Thierry Soave
Car Life dans la course, en Alpine

Un scoop ? Mieux, un immense privilège. Car Life a participé à la toute première course automobile d’une véritable Alpine depuis la renaissance de la marque. Et ce, à quelques jours du Grand Prix de France sur le circuit Paul Ricard. Magique.

Un sans-faute. S’il a été long à se dessiner, le revival Alpine franchit chaque étape de sa construction en respectant à la lettre l’esprit de la vénérable marque française. Car il faut le célébrer cet événement dans le petit monde de la voiture sportive. Depuis le temps que nous nous lamentons, de voir cette catégorie, positionnée pile dans la cible d’Alpine, s’élargir avec l’Audi TT, la BMW Z4 ou le Porsche Cayman, sans que Renault ne s’en émeuve… Eh bien voilà : nous sommes en 2018 et l’Alpine A110 reprend sa place dans un marché, celui des ultra-sportives légères et typées, qu’elle a contribué à créer il y a plus de cinquante ans. Mais attention, à l’époque de Jean Rédélé, le mot marketing n’existait pas, donc pas de blague, type traction avant, poids élevé, prix exorbitant ou, pire que tout, un simple autocollant sur une Renault de la gamme vaguement virilisée. Non, l’Alpine du XXIe siècle sera une vraie Alpine ou ne sera pas.

Avec mon ingénieur qui va m’aider tout au long du week-end à trouver les bons réglages.

L’essai de la version de route aura rassuré autant les gardiens du temple que les plus jeunes acheteurs -surprises, ils sont nombreux, comme quoi la culture n’est pas qu’une valeur d’anciens-, mais la boucle sera effectivement bouclée une fois la version course en piste. Il s’agit même d’un aspect fondamental du retour d’Alpine. On exagère ? Pas sûr. Certes, cet élément du dispositif n’a généralement aucune importance pour la plupart des nouveautés. Y compris chez les marques les plus sportives. Que seul un modèle de Ferrari (la 488) sur les cinq que compte la gamme (Portofino, GTC4, 812 et LaFerrari) existe en version compétition ne dérange personne. Idem chez Lamborghini ou chez Aston. Mais Alpine, c’est la course, et il n’est pas concevable que la voiture vendue dans le commerce, ne soit pas également engagée en compétition. Ainsi, hormis les séries limitées au destin, ou à l’existence, liées à l’homologation (souvent 200 exemplaires produits, pas un de plus), peu de voitures auront autant mérité l’appellation « une voiture de course pour la route » que la Berlinette des années folles : les premières Ferrari de l’histoire, la Lancia Stratos, la Fiat 131 Abarth, la R5 Turbo, pour ne citer que quelques célébrités, mais l’Alpine aura une véritable carrière commerciale et ne faisait donc pas semblant, ni en course (un palmarès long comme le bras), ni sur la route, avec 7 100 exemplaires produits, soit bien plus que tous les modèles précédemment cités réunis !

Premiers tours de roues d’Alpine de course sur un circuit français depuis plus de trente ans.

Certains nous rappellerons que l’événement a déjà eu lieu puisque Alpine est présent aux 24 Heures du Mans depuis 20xx, avec une retentissante victoire en LMP2 l’an dernier, mais ce prototype n’a aucun rapport technique avec la marque. Cela n’enlève aucun mérite à tous les acteurs de cette magnifique aventure (de la même façon qu’on ne reproche à personne l’absence totale de points communs entre la Mercedes de Lewis Hamilton et une Mercedes vendue en concession), mais la vraie Alpine de course, c’est aujourd’hui que nous allons la découvrir, dans cette Europa Cup 2018, et vivre cet instant historique en étant soi-même acteur constitue un immense honneur.

Comme attendu, le comportement de la voiture est exceptionnel : tenue de route, freinage, le châssis de l’A110 est largement sur-dimensionné. Ou pour dire les choses moins poliment, son moteur manque encore de punch.

