Les essais de Luc Ferry : la Formule 1 d’Alesi

Il faut se le dire une bonne fois pour toutes : la Formule 1, ça ne ressemble à rien d’autre ! Les pilotes de grands prix le disent régulièrement. Après avoir pris le volant de l’ancienne Prost de Jean Alesi sur le circuit du Luc, je comprends pourquoi.

Indescriptible, sauvage, infinie… quelle poussée mes amis !

Ayant eu un père pilote et constructeur de voitures de courses, j’ai eu la chance de conduire dès l’adolescence à peu près tout ce qu’on peut rencontrer d’amusant dans une vie d’automobiliste et de motard passionné. Depuis les voitures anciennes, genre Bugatti 35 B, jusqu’à des Porsche, Maserati, Jaguar ou Ferrari modernes – sans compter les motos du genre  Suzuki GSXR 1100 débridée qui ne marchaient pas mal non plus. Mais là, mes amis, je suis scotché ! Quand je réussis enfin, après mille contorsions, à insérer mon mètre quatre-vingt-sept dans le baquet de la Formule 1 qui fut naguère celle de Jean Alesi – excusez du peu : c’est carrément elle, une magnifique Prost à moteur Cosworth,  qu’on me prête sur le circuit du Var ! -,  je vous avoue que je n’en mène pas large. C’est pour moi une grande première et  pour être franc, j’ai le cœur qui bat comme celui d’un gamin à son premier rendez-vous. D’autant que je me demande si je ne vais pas être ridicule.

Préalable indispensable, deux séries de huit tours au volant d’une Formule 3 pour s’accoutumer au concept monoplace et découvrir le circuit.

Un collègue et néanmoins ami, ancien premier ministre, qui court pourtant depuis des lustres dans les compétitions classiques, m’a avoué qu’il avait calé 6 fois avant de parvenir à faire rouler sa première monoplace – et encore, il ne s’agissait que d’une Formule 3.  Fort heureusement, je suis en de bonnes mains chez « AGS », le leader mondial des stages de Formule 1 destinés aussi bien aux débutants qu’aux pilotes confirmés. Je suis accueilli chaleureusement par l’un des ses patrons, Patrick D’aubreby, comme par Samuel Potencier, qui se charge de  m’emmener repérer le circuit… à bord d’un vieux Renault Trafic diesel qui, à défaut d’autre chose, offre au moins le mérite de vous  laisser  tout le temps qu’il faut pour repérer les moindres difficultés du parcours. 

Les moniteurs effectuent un travail remarquable pour mettre les élèves dans les meilleures conditions. Eux non plus n’ont aucune envie de vous voir sortir de la piste !

C’est après que les choses sérieuses commencent. Je suis pris en charge par Christian Hiesse, le maître moniteur.  Crinière blanche et moustaches fournies façon Tom Selleck rectifié Brassens, patient  et pédagogue, il commence par m’expliquer en détail la technique du démarrage. A vrai dire, il me suggère délicatement de commencer par quelques tours sur  une Formule 3. En gros, c’est la même chose que la  F1, mais ça permet de se faire quand même la main dans des conditions  moins radicales. D’ailleurs, les deux voitures se ressemblent comme des sœurs, sauf les pneus, deux fois plus larges sur le modèle adulte, et le moteur, évidemment : 180 ch sur la petite, 650 ch sur la grande !  Mais le poids est à peu près identique, un peu moins de 500 kg, ce qui, même avec 180 ch « seulement », vous garantit déjà des sensations magiques, mille fois plus impressionnantes et ludiques  que sur une  berline  beaucoup plus puissante. Et puis,  la technique de démarrage est à peu près identique : mêmes palettes au volant, même embrayage.  

La Formule 3 procure déjà des sensations incroyables en termes d’adhérence dans les virages. On s’arrête là ?

            Donc, mon petit cours particulier  commence. Pour qui ne veut pas caler  bêtement dès les premiers mètres, – et j’y tiens d’autant moins qu’il y a autour de nous une quinzaine  de personnes qui assistent au spectacle, dont l’ami Thierry Soave, dont je pressens à son œil quelque peu ironique qu’il me fera encore des blagues dans dix ans  si jamais  je me plante, –  il faut savoir trois choses : 1) La course de l’embrayage d’une monoplace de compétition est d’à peine plus d’un centimètre. Autrement dit, quand vous débrayez à fond, que vous avez le pied collé au plancher, elle commence à démarrer dès que vous lâchez la pression de quelques tous petits millimètres. Conséquence : si vous la conduisez comme votre voiture de tous les jours, vous êtes certain de ne pas faire un mètre; 2) Ensuite, quand vous sentez, en lâchant la pédale, que ça commence à « mordre », que ça embraye, la vilaine n’a qu’une idée en tête, repousser de toutes ses forces votre pied vers l’arrière. C’est à ce moment que le ressort se détend le plus vigoureusement de sorte que si vous vous laissez faire, si vous cédez aux velléités d’indépendance de la pédale, qui n’est pas douce du tout, vous êtes à nouveau certain de rester sur  place; 3) Enfin, pour être sûr de partir, il faut accélérer jusqu’à ce que le moteur tourne vers les 5 000/6 000 tours, mais là, il faut stabiliser, il ne faut surtout pas donner des petits coups d’accélérateur, mais au contraire maintenir ce niveau constant. Une fois qu’il est bien fixé,  on peut lâcher doucement l’embrayage, en résistant à son souhait de l’emporter sur votre pied,  et la voiture part alors comme une fleur.

