De la bande à Bonnot aux adeptes du go fast, qui convoient de la drogue à haute vitesse sur autoroute, l’automobile a démontré qu’elle était -aussi- la meilleure alliée des voyous.
Les gangsters aiment les allemandes… Audi RS4, Porsche Cayenne, BMW Série 5 et plus : surtout des carrosseries imposantes. Mais ils recherchent d’abord ces grosses cylindrées pour leurs accélérations et leur capacité à maintenir des vitesses élevées sur des centaines de kilomètres d’autoroute. Jérôme Pierrat, auteur d’un documentaire sur les nouvelles formes du banditisme en France, diffusé sur Canal+, a enregistré le témoignage de ceux qu’il appelle « les caïds des cités » : leurs » outils » privilégiés sont les Audi, de préférence break et carburant à l’essence – les transmissions intégrales assurent le succès des puissantes versions « S » et « RS ». Mais la Mini Cooper S, discrète et agile, rencontre aussi un vif succès.
Face à cette escalade de chevaux, le ministère de l’Intérieur ne cherche pas, pour l’instant, à lutter à armes égales. La gendarmerie a reçu il y a quelques années ses premières Mégane RS en remplacement des Subaru Impreza WRX, « véhicules rapides d’intervention » sur autoroute, mais les forces de l’ordre misent surtout sur l’intervention coordonnée de leurs hélicoptères et sur leur maillage territorial : les courses-poursuites, c’est bon pour le cinéma. Il n’en reste pas moins que la plate-forme d’identification des avoirs criminels de la police judiciaire regorge de voitures puissantes, que la justice peut désormais confisquer, sous certaines conditions. Cette nouvelle organisation pourrait changer la donne, et permettre à la police de recevoir ses premières 8 cylindres allemandes…
Une course à l’armement dont les prémices remontent à 1910, quand Jules Bonnot commence à faire parler de lui. La première fois à Lyon, qu’il quitte précipitamment à bord d’une De Dion-Bouton alors que la police est lancée à ses basques à bicyclette. Et la seconde en décembre 1911 avec une Delaunay-Belleville, pour le braquage d’une agence parisienne de la Société Générale, rue Ordener, et de laquelle Bonnot et sa bande s’enfuiront sous le nez des agents de police. C’est la première fois qu’une voiture est utilisée pour un hold-up, et celle-ci sera retrouvée abandonnée à Dieppe. Quelques mois plus tard, à Paris, le préfet de police Louis Lépine décrétera que » toutes les fois qu’un chauffeur d’automobile cherchera à se soustraire par la fuite, les agents ne devront pas hésiter à crever les pneus de l’automobile à coups de sabre « .
Pendant la Seconde Guerre mondiale, une voiture réunit les milices françaises et les groupes actifs de la Résistance : la Traction. Reconvertis au lendemain de la guerre dans le grand banditisme, ces spécialistes du braquage violent, parmi lesquels François Marcantoni, Pierrot le Fou, René la Canne, ou Abel Danos (dit le Mammouth) conservent leurs préférences automobiles : la 15-Six, une 6 cylindres lancée en 1938, d’une cylindrée de 2,9 litres pour une puissance maximale de 77 ch. Impressionnante de force par son capot allongé et sa couleur, exclusivement noire jusqu’en 1951, cette version la plus aboutie de la première traction avant de grande série plafonne à 135 km/h. Rien d’exceptionnel pour l’époque… mais sur route, la police, sous-motorisée avec ses « 11 », ne peut pas rivaliser.
Immatriculée 83 CSG 75, la BMW 528i est gravée dans nos mémoires. C’est au volant de cette 6 cylindres allemande que Jacques Mesrine sera abattu par la brigade antigang, le 2 novembre 1979, porte de Clignancourt, à Paris. Exceptionnel pour l’époque, un 2,8 litres de 184 ch propulse la bavaroise de 0 à 100 km/h en 9,5 secondes. Les forces de l’ordre, en Peugeot J7 et Tube Citroën, sont larguées. Touchée par 21 impacts de balles lors de l’opération de police fatale à « l’ennemi public n° 1 », la 528i rouillera à la fourrière de Bonneuil-sur-Marne jusqu’en 2007. Avant d’être détruite, sous contrôle judiciaire.
Dans les années 70, les BMW ont d’ailleurs les faveurs des hors-la-loi. Ainsi, en Allemagne, quelques années plus tôt, le groupe d’extrême gauche d’Andreas Baader et Ulrike Meinhof terrorise le patronat. Leur voiture favorite : la 2002ti, un coupé vif et puissant (double carbu double corps, 120 ch), de préférence volé. L’acronyme de la marque à l’hélice se voit d’ailleurs détourné en « Baader Meinhof Wagen » (la voiture de Baader et Meinhof). Une mode est même lancée, consistant pour les possesseurs de BMW 2002 à coller à l’arrière un sticker précisant qu’ils n’appartiennent pas à la célèbre bande !
En 2011, les forces de l’ordre déploient les grands moyens pour intercepter deux véhicules « Go Fast », en provenance de l’Espagne, sur l’A75 près du viaduc de Millau (Aveyron) : deux hélicoptères, un avion, une dizaine de véhicules, une soixantaine de douaniers et de gendarmes du GIGN mobilisés pour la saisie de 1,3 tonne de cannabis lors d’une opération exceptionnelle avec simulation de carambolage. Bloqués par le faux embouteillage, les trafiquants font demi-tour et entrent en collision avec les camions du GIGN qui leur barrent la voie (photo ci-dessus). Aucun coup de feu tiré, aucun blessé : 100 % efficace ! Pas question de prendre en chasse ces nouveaux trafiquants, dont le mode opératoire consiste à circuler à fond pour semer ceux qui tenteraient de s’interposer. Parmi les voitures préférées des adeptes du « Go Fast » figurent des Audi RS, mais aussi des 4×4 allemands généreusement motorisés, Porsche Cayenne ou, dans le cas précis de l’A75, une imposante Mercedes Classe R AMG qu’accompagnait une Seat Leon volée en Espagne (la voiture ouvreuse).
Que fait la police ? A Glasgow, la police roule sur des jantes de 20 pouces chromées. En l’occurrence une Audi Q7 tunée, saisie lors d’une opération contre des criminels locaux, et qui a intégré le parc de véhicules de service policiers écossais ! En France aussi, la police abrite d’étranges véhicules de service : outre les Yamaha 900 TDM banalisées, achetées pour « courser » souvent les motards et parfois les gangsters, les forces de l’ordre récupèrent parfois des voitures saisies dans des affaires de banditisme. A l’époque où il était ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux posait dans la cour de son ministère au côté d’un Range Rover noir customisé, saisi à un précédent propriétaire soupçonné de trafic de cocaïne. Cette opération de communication illustrait la toute nouvelle loi visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale… même si l’on imagine mal ce type d’auto intégrer le parc de la police. Néanmoins, une Mini Cooper a bien été attribuée à la direction de la police judiciaire à Paris en juin 2008. La brigade de répression du banditisme avait interpellé sa première propriétaire, une gérante de salon de massage soupçonnée à l’époque de proxénétisme aggravé. » Cette procédure judiciaire existe après extinction de toutes les voies de recours « , précise un officier. Ça change des Clio banalisées…