Thierry Soave
Les enfants de la F1

Ils sont tous fils d’anciennes gloires de F1. Phénomène unique dans le sport de haut niveau, la filiation chez les champions automobile semble devenir une règle depuis quelques années : Verstappen, Schumacher, Alesi, Rosberg, Lauda, Prost, Magnussen… Pourquoi les enfants de pilote deviennent-ils aussi pilote ?

C’est une histoire qui faisait rire, mais aussi un peu réfléchir dans le paddock de la F1 des années 70. A l’éternelle question, « quel est le meilleur pilote automobile de l’histoire ? », le sage Ken Tyrrell, au lieu de choisir Jim Clark, Jackie Stewart ou plus tard Ayrton Senna, répondait avec malice : « les voitures étant toutes différentes, le seul à le savoir est Dieu lui-même. » Mais plus tard, il improvisera une suite à sa pirouette en révélant l’identité du pilote : un certain John Davies, ou quelque chose comme ça. Un patronyme qui n’avait aucune importance -il le changeait à chaque fois qu’il racontait l’histoire- puisqu’il s’agissait dans l’imaginaire de l’oncle Ken, d’un bucheron résidant au fin fond d’une forêt canadienne et qui n’avait jamais pris le volant d’une voiture course de sa vie. Sa théorie était simple. Contrairement à la course à pied ou au football, disciplines qui permettent à tous les jeunes prodiges de se révéler (peu de chance qu’un Lionel Messi ait pu échapper au football de haut niveau), le sport auto nécessite des moyens conséquents ou un environnement favorable pour pouvoir démarrer. Et sur six milliards d’individus dans le monde, ils ne sont que quelques centaines, tous les ans, à pouvoir débuter en karting, passage obligatoire -et fort coûteux- avant les différentes formules de monoplaces. Bien évidemment, il y a donc de très fortes chances pour que le plus adroit, le plus courageux et le plus fiable des pilotes automobile fasse partie des quelques milliards n’ayant jamais eu l’opportunité de toucher un volant de course. Et de passer à côté d’une carrière à la Fangio ou à la Schumacher.

Vous l’aurez compris, les enfants des pilotes de F1, eux, bénéficient d’un immense avantage sur le reste du monde : ils ont tous eu, pratiquement sans exception, la possibilité de se tester au volant dès le plus jeune âge, et dans des conditions financières avantageuses. Alors, facile ? Au début, oui, incontestablement, mais si démarrer se fait naturellement pour les « fils de… », s’imposer sera ensuite peut-être un peu plus compliqué pour eux, la mise en lumière étant le pire ennemi du débutant. Cependant, le métier de pilote de Formule 1 faisant appel à des qualités (et des défauts !) très particuliers, il n’est pas absurde de penser que les gènes des papas puissent également se transmettre aux rejetons. Car globalement, ils marchent plutôt fort ces héritiers ! Déjà, on ne peut plus aujourd’hui arriver en F1 uniquement sur le prestige d’un nom ou l’entregent d’un père facilitant l’obtention d’un volant. Tout au moins, ce coup de piston permettra-t-il de prendre la place d’un pilote de même niveau. C’est injuste, mais c’est ainsi. A regarder la grille de départ de cette année, censée regrouper les vingt meilleurs pilotes du monde, ils ne sont pas moins de quatre fils d’anciennes gloires et ils roulent tous comme des avions : Nico Rosberg, même s’il est dominé par l’extra-terrestre Hamilton, Carlos Sainz Jr, Kevin Magnussen et Max Verstappen, tous deux auteurs d’un magnifique début de saison chez Toro Rosso. Imaginez trois fils de footballeurs dans le classement du Ballon d’or. A ma connaissance, jamais aucun joueur de l’équipe de France de foot n’a vu son fils devenir lui-même international. L’avenir nous dira si les deux aînés Zidane revêtiront un jour le maillot bleu chez les A. Idem dans le tennis… à une demie exception près : Joakim Noah, fils de Yannick Noah (lui-même fils de footballeur international), qui réalise une carrière exceptionnelle dans le basket. Mais il ne s’agit que de cas extrêmement rares, quand il s’agit plutôt d’un début de règle dans l’automobile. Si l’on prend les cinq derniers pilotes français vainqueurs d’un grand prix, on constate que 100% d’entre eux ont mis leurs enfants sur la piste, plus ou moins tardivement : Alain et Nicolas Prost, Jacques et Margot Laffite, Olivier et Aurélien Panis, Patrick et Adrien Tambay, Jean et Giuliano Alesi. Edifiant.

