Pierre-Olivier Marie
Comment Rome a inventé la Formule 1

Star-system, champions surpayés, produits dérivés, course à l’armement… : les courses de chars, il y a plus de 2000 ans, ont jeté les bases de la Formule 1 moderne. Voici comment.

Des pilotes superstars. Les courses de quadrige (4 chevaux) constituent le clou de tout spectacle sportif. Lors des jeux du cirque, qui réunissent jusqu’à 150 000 spectateurs (!) à Rome, ce sont les courses de char qui captivent principalement l’attention. Un aurige (cocher) réputé pèse financièrement autant qu’une star de la F1 aujourd’hui. Une victoire rapporte ainsi de 30 à 60000 sesterces, alors que pour être considéré comme chevalier, terme qui désigne la frange la plus riche de la population, il faut disposer de 400 000 sesterces. Précisons aussi que l’on se tue beaucoup en piste à l’époque, ce qui contribue à l’aura dont bénéficient les auriges. «(…) l’agitator est la vedette sportive incontestée du monde romain, adulée des foules masculine et féminine, il a ses statues dans certains lieux de la ville (…), les millions de sesterces qu’il remporte scandalisent les bonnes âmes et les auteurs satiriques, comme aujourd’hui le salaire mensuel de nos footballeurs (…) » précisent ainsi Wolfgang Decker et Jean-Paul Thuillier dans Le sport dans l’Antiquité (éditions Picard).

Une accession difficile à la catégorie-reine. Avant de piloter un quadrige, discipline n°1, il faut en passer par les courses de bige (deux chevaux) et trige (trois chevaux). Tout comme il faut démontrer son talent en karting et en F3 si l’on veut accéder un jour à la discipline-reine du sport automobile. Seuls ceux qui font leurs preuves dans ces courses mineures parviennent à s’élever dans la hiérarchie de leur faction (que l’on pourrait comparer à une écurie), avec l’espoir d’y devenir un jour primus agitator, c’est-à-dire « pilote » n°1.

Des factions s’apparentant à de véritables écuries de course. On compte quatre factions à Rome, chacune faisant courir plusieurs attelages. Ces factions brassent beaucoup d’argent et fonctionnent comme de véritables entreprises. Outre des entraîneurs, médecins et personnes chargées de soigner les animaux, elles emploient des artisans chargés de l’entretien des locaux et du matériel, des comptables et des secrétaires. Tous sont placés sous l’autorité du dominus, que l’on pourrait rapprocher du patron d’écurie aujourd’hui.

De nombreux supporters. Chaque faction compte ses fans, qui l’encouragent lors des épreuves du cirque et suivent sa vie de près. Les chevaux comptent aussi de très nombreux fans, qui connaissent leurs noms et origines complètes.

Des transferts aux montants faramineux. Les transferts d’une faction à une autre sont courants, avec de fortes sommes d’argent à la clé : on parle de 400 000 sesterces, quand le salaire moyen quotidien s’établit à 5 sesterces par jour. Des produis dérivés existaient aussi (bagues, vêtements…).

Un matériel high-tech. L’aurige porte un casque habituellement en cuir (et parfois métallique) qui présente un bourrelet à l’avant et un couvre-nuque très développé et recourbé vers l’extérieur. Ce qui pourra évoquer le système HANS désormais obligatoire en compétition. Sur le corps, un maillot-tunique plutôt moulant et rembourré par endroits, avec des broderies. Comme le casque, il est aux couleurs de l’écurie. Quant au char, il est ultra-léger, constitué de cuir et d’osier.

Le sens du spectacle. Pour que les spectateurs du Circus Maximus de Rome puissent suivre la progression de la course (environ 7 tours, soit 6 km), un système de portiques comporte des éléments abaissés à chaque tour. Précisons que, pour éviter les faux départs et limiter les risques de carambolage, les chars sortent de stalles dont les portes s’ouvrent au même moment. Il arrive aussi parfois que les auriges courent jusqu’à leur char (pedibus ad quadrigam), comme ce fut longtemps le cas aux 24 Heures du Mans ! Le vainqueur effectue un tour d’honneur, arborant palmes et couronne. Et après la course sont organisées des orgies, auxquelles participent les auriges encore vaillants (ou vivants). Ce qui pourra rappeler des souvenirs à quelques pilotes de F1 retraités…

Pas d’arrêts au stands, mais…un sparsor, employé de la faction dont la mission est de jeter de l’eau sur la tête des chevaux pendant la course afin de les rafraîchir. Au péril de sa vie, il doit se faufiler, amphore en main, entre les chars lancés à toute vitesse, au risque d’être piétiné. Ce qui arrive régulièrement.

Pour en savoir plus. Nous vous renvoyons au passionnant ouvrage signé Wolfgang Decker et Jean-Paul Thuillier, Le sport dans l’Antiquité (éditions Picard). (Reproduire la couverture de l’ouvrage)



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