Car Life
McLaren, la belle histoire [4/4] : la (magic) Senna

Pour qui, de Senna ou de McLaren, cette association de patronymes est-elle finalement la plus flatteuse : la marque, aux 182 victoires en grands prix, ou le pilote, considéré par ses fans et nombre d’historiens comme le plus grand de tous les temps ? Peu importe, seul le résultat compte et celui-ci va entrer dans l’histoire.

Pourquoi cette voiture ne sera-t-elle jamais une Supercar comme les autres ? Tout simplement parce qu’elle s’appelle Senna, ce qui pourrait être une sordide manœuvre marketing, mais s’agissant de la marque historique du pilote brésilien et que l’opération se fait avec la bénédiction de la fondation du héros disparu, on sait que personne ne trahira sa mémoire.

En d’autres termes, contrairement aux marketeurs de Citroën, qui ont osé appeler Picasso une des voitures les plus moches du marché en 1999, les concepteurs de la Senna ont d’abord considéré les principales caractéristiques du pilote, trois fois champion du monde chez McLaren (et seulement chez McLaren), et ont tenté de les restituer dans une automobile.

Quelles sont-elles ? Déjà, pas de système d’hybridation, la fée électricité ne s’étant pas encore invitée dans les moteurs de Formule 1 à cette époque. Senna, ce sont les années turbo, le pilote qui marchait sur l’eau, celui qui préférait le pole position au record du tour en course, donc la performance absolue, plus que la gestion de l’effort et qui méprisait un peu les modèles de route, tellement ridicules quand ils se risquaient sur la piste. Comment traduire toute ces valeurs dans une voiture de route ?

Déjà, la Senna n’est pas tout à fait une voiture de route, mais plutôt une voiture de course tout juste homologuée pour passer d’un circuit à l’autre au milieu des simples mortels. Ce qui fait une immense différence avec le programme FXX de chez Ferrari, qui propose des modèles destinés à un usage exclusif en circuit et dépourvu de carte grise. Donc, sans aucune des contraintes liées à l’homologation.

La premier choix moteur est d’opter pour un moteur turbo : Senna adorait jouer avec la suralimentation et était maître dans l’art de gérer la violence avec laquelle arrivait la puissance. Il serait bluffé de constater que, désormais, même une auto de 800 chevaux comme celle-ci peut distiller sa puissance avec progressivité, sans coup de pied aux fesses. Puis, générer un maximum d’appui aérodynamique pour favoriser la vitesse de passage en courbe sur le sec, et plus encore sur chaussée mouillée. Et tant pis pour l’usure des pneus. Enfin, être attentif à tous les détails, que dis-je, les micro détails, que ce soit dans l’ergonomie, les réglages de trains, la consistance d’une commande, etc., etc. -Senna était le plus grand casse-c…. d’ingénieurs dans l’histoire de la Formule 1, ex-aequo avec Prost et Lauda- qui permettent à un être humain (lui) de surpasser le chrono de la pole position calculé par l’ordinateur (authentique !). Enfin, pas n’importe quel être humain…

Dans les faits, tout cela est très compliqué à mettre en œuvre. Pour le poids, McLaren étant le seul constructeur au monde à ne fabriquer que des autos à coque carbone, une bonne partie du chemin est déjà fait. Mais les ingénieurs ne se sont pas contentés de cela : en inaugurant un principe de deux fines peaux de carbone créant un immense corps creux, plutôt qu’une plus épaisse, le châssis a encore perdu de la masse. Il faut s’attendre à un beau vacarme dans l’habitacle, cette option devant créer une sacrée résonnance. Puis, dans le détail, tous les éléments de l’auto, y compris les plus petits, ont été travaillés sur la matière et sur leur volume. Un travail d’orfèvre et de titan. Mais aussi de recherche dans lequel tout le monde a été mis à contribution. La peinture par exemple, a nécessité mille attentions pour couvrir au mieux la carrosserie avec quelques litres de moins. Idem pour le système audio (en option) qui ne devait pas dépasser 7,3 kg malgré quelque sept haut-parleurs, le climatiseur, les sièges, revêtus uniquement sur les parties en contact avec le corps ! Le résultat est un record du monde puisque la Senna pèse moins de 1 200 kg. Anecdote qui aurait plus à Ron Dennis ou Colin Chapman (auteur de la phrase célèbre et définitive « le poids, c’est l’ennemi »), le bureau d’étude, après avoir atteint son objectif de 1 260 kg, a continué à travailler en repartant d’une page blanche, pour finir par gagner encore 5% du poids, dont 1 kg sur les feux arrière ! L’histoire ne dit pas si un diététicien est fourni avec la voiture pour venir surveiller votre ligne tous les matins. Senna, lui en tout cas, y faisait attention !