Les futurs cracks

Alesi : Giuliano, fils de Jean

Il est encore très jeune (15 ans), roule en Formule 4 et ses débuts sont fracassants, avec plusieurs victoires en championnat de France, sur le sec comme sur le mouillé. Et dans cette discipline, pas d’avantage, tous les pilotes héritant de voitures identiques à chaque course. Le papa est très présent à double titre : en tant que membre de la Fédération Française du Sport Automobile… et de coach très attentionné. A noter que le parrain de Giuliano n’est pas un inconnu non plus, puisqu’il s’agit d’Alain Prost !

Schumacher : Mick, fils de Michael

L’histoire est belle et triste. Comme Giuliano Alesi, le fils de Michael a débuté très tôt par le karting et dispute la Formule 4, mais en Allemagne, et avec succès lui aussi : victoire dès le premier meeting de l’année. Bien entendu, l’ombre du père, toujours dans un état grave, est omniprésente et très lourde à porter pour ce jeune homme de 16 ans, qui doit mener sa carrière, tout en devant répondre aux incessantes questions sur l’état de santé de Michael. En tout cas, sa carrière semble parfaitement bien lancée d’un point de vue sportif.

Verstappen : Max, fils de Jos

C’est l’attraction de l’année. A 17 ans, il a battu le record de précocité en Formule 1, et peut-être pour toujours, le permis de conduire étant désormais indispensable pour s’aligner en grands prix. Sans surprise, le grand public a découvert qu’il était rapide (Red Bull se trompe rarement sur ce point). Sans surprise, les autres concurrents ont découvert qu’il était bien trop jeune pour se conduire déjà en champion, sur et hors de la piste. Raison pour laquelle son père est omniprésent pour le coacher comme on le fait avec un pilote de karting. Un détail qui n’en est pas un sur le long terme, les deux sont tout aussi antipathiques.

Sainz : Carlos Jr, fils de Carlos

L’exception. Tous les papas présents ici sont d’anciens pilotes de Formule 1, sauf Sainz, qui œuvrait au plus haut niveau en rallyes. Avec Carlos Jr, on touche le cœur du favoritisme présumé pour les « fils de… ». Non seulement il aura bénéficié toute sa jeunesse des conseils et de la fortune de son père, mais il débarque en F1 par la filière Red Bull, sponsor de Carlos Sainz Sr en rallye-raid ! Evidemment, ça facilite les contacts. Pourtant, le jeune espagnol est bourré de talent et a l’étoffe d’un champion du monde.

Panis : Aurélien, fils d’Olivier

Notre dernier vainqueur de grand prix (c’est parti pour continuer à durer) est toujours en activité, dans le Championnat de France GT. En parallèle, il gère la carrière de son fils, Adrien, engagé cette saison en Formule Renault 3.5, dernière marche avant la F1. Agé de 20 ans, il n’a déjà plus de temps à perdre face à la génération des baby-drivers.

Tambay : Adrien, fils de Patrick

Il ne roulera probablement jamais en Formule 1, mais Adrien Tambay se console en travaillant pour Audi. Combien sont-ils dans le monde, les pilotes salariés chez un grand constructeur ? Quelques dizaines, tout au plus, et le fils de Patrick peut viser un jour un volant aux 24 Heures du Mans. Pour le moment, il participe au très relevé championnat DTM en Allemagne sur une Audi A5.

Magnussen : Kevin, fils de Jan

Jan Magnussen était promis à une immense carrière en F1 dans les années 90. Curieusement, il ne confirma jamais et s’illustra surtout en Endurance. Curieuse similitude avec Kevin, son fils, deuxième dès son premier grand prix à Melbourne l’an dernier sur une McLaren pourtant peu performante. Et puis, plus rien ou presque, jusqu’à son remplacement cette année par Fernando Alonso, le jeune Danois étant relégué au rôle de pilote d’essais. Mais on devrait le revoir un jour au plus haut niveau, car l’animal reste très rapide.

Les champions du monde

Hill : Damon, fils de Graham

Quelle histoire ! Le père, double champion du monde, se tue aux commandes de son avion qu’il veut à tout prix poser en plein brouillard anglais à l’occasion d’un retour de séance d’essais au Castellet. Nous sommes en 1975, le petit Damon a 15 ans et sa maman hérite surtout de dettes, Graham Hill ayant eu l’idée ambitieuse, mais coûteuse, de monter sa propre écurie. Malgré un talent contesté, mais à force de travail et de volonté, Damon devient un bon pilote, fiable et relativement rapide, sans être un immense champion. Suffisant pour remporter le titre mondial au volant d’une voiture imbattable.

