Car Life
Lapo Elkann : la vie à toute allure

Héritier du groupe Fiat, figure du gotha, « Laps » pour les intimes est une star en Italie. Hyperactif, le petit-fils de l’Avvocato Giovanni Agnelli a lancé sa propre marque et crée aussi pour les autres, qu’il s’agisse de Fiat, Vertu ou Gucci. Portrait, pied au plancher.

Icono-classe

Entrepreneur multicarte et véritable bête de mode, Lapo Elkann cultive aussi une certaine excentricité.
Lunettes Italia Independent

Avec lui, c’est la première fois que le monde de la lunette de la mode croise la technologie, jusqu’alors réservée à la Formule 1

Lapo Elkann en 6 dates
1977 : naissance
1995 : bac à Victor Duruy, à Paris
2005 : relance de la Fiat 500
2007 : création de Italia Indepedent
2012 : lancement d’un téléphone Vertu
2013 : introduction en bourse

Style master

Vendre de l’automobile, mais aussi et surtout du rêve : telles sont les missions assignées au jeune créateur.
Costume et chaussures issus de la collection capsule Lapo Elkann pour Gucci

L’élégance en héritage

Parmi ses références, son grand-père Gianni Agnelli, surnommé l’Avvocato, ancien président du groupe Fiat, considéré en son temps comme LE symbole du chic italien.

Fiat & luxe

Ici avec Frida Giannini, directrice de la création de Gucci, au lancement de la 500… Gucci.
Costume collection capsule Lapo Elkann pour Gucci, chaussures Adidas Spezial

Prendre rendez-vous avec Lapo Elkann est presque plus difficile que de rencontrer son frère, John, pourtant président du groupe Fiat, et dont la famille est l’un des principaux actionnaires, en même temps que du patronat italien. Pour cela, il nous a fallu nous rendre à Bombay, où le riche et célèbre entrepreneur était convié par le joaillier Cartier comme membre du jury de son concours d’élégance automobile bisannuel « Travel with style ». « Moi je m’intéresse aux voitures depuis que je suis bébé, nous confie-t-il. Il y a plusieurs Fiat de collection qui sont des merveilles. Et Cartier a fait un très beau travail en rassemblant ces chefs-d’œuvre. Je suis admiratif. Ils regroupent des autos autour de l’idée du beau, mais sans imposer en Inde une esthétique française. On ne voit que des voitures de maharadjahs, et il y en a plusieurs que j’aimerais bien avoir dans mon garage. » Dans la bouche de ce pape du style, bercé depuis sa plus tendre enfance entre Turin, siège historique du groupe automobile, et Maranello, celui de Ferrari, sans oublier les ateliers familiaux peuplés de Maserati et autres Alfa Romeo, le compliment n’est pas mince.

Objectif monde

Car notre dandy transalpin a beau être le petit-fils d’un richissime industriel, il ne mène pas véritablement une vie de débauche, tels certains héritiers oisifs. Il a fait de son existence une quête de style absolue. Jusqu’à en devenir une icône en la matière. Tandis que son frère préside aux destinées de Fiat, lui ambitionne de fonder un empire dans le design et la création. Ce sera Italia Independent, qu’il vient d’introduire en bourse à Milan, avec succès. Il a démarré modestement, il y a dix ans, en concevant des lunettes ultra-légères en carbone à plusieurs centaines d’euros la paire. C’était la première fois que le monde de la lunette et de la mode croisait la technologie, jusqu’alors réservée à l’automobile, voire à la Formule 1. Devant la futilité d’un tel accessoire, certaines voix moqueuses se feront entendre. Et le regretteront, car les magazines les plus glamour se feront l’écho des créations du jeune Milanais. La réussite était au bout du chemin. Aujourd’hui, son petit groupe continue de produire des dizaines de nouveautés chaque année – la dernière en date, incassable, se plie et se tord à merci –, un record, et se paie même le luxe de sortir une collection avec Karl Lagerfeld. Certes, il y a les lunettes, qui représentent 85 % du chiffre d’affaires et de la marge de la société de Lapo, mais il n’y a pas que ça. Des chandeliers, des vases, des meubles, un bateau, sans parler de la musique, des films, des campagnes publicitaires, des bijoux pour hommes avec Dinh Van, des frigos avec Smeg, des téléphones avec Vertu. Ou encore du prêt-à-porter.