Côté aérodynamique, McLaren revendique un appui maxi de 800 kg. Ce qui fait dire à la marque qu’elle a conçu sa voiture la plus rapide de l’histoire sur un tour de circuit, P1 comprise. Autrefois, l’aérodynamique était apparente. C’était les débuts des ailerons géants et des spoilers. Puis, rapidement, le travail en soufflerie a permis de constater que le gros de l’appui pouvait être généré sous la voiture. Mais maintenant que tout a été exploré dessous, on cherche à nouveau la petite bête au-dessus. De petites bêtes, les carrosseries des F1 en sont bien pourvues. Ainsi, tous les éléments constitutifs de la monoplace doivent produire de l’appui, sans trop la freiner dans les lignes droites : les rétros, les ailes, les capots, le volant, le casque du pilote, les flaps, dérives, la caméra de la FIA, tout, absolument tout passe en soufflerie. La Senna assume complètement ce principe, en s’ornant de mille éléments aérodynamiques répartis sur sa carrosserie et va même plus loin en s’autorisant des pièces actives (interdites en F1), tels l’aileron arrière, monté sur vérins hydrauliques pour ajuster sa position en continu, ou les ailes avant ! Du jamais vu.

Cx (pénétration dans l’air) et Cz (portance) ne seront jamais amis, même si les milliers d’heures en soufflerie parviennent à les réconcilier un tant soit peu. Ainsi, la vitesse maxi de la Senna trahit cette lourde trainée : seulement 340 km/h (McLaren annonce auto-limitée, mais nous n’y croyons pas) quand une McLaren F1, très fine et 190 chevaux de moins (!) dépassait les 370 km/h.

Ce n’est pas parce que l’aéro contribue à 80% de l’adhérence d’une Formule 1 (à pneus équivalents) que l’on doit négliger les trains roulants. Là aussi, McLaren a pu aller plus loin qu’en F1 en concevant une suspension hydraulique adaptative, système interdit en compétition. Cette liberté permet d’adapter le comportement de la voiture à chaque circonstance : énormément d’appuis à haute vitesse et sur circuit, du confort en usage routier, de la souplesse en virage serré pour motricer, bref, une auto à la carte.

Pour en terminer avec l’aspect mécanique, signalons que la commande de la boîte de vitesses a récupéré la gestion électronique des monoplaces de grand prix. Ce qui veut dire, non pas que les rapports s’enchaînent rapidement, mais plutôt que personne n’est capable de percevoir les changements tellement ils sont rapides, la musique du V12 étant à peine modulée par les changements de régime. Enfin, les freins tout carbone promettent des distances d’arrêt jamais vues pour une voiture de route.

L’habitacle de la Senna a été conçu sur mesure pour accueillir pour seuls bagages deux casques et deux combinaisons. Rien de plus. Pour vos effets personnels, une voiture suiveuse avec un chauffeur fera parfaitement l’affaire. Rappelons que dans cette catégorie, on ne compte pas. Et que, de toute façon, l’acheteur de Supercar finit toujours par gagner beaucoup d’argent au moment de la revente : une sorte de LOA à l’envers.

Innovation étrange, les portes vitrées, inspirées des hélicoptères, permettent d’inonder l’habitacle de lumière, ce qui n’est pas fréquent dans une voiture de sport. Spectaculaire, mais inutile : autant il est intéressant de voir le sol lorsqu’on évolue en altitude, autant ça ne sert à rien quand on est déjà assis au niveau de la route.

Comme pour n’importe quel pilote, on dispose d’un système pour boire, et de harnais 6 points. Vraiment, la Senna ne fait pas semblant. Toujours est-il que le traitement de l’habitacle correspond également aux préceptes de la compétition, comme c’était le cas des GT1 des années quatre-vingt-dix (Porsche GT1, Mercedes CLK GTR). Si ce n’est qu’à l’époque, ces autos n’étaient que des prétextes à l’homologation de la version compétition et étaient traitées avec une totale désinvolture par les bureaux d’études qui avaient autre chose à faire que de soigner les réglages ou la finition pour quelques dizaines d’acheteurs.

Rien n’est plus faux que d’affirmer que la compétition automobile n’est plus que du marketing. Déjà, sans elle, Ferrari, McLaren ou Maserati n’auraient jamais existé. Et question savoir-faire, seules les marques présentes en F1 ou en Endurance cultivent à l’extrême la recherche de performances, de nouveaux usages et de nouveaux matériaux. Même si les dernières saisons de McLaren ont été désastreuses, les compétences des bureaux d’études de la marque se fondent d’autant plus entre la piste et la route que l’entreprise n’est pas de la taille d’un constructeur généraliste. Convaincu ? Hélas, si vous n’êtes pas déjà dans la liste des 500 exemplaires produits, tout espoir d’acquérir cette McLaren Senna est perdu. Car comme le veut la formule, malgré un tarif de 930 000 €, elles ont déjà toutes trouvé preneur. Ce qui, au cours des Supercars actuelles (surtout d’occasion) est carrément un cadeau !

McLaren Senna

  • Moteur                                                           V8 central
  • Cylindrée                                                       3 994 cm3 + turbo
  • Puissance                                                       800 ch à 7 250 tr/mn
  • Couple maxi                                                  800 Nm à 5 500 tr/m
  • Transmission                                                 Aux roues ar, boîte robotisée
  • Dimensions                                                   4,74 x 1,96 x 1,23 m
  • Pneus AV-AR                                                245/35 ZR 19 – 315/30 ZR 20
  • Poids                                                              1 198 kg
  • De 0 à 100 km/h                                            2,8 s
  • De 0 à 200 km/h                                            6,8 s
  • 400 m départ arrêté                                       9,9 s
  • Vitesse maxi                                                  340 km/h



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