Villeneuve : Jacques, fils de Gilles

A quelques années d’intervalle, les vies de Damon Hill et de Jacques Villeneuve présentent d’intenses similitudes. Tous les deux fils de pilotes disparus, ils gravirent avec bravoure un à un les échelons du sport automobile pour terminer sur un titre de champion du monde sur Williams-Renault. Jacques, aujourd’hui consultant pour Canal +, démontrera durant sa carrière le même panache au volant que son spectaculaire papa, ce qui n’est pas peu dire. Dommage que ses commentaires aigris ou en forme de règlements de compte, gâchent maintenant ses prestations au micro.

Rosberg : Nico, fils de Keke

Il ne fait plus partie des espoirs depuis longtemps (à 30 ans, il entame sa dixième saison de Formule 1), mais il peut encore espérer devenir champion du monde. Et pas seulement parce qu’il dispose de la meilleure voiture. Enfant gâté par la vie, menée entre la Suisse et Monaco, il a démontré l’an dernier que l’on pouvait avoir été élevé dans le luxe et l’opulence, et conserver une rage de vaincre face à un adversaire qui a bien plus souffert que lui pour en arriver là. Mais il ne faut plus tarder.

Les révélations tardives

Lauda : Mathias, fils de Niki

A 34 ans, le fils du triple champion du monde n’est plus un espoir depuis longtemps. En a-t-il d’ailleurs jamais été un ? Pas vraiment, surtout après avoir débuté le sport automobile bien après l’âge du permis. Depuis les années 90, après avoir tenté sa chance à haut niveau dans l’antichambre de la F1 (F3000, GP2) il enchaîne les courses anonymes dans les championnats GT. Son père, jamais tendre, n’apprécie pas que son nom apparaisse en milieu de grille.

Prost : Nicolas, fils d’Alain

Alain Prost n’a rien fait pour inciter ses enfants à pratiquer le sport automobile. Au contraire. Nicolas, son fils aîné, a été envoyé aux Etats-Unis pour ses études et ce n’est que dans sa vingtième année qu’il prendra le départ de sa première course en Formule Campus. Au même âge, Verstappen en sera à sa quatrième saison de Formule 1 ! Mais, hélas ou tant mieux, le virus du sport automobile va bien atteindre le plus très jeune Nicolas maintenant âgé de 33 ans, et c’est donc vers l’Endurance, avec les 24 Heures du Mans en point d’orgue qu’il mène sa carrière. Il fait également parti des meilleurs pilotes de la Formule E, rivalisant avec d’anciens excellents pilotes de F1.

Stewart : Paul, fils de Jackie

A ce stade, il ne s’agit plus de révélation tardive, mais presque d’une erreur de parcours : le fils de Jackie Stewart prend le départ de sa première course dans sa vingt-troisième année ! Pour être sûr de trouver un volant, Paul et Jackie décide tout simplement de créer leur écurie de Formule 3. Une excellente initiative, puisque l’équipe ira jusqu’en Formule 1 pour devenir le Stewart Racing, avec toujours Paul Stewart aux commandes, mais en tant que patron cette fois, le pilote, bien moins véloce que son père, ayant rendu les armes en F3000.

Les familles nombreuses

Piquet : Nelsinho et Pedro, fils de Nelson

Nelson Piquet, triple champion du monde, a la réputation, parfaitement assumée et même revendiquée, d’être d’un homme femme. Il est également le papa de sept enfants ! Parmi eux, il y a Nelsinho, élément doué qui eut le double tort de démarrer en F1 avec l’imbattable Fernando Alonso comme coéquipier, et l’impayable Flavio Briatore comme patron. Résultat, une fin de carrière prématurée à l’âge de 24 ans, après deux saisons globalement médiocres et marquées par l’épisode du crashgate de Singapour destiné à favoriser son coéquipier. Autre représentant de la famille, le jeune Pedro, âgé de seize ans, engagé dans la Coupe Porsche au Brésil, ce qui a motivé le retour du père au volant pour l’occasion… à 62 ans.

Andretti : Michael et Jeff, Marco, fils et petit-fils de Mario

Attention, famille très nombreuse. Aux Etats-Unis, la dynastie Andretti écume tous les circuits du pays depuis plus de cinquante ans. Le patriarche, Mario, petit immigré italien, fut le seul à s’illustrer en Formule 1, avec un titre mondial en 1978. Son fils Michael, fit une pale figuration chez McLaren en 1993 (coéquipier de Senna, pas vraiment un cadeau pour un débutant), mais réalisera une exceptionnelle carrière aux USA. Dans les années 90, quatre membres de la même famille participent au championnat IndyCar : Mario, ses deux fils Michael et Jeff, ainsi que son neveu, John. Depuis 2006, le fils de Michael dispute lui aussi le championnat américain.