Bien sûr, aucun risque en termes de résultats pour la marque puisque cette nouvelle compétition n’accueille que des A110. Mais la pression était tout de même grande chez les concepteurs, sur au moins deux points fondamentaux : le nombre d’engagés et la fiabilité pour une auto et une compétition montées de toutes pièces. Disons-le d’emblée, tout le monde a rempli son contrat. Il y avait dix-sept concurrents inscrits à cette première épreuve. Très encourageant, car ce ne sont que des teams français alors qu’il s’agit d’un championnat européen qui accueillera sans aucun doute des concurrents étrangers, d’autant que les prochaines épreuves se déroulent également hors de France, en Allemagne (Nürburgring), en Grande-Bretagne (Silverstone), en Espagne (Barcelone) et en Belgique (Spa). Par ailleurs, pour bien montrer que l’Alpine n’a pas peur de se mesurer à la concurrence, deux versions GT4 seront engagées dès juillet dans le Championnat de France GT, compétition qui accueille 40 engagés, et dans laquelle toutes les marques sportives sont représentées : Porsche Cayman, BMW M4, Audi R8, Mercedes AMG, Aston Martin Vantage… Et concernant la fiabilité, hormis quelques petits soucis de jeunesse sur deux ou trois voitures (soit bien moins que dans une formule aguerrie), tout les pilotes ont pu profiter à plein du tempérament de l’A110 moderne.

Fin de la première séance d’essais libres : 7ème temps du classement général, avec une voiture que je n’avais jamais conduite. Cela donne une idée de la facilité de cette Alpine.

Le format du week-end est parfaitement dosé : deux séances d’essais libres, deux séances qualificatives et deux courses, soit six roulages de 30 minutes chacun, pour un total de 3 heures passées dans la voiture à chaque épreuve. Et c’est du sprint, donc à fond tout le temps ! Dans mon cas, le timing est différent puisque je partage le week-end avec un autre invité, qui n’est autre qu’Eric Hélary, l’un des meilleurs pilotes français de ces dernières décennies, notamment vainqueur des 24 Heures du Mans avec Peugeot et ancien pilote de DTM. Il fait le même sujet que moi pour Turbo sur M6, et a fait monter le journaliste à ses côtés durant une séance privée pour lui faire partager les sensations. Une aubaine pour moi, qui bénéficie des conseils d’un sacré client et me permet de travailler avec l’ingénieur sur les tours réalisés par un pilote pro, que l’ordinateur va confronter aux miens. Mais en contrepartie, je roulerai deux fois moins que les autres concurrents, avec une seule séance d’essais libres et qualifs, et une seule course. Alpine est déjà bien gentil de nous inviter, on ne va pas trop en demander non plus.

Le retour d’Alpine sur les circuits a attiré de nombreux curieux.

La première difficulté consiste à m’installer dans la voiture, dont l’habitabilité est réduite par la présence de l’arceau de sécurité. Après quelques ajustements, bras, jambes, buste et même tête (casquée !) finissent par rentrer dans un ordre variable selon les séquence, mais dans un confort finalement tout à fait acceptable malgré mon mètre quatre-vingt-douze. Une fois installé, première surprise, le tableau de bord est devenu totalement factice, puisque toutes les commandes et l’instrumentation sont groupées sur le volant. Attention, embouteillage. On y retrouve les diodes de régimes moteur, l’indication du rapport engagé, le temps du tour en cours, le meilleur tour, l’avance ou le retard en direct par rapport au meilleur tour, toutes les températures, les voyants de phare et mille autres indications. Mais ce n’est pas tout puisqu’il regroupe également les principales commandes : 10 positions d’ABS, 10 position de traction control, limiteur de vitesse dans les stands, contact, démarreur, appels de phares, feux de pluie, essuie-glace, boisson, radio, défilement des pages, palettes de changement de rapports… Oui, tout cela sur un volant, et de tout petit diamètre ! Incroyable. Léger souci tout de même, pour les pilotes du troisième âge comme moi, qui ont besoin de lunettes pour voir de près, mais qui n’en portent pas pour voir de loin, il est préférable de tout apprendre par cœur à l’arrêt, lunettes sur le nez, plutôt qu’au milieu du peloton de furieux lancés à pleine vitesse, pour éviter de confondre le bouton de radio avec le limiteur de vitesse pour les stands (un grand classique).

Comme dans toute voiture de course moderne qui se respecte, pratiquement toutes les commandes sont regroupées sur le volant. Pratique certes, sauf pour les vieillards comme moi, qui voient toujours très bien de loin (et qui roulent donc sans lunettes), mais plus de près !