Œuvrer pour l’Italie

Des collections rares, vendues dans quelques endroits pointus, qui revisitent de grands classiques du vestiaire masculin comme la chemise blanche à la coupe impeccable, avec son bouton en nacre aux couleurs du drapeau italien (le détail qui tue !), ou encore le chapeau coédité avec Borsalino, le maillot de bain qui sèche plus vite que son ombre et une palanquée de tee-shirts élégants. Mais après quoi court Lapo Elkann ? « Je veux aussi porter loin l’image de l’Italie. Ce qui m’intéresse, au fond, c’est de mixer des talents et des influences, de collaborer avec des gens issus d’horizons différents et d’opérer des jonctions entre des univers jusque-là séparés. Par exemple, faire intervenir les industriels de la Formule 1 dans la mode et les amener vers le style, faire faire des meubles à des gens issus de l’aérospatiale, mélanger les gens du nautisme à l’automobile, le tissu et le carbone. » Son rêve aujourd’hui ? Travailler sur un bateau de 40 mètres, qui serait un navire furtif inspiré des lignes des drones militaires, ou bien réaliser les équipements visuels des forces spéciales d’intervention de la police. Mais pourquoi dépense-t-il tant d’énergie à se faire un prénom à l’extérieur, lui qui avait tout pour réussir à l’intérieur du groupe familial et qui manifeste depuis sa tendre enfance une réelle appétence pour l’automobile ? « Je continue à les aider, sur le design et la communication, quand on me le demande. Mais je suis indépendant. Je veux bâtir mon empire, pas gérer celui dont j’ai hérité. Je veux construire mon monde, avec unité, travail et passion, pas rentrer dans un système. Hériter est stimulant. Au départ, ça m’a plu… D’ailleurs, je suis entré dans le groupe à un moment historique. Le président m’a donné des opportunités formidables, je ne le regrette pas. Je ne l’oublierai pas non plus. Le groupe est dans mon cœur. Mais il y a quelques années, je me suis dit qu’il était temps de mener d’autres batailles. »

Et plus Lapo sera fort, plus il pourra servir et aider sa famille ! Après une jeunesse dorée mais tumultueuse et un apprentissage de « fils de », l’ancien bad boy de la Botte a repris son destin en main. Il s’est entouré de gens de qualité, comme Andrea, l’un de ses associés, ou Alessia, qui s’occupe de sa communication, tous deux de grands professionnels l’aidant à avancer. Savoir bien s’entourer : sans doute une des leçons qu’il a tirées de son expérience en tant qu’assistant personnel auprès d’Henry Kissinger, ex-secrétaire d’Etat du Président Kennedy.

Marteler ses convictions, sa vision, au service de son indépendance également. Voilà pourquoi ni Fiat ni Ferrari ne sont parvenues à le détourner de l’objectif qu’il s’était fixé. Il est sans doute plus facile de s’émanciper quand on a déjà fait ses preuves au sein du groupe. Lapo a ainsi contribué à la renaissance de la Fiat 500 avant de s’en aller. Il n’en est pas peu fier, et il n’a pas tort. Les chiffres parlent pour lui… « Quand je suis entré chez Fiat, l’action valait 3 €. Quand j’en suis parti, elle avait atteint 23 €. La preuve que je n’ai pas quitté un navire qui prenait l’eau… J’aime ce que je fais, je suis quelqu’un de passionné. J’aime travailler, mettre les mains dans le cambouis. C’est mon dada. J’ai besoin de ça, c’est mon adrénaline. »

« Je ne roule plus en Ferrari »