Brabham : David, Geoff et Gary, fils de Jack

Le nom de Brabham est omniprésent dans le sport automobile. Le père, trois fois champion du monde des pilotes dans les années 60, créera son écurie, avec là aussi plusieurs titres constructeurs à la clé. Si aucun de ses trois fils n’a pu briller en Formule 1, ils s’illustrèrent à haut niveau aux Etats-Unis et surtout aux 24 Heures du Mans, avec une victoire chacun pour Geoff et David, tous deux sur Peugeot à seize ans d’intervalle.

Mansell : Greg et Leo, fils de Nigel

Ici, aucun doute, l’hérédité n’a pas fonctionné. Autant Nigel aura mené une carrière en F1 plutôt réussie avec un titre de champion du monde, autant ses deux fils auront fait preuve d’une lenteur assez étonnante durant leur brève carrière. A leur décharge, comme souvent chez les fils de pilote, ils démarrèrent leur carrière assez tardivement. A noter que les trois Mansell se sont engagés aux 24 Heures du Mans sur la même voiture en 2010. L’aventure tourna court, le papa, toujours aussi généreux au volant à 56 ans, ayant pulvérisé la voiture dès le deuxième tour.

Beltoise : Anthony et Julien, fils de Jean-Pierre

Jean-Pierre Beltoise a roulé en F1 à une époque où les probabilités de se tuer en course étaient effrayantes. Son épouse, maman d’Anthony et de Julien, y avait perdu son frère, François Cevert. Dans ces conditions, les parents ont fait en sorte que la destinée des deux rejetons Beltoise ne croise le sport automobile. Pas de karting à l’adolescence par exemple. Mais le poids de l’héritage et les atavismes étaient sans doute trop forts et à l’âge adulte, chacun se lança dans le sport automobile. Trop tard pour parvenir en F1, mais avec un réel talent pour les deux frères. Anthony poursuit sa carrière en GT et Julien a créé un magnifique circuit à Saintonge en Charente.

Les filles aussi

Ickx : Vanina, fille de Jacky

Comme souvent chez les enfants de pilotes que les papas veulent préserver, Vanina est venue tard au sport automobile. Trop tard pour espérer une carrière au plus haut niveau, ce qui ne l’a pas empêché de s’attaquer à de sacrés challenges comme le DTM allemand ou les 24 Heures du Mans en LMP1, avec une belle septième place au classement général en 2011. Elle a depuis pris sa retraite sportive.

Laffite : Margot, fille de Jacques

Margot s’est orientée vers le journalisme, mais elle aurait peut-être mené une belle carrière de pilote si elle avait persévéré dans cette voie. Montrant de belles dispositions au pilotage, elle s’est notamment illustrée dans les formules monotypes telles la Renault Mégane Trophy ou les courses sur glace.

Les « presque » fils

Fangio : Juan Manuel et Juan Manuel II

Point commun entre les deux Fangio, des débuts en compétition très tardifs. La comparaison s’arrête là. Si le premier est resté pendant cinquante ans le plus grand pilote de l’histoire, le second ne brillera que dans des courses américaines et ne prendra jamais le départ d’un grand prix.

Senna : Bruno, neveu d’Ayrton

Ayrton Senna aimait les enfants, mais n’avait pas encore trouvé la femme de sa vie. C’est donc avec son neveu qu’il jouait au papa attentionné, en l’initiant au karting ou au jet-ski. Mais Viviane, sœur d’Ayrton et maman du petit Bruno âgé de dix ans quand Ayrton disparait, lui interdira de poursuivre dans cette voie. Ce n’est qu’à vingt ans qu’il démarre sa carrière en auto, bien trop tard pour espérer briller au plus haut niveau. Après quelques saisons peu convaincantes en F1, il s’est reconverti en Endurance.

Trintignant : Jean-Louis, neveu de Maurice

Maurice Trintignant restera à jamais le premier français à avoir remporté un grand prix de Formule 1, qui plus est à Monaco, en 1955. Son neveu, pilote automobile dans le film Un Homme et une Femme, s’essaiera à la course dans la vraie vie à de nombreuses reprises, mais avec beaucoup de moins de succès, ne dépassant jamais le stade d’amateur.



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