C’est parti pour la séance d’essais libres. Je ne connais pas la voiture, au contraire des autres concurrents qui ont réalisé plusieurs journées d’essais ici et sur d’autres circuits, mais je suis assez satisfait de mes premiers tours car tout se passe bien dans la voiture. Je m’y sens immédiatement très à l’aise et j’imagine que mes temps ne sont pas ridicules. Comme convenu, je marque une pause à mi-séance pour refaire les pressions de pneus et échanger avec mon chef mécanicien. Mon meilleur tour est en 1’25. Quand on m’annonce que les meilleurs tournent en… 1’18, je suis proche de l’évanouissement. 7 secondes d’écart ! A ce moment, je comprends que l’Alpine Cup équipée en pneus slicks Michelin doit être une sorte de ventouse collée à la piste et que je n’exploite absolument rien de son potentiel. Je repars en m’efforçant de freiner plus tard et surtout, de réaccélérer, beaucoup, beaucoup plus tôt et plus franchement. J’en remets de plus en plus à chaque virage, pour constater qu’il reste toujours une grosse marge d’adhérence. C’est inouï. Après la séance, les pilotes habitués à la voiture m’indiquent qu’ils déconnectent l’antipatinage car le grip naturel de la voiture s’en dispense parfaitement. Au final, en allant chercher loin, très loin mes propres limites, mais sans toujours sentir celles de la voiture, cette séance se termine pour moi avec plus de 5 secondes de gagnées (!!), le 7e temps au général, et pas le moindre problème technique à signaler. Grosse satisfaction, mais l’inquiétude de voir les autres progresser dans les deux prochaines séances auxquelles je ne prendrai pas part, et avant ma séance d’essais qualificatifs qui aura lieu le lendemain. Ce qui va se passer, évidemment.

Eric Hélary me donnent quelques trucs pour gagner du temps dans le double droite du Beausset. Ne pas en perdre serait déjà bien.

Eric Hélary a pris les choses en main et se qualifie 5ème. Le lendemain, je m’approche de son temps à 1’2, mais je ne suis pas content de moi. Le grip phénoménal que je n’avais pas réussi à exploiter la veille a été accentué par le montage des pneus neufs avec lesquels les autres concurrents ont bien plus progressé que moi. Résultat, 10e position et un chrono de 1’19 »6. Que c’est dur la compétition.

Je vis la course 1 en spectateur, en observant le comportement de chacun pour y déceler quelques points faibles et opportunités de dépassements. Sans succès. Tout le monde roule très bien sans faire de faute. Particulièrement les deux leaders, Vincent Beltoise et Pierre Sancinéna, vainqueurs d’une manche chacun, ainsi que mes deux compagnons d’écurie, le boss Sylvain Noël qui termine sur le podium et Mathieu Blaise, incroyable 8ème pour la première course de sa vie.

Je veux bien partager ma voiture, mais seulement avec un vainqueur des 24 Heures du Mans.

Elément qui m’inquiète également, je vois Eric Hélary, immense pilote s’il en est, naviguer aux alentours de la 7ème place avec ma voiture. Je ne me vois évidemment pas faire mieux que lui. Finalement, sa science de la course et quelques événements lui permettront de rejoindre l’arrivée en 5ème position, ce qui reste une belle performance pour quelqu’un qui n’avait jamais conduit cette auto.

L’expérience la plus brève du week-end sera finalement ma course elle-même. Après avoir réfléchi toute la semaine à tous les scénarios de départ possible (je me faufile par la gauche à l’intérieur et j’en double trois d’un coup, ou je fais plutôt l’extérieur au premier freinage ce qui me permet d’être à la corde du S de la Verrerie et de sauter deux lignes), l’aventure va s’arrêter avant même d’avoir franchi la ligne de départ ! Au feu vert, avec ma délicatesse habituelle, j’écrase la pédale d’accélérateur qui ne va pas résister et se casser à la base ! Tout le monde me double avant que je ne comprenne ce qui se passe. En desserrant légèrement mes harnais et en allongeant la jambe droite, je parviens à atteindre avec mon pied un morceau de la tige qui précédait la pédale et à vaguement réaccélérer, mais au prix de contorsions peu académiques, et surtout un temps d’action interminable à chaque sortie de virage. Après quelques tours hoquetants, je décide sagement de rentrer au stand pour éviter de casser bêtement la voiture. Et imaginez que je fracasse l’avant, personne n’aurait cru à cette très invraisemblable histoire de pédale cassée ! Désolé pour la fin en queue de poisson de ce papier, mais il s’agissait de la première course d’une Alpine et il fallait bien faire un crash-test grandeur nature. Heureusement, il n’a concerné que la pédale et non pas la voiture entière. En tous cas, cet abandon prématuré va certainement m’inciter à trouver une solution pour engager une voiture Car Life sur une des prochaines courses. A suivre, j’espère…

Adieu petit bolide, à une prochaine fois j’espère.



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