En tout cas dans ses bureaux milanais, l’automobile est omniprésente : un écusson Ferrari sert de presse-papier ; aux murs, des dessins techniques de Ferrari, une combinaison de Fernando Alonso, une sculpture faite de pots d’échappements ; ou encore un coin salon, avec des fauteuils réalisés à partir d’avants de Fiat 500. « Quand on me parle d’auto, mes yeux brillent, mon cœur bat. L’auto, c’est mon grand amour, le sujet sur lequel j’ai passé le plus de temps. J’ai travaillé chez Ferrari, Maserati, dans le groupe Fiat, et j’espère que ce n’est que le début. » Cet été, Lapo Elkann a d’ailleurs eu l’insigne d’honneur d’être reçu dans le Hall of Fame de Detroit, aux Etats-Unis. Avant lui, seuls de rares Italiens y avaient eu droit : son arrière-grand-père, le génie à l’origine de Fiat, Ettore Bugatti, Pininfarina, Giugiaro ou Enzo Ferrrari… excusez du peu. Elkann, qui possède de nombreuses autos, des Ferrari, des Fiat 500, des Abarth, des Jeep, mais aussi une Vespa et des motos, a d’ailleurs craqué récemment pour la nouvelle Maserati Ghibli. « Mais je la préférerais dans un habillage chic, sobre, parce que j’ai déjà des autos pop et funky. » Cela dit, il y a belle lurette qu’on ne l’a plus vu au volant de sa Ferrari 599 GTB blanc perle mat avec sièges en jean, ou de sa 458 Italia camouflage. « Vu la crise en Europe, je ne roule plus en Ferrari, s’excuse-t-il. A Miami, ailleurs, mais pas ici, ni en France. » Un comble. Mais il est vrai que, quand on vient de sortir un livre intitulé Lapo, les règles de mon style, on ne peut pas se permettre une faute de goût. Surtout quand on apparaît régulièrement dans les classements des hommes ou des célibataires les plus sexy. Ou qu’on signe, en collaboration avec Frida Giannini (la directrice artistique de Gucci), une collection complète de vêtements et d’accessoires, « Le vestiaire de Lapo », destinée au gratin.

« Italian Motherfucker »

Les premiers éléments, présentés en juin à Milan, racontent une histoire italienne contemporaine, élaborée à l’aide des meilleurs artisans et savoir-faire transalpins. Le résultat, sous forme de shop in shop dans les flagship stores Gucci, est une série d’objets inspirés des goûts de Lapo, que les clients les plus exigeants peuvent se faire faire sur mesure, en choisissant le tissu, le cuir, ou le métal ainsi que les éléments de personnalisation qui vont bien (doublure, gravure, broderie…). De la cravate au manteau 100 % cachemire, de la tenue la plus excentrique au costume le plus classique, l’ensemble impressionne. Cela dit, il n’est pas certain que l’une de ses dernières folies automobiles, badgée « Italian motherfucker » sur le bumper arrière, un Grand Cherokee blanc, soit du meilleur chic. Allez, personne n’est parfait, même s’il sera beaucoup pardonné à quelqu’un dont le travail sur la Fiat 500 a sans aucun doute sauvé le groupe italien de la disparition à laquelle il était voué. Rien que pour cela, et parce que les Agnelli-Elkann sont un peu les Kennedy de la Botte, ses compatriotes lui vouent presque une admiration sans borne. Essayez d’aller dans un restaurant italien avec lui à Paris : si le patron est vraiment un rital, il n’acceptera jamais que vous payiez l’addition.

Fana de conduite, Lapo déteste jouer au passager, « une punition », dit-il. Il n’a pas de chauffeur et pilote lui-même les sportives et berlines. « Pour certains, être conduit est un luxe ; pour moi c’est l’inverse. » Ce paradoxe illustre assez bien la compplexité qui caractérise le personnage, celui-ci ne se résumant certainement pas à la caricature qu’en font les magazines people.

Moteur d’idées

Si, aujourd’hui, il concentre son attention sur le développement de ses collections de lunettes et de sa société, le jeune Elkann regarde avec autant de passion, de dévotion, cette industrie, ce monde qui lui a fourni tant d’idées pour l’entreprise qu’il a créée. « Il y a des marges de croissance énormes, chez Maserati, Fiat. Il y a aussi beaucoup à faire encore en termes de personnalisation et de customisation. On l’a vu avec l’essor des peintures mates, des pieces uniques sur mesure chez Ferrari, où je crois que 90 % des autos sont customisées. » Lapo Elkann, le pied au plancher dans sa vie d’entrepreneur, mais l’autre toujours dans l’industrie.



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