Car Life
Roman Polanski : «Avec Weekend of a Champion, j’ai fait un film sur quelqu’un de fascinant»


En 1971, Frank Simon, réalisateur, et Roman Polanski, en tant que producteur, ont suivi le pilote de Formule 1 Jackie Stewart, le temps du week-end du Grand Prix de Monaco. Ils en ont tiré un documentaire presque inédit, Weekend of a Champion, dont une version restaurée, remontée et complétée sortira en salles le 18 décembre. Des premiers essais à l’après-course, c’est une extraordinaire plongée dans l’intimité d’un champion au faîte de sa gloire qui nous est offerte. A ne pas rater.

L’idée de ce documentaire sur Jackie Stewart, Weekend of a Champion, m’est venue parce que je m’intéressais beaucoup au sport automobile et que nous étions proches. J’ai voulu faire un film sur un ami, un grand champion, quelqu’un de fascinant. Il savait (et sait toujours) transmettre à son interlocuteur des concepts très techniques d’une manière simple et claire. Ce qui est aussi intéressant ici, c’est qu’il nous révèle ses secrets de conduite. D’ailleurs, on s’en rend bien compte quand, dans les stands, Jackie donne des conseils à François Cevert puis s’arrête, pour éviter que l’autre coureur ne l’entende. Avant, tout était ouvert, les écuries pouvaient s’espionner les unes les autres. La caméra embarquée est une innovation de Frank Simon, le réalisateur. Quand le documentaire a été présenté au Festival de Berlin, en 1972, il s’agissait d’images inédites. On n’aurait jamais pu tourner ainsi sans Jackie, et sans le pouvoir qu’il avait dans les négociations avec les organisateurs. On a fait un seul tour, sous la pluie, en plus ! Et là, on voit ce que le pilote voit, c’est-à-dire pas grand-chose dans ces conditions. On réalise les risques que les coureurs prenaient, notamment dans le fameux tunnel de Monte-Carlo. A l’époque, c’était un trou noir, et puis les bords saillants des trottoirs seraient inconcevables de nos jours…

On aperçoit dans le film de nombreuses légendes disparues : Graham Hill, Louis Chiron, Fangio… Aujourd’hui, on a le sentiment qu’il y a moins de figures marquantes dans le sport auto. Autrefois, la motivation des pilotes était bien différente. On avait affaire à des gladiateurs ! Le public attendait du sang et de la violence, comme le dit Jackie Stewart. Lui-même était une sorte de rock-star, quelqu’un de très populaire, représentatif de l’esprit fun et de la liberté qui animait les années 70. Mais c’était aussi quelqu’un d’extrêmement discipliné, intelligent, et le champion de la sécurité. C’est grâce à lui qu’