patrick DepaillerFrançaisHockenheim (Allemagne)Formule 1Alfa RomeoEssais privés
1982Joe GartnerAutricheLe Mans (France)Voiture de SportPorscheCourse
Gilles VilleneuveCanadienZolder (Belgique)Formule 1FerrariEssais officiels
 Ricardo PalettiItalieMontreal (Canada)Formule 1OsellaCourse
1983Rolf StommelenAllemagneRiverside (Etats-Unis)Voiture de SportPorscheCourse
1985Manfred WinkelhockAllemagneToronto (Canada)Voiture de SportPorscheCourse
 Stefan BellofAllemagneSpa (Belgique)Voiture de SportPorscheCourse
1986Elio de AngelisItalieLe Castellet (France)Formule 1BrabhamEssais privés
1994Roland RatzenbergerAutricheImola (Italie)Formule 1SimtekEssais officiels
 Ayrton SennaBrésilImola (Italie)Formule 1WilliamsCourse
2001Michele AlboretoItalieLausitzring (Allemagne)Voiture de SportAudiEssais privés
2014Jules BianchiFrançaisSuzuka (Japon)Formule 1MarussiaCourse
Impatient de retrouver le volant après que sa voiture soit tombée dans le port durant le Grand Prix de Monaco, Alberto Ascari trouve bêtement la mort lors de cette journée d’essais quatre jours plus tard à Monza. Venu en spectateur, car interdit de conduire par les médecins, il ne résistera pas à faire quelques tours dans sa Ferrari.

Mortalité par décennie

Les premières réflexions autour de la sécurité n’apparurent qu’au début des années 70. Jusqu’à cette période, la mort était considérée comme une donnée faisant partie intégrante de la course automobile. Il aura fallu attendre une vingtaine d’années pour que les choses changent vraiment en profondeur.

 Pilotes engagés en Formule 1Pilotes de Formule 1 morts au volant% de décès
Années 19501932412,40%
Années 19601302418,50%
Années 19701051615,20%
Années 198070811,40%
Années 19906523,10%
Années 20007111,40%
Années 20105012,00%
TOTAL DEPUIS 19506677611,80%
Le pauvre Jim Clark serait peut-être devenu le plus grand pilote de tous les temps. Déjà deux fois champion du monde de F1, il mourra dans une anonyme course de Formule 2 à Hockenheim.

Mortalité par circuit

Sans surprise, c’est le terrible Nürburgring qui arrive en tête de ce funeste palmarès. Il s’agit bien sûr de l’ancien tracé long de plus de 20 km et comptant 73 virages. Il n’est plus utilisé par les Formule 1 depuis 1976 et l’accident de Niki Lauda qui survécut miraculeusement à ses brûlures.

CIRCUITNOMBRE DE DECES
Nürburgring (Allemagne)7
Monza (Italie)5
Spa (Belgique)4

Dans les années 70, les circuits s’équipent de rails de sécurité en métal. Un progrès, mais dans certaines circonstances, ces protections se transforment en lames à découper les Formule 1. François Cervert en fut victime en 1973 à Watkins Glen et ici Patrick Depailler à Hockenheim en 1980.



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