Non, on continue, avec la Formule 1. Un moment pour la vie.

            C’est donc ce que je fais, comme un  grand,  et je m’empresse de le dire à tous ceux qui auraient la moindre appréhension, c’est en réalité à la portée de tout conducteur pas trop manchot. Tout le monde peut y arriver  du moment que le moniteur est limpide, ce qui est le cas, et que vous gardez votre calme. En fait, c’est après que ça se gâte… L’expérience devient alors  plus époustouflante  qu’on ne peut l’imaginer. Comme on dit dans les Tontons flingueurs, « c’est du brutal » ! Laissons la F3 de côté, ce gros kart sympathique, et parlons tout de suite des choses sérieuses, c’est à dire de la F1. C’est juste inimaginable. Les accélérations sont  sans fin, d’une violence inouïe que je ne parviens pas à exprimer par des mots. Je commence par rouler assez franchement, mais tout de même avec modération, surtout dans les courbes – le moniteur m’a fait promettre de ne pas accélérer tant que le volant et les roues ne seront pas parfaitement dans l’axe. J’obéis.

Le moniteur me montre le ciel. Heu, je dois aller aussi que ça ? Non, il mime le décollage de l’embrayage, très délicat à manipuler.

Enfin pour le moment. Mais quand la grande ligne droite qui passe devant les stands s’ouvre devant moi, impossible de résister. C’est trop tentant. J’appuie absolument à fond, 3ème, 4ème, les vitesses passent à toute volée et je monte aussi loin que possible dans les tours. C’est juste hallucinant, le moteur pousse de véritables hurlements et quand j’arrive au niveau du grand panneau rouge qui borde la piste où figure en gros et gras l’inscription « Brake », je me souviens juste à temps du conseil que Bruno Laffite, le sympathique neveu de Jacques,  m’a donné avant de partir : « En F1, si tu veux vraiment freiner,   il faut que tu aies la même sensation que celle que tu as quand tu donnes un coup de pied rageur dans la porte de ton garage ! ». Bon, j’enfonce résolument la pédale du milieu, et c’est magique, encore plus impressionnant si possible que l’accélération. La vitesse déjà hallucinante que je viens d’atteindre décline aussi vite qu’elle avait été obtenue, de sorte que je peux sans souci me concentrer sur les deux virages qui me sautent littéralement dessus. Je continue, ivre de bonheur, et je  fais  mes quatre premiers tours, de plus en plus à l’aise. Après un bref arrêt au stand pour débriefer,  j’ai droit encore  à quatre autres tours que je déguste en travaillant de mieux en mieux mes trajectoires. Je vais de plus en plus vite, évidemment,  au point que dans les courbes, l’antipatinage se déchaine tant et si bien que je me sens quelque  peu frustré. La tenue de route est tout simplement phénoménale, la voiture vire à plat sans le moindre roulis, et dès qu’on touche l’accélérateur, comme les chevaux sont partout, en bas comme en haut, la F1 repart  au quart de seconde comme un boulet de canon. 

AGS a la particularité d’avoir engagé ses propres Formule 1 et donc, de fabriquer ses propres pièces de rechange. Une entreprise sérieuse, ça rassure avant d’affronter les 650 chevaux de l’engin.

Les meilleurs choses ayant cependant une fin, il faut bien rentrer, et je m’arrête au moment où toute appréhension ayant disparu, seule une joie indicible subsiste. J’ai le sentiment qu’avec encore une dizaine de tours, je pourrais aller vraiment vite… mais, soyons franc, j’ai aussi parfaitement conscience que je resterai encore  à des années lumières des possibilités de la voiture. Impossible, pour l’instant,  d’en voir les limites. Hiesse me rassure : « ne vous en faites pas, il faut au moins 40 tours pour commencer à les cerner », et l’air pensif, une ancien pilote se mêle à la conversation et, manière de briser dans l’œuf ma carrière naissante, il ajoute : « il faut  4 ans sur monoplace pour être au niveau du monstre » ! Un seul conseil, ne vous laissez  surtout pas  abattre ! Allez y voir par vous-même chez AGS : même si vous n’en faites qu’une journée, l’expérience est inoubliable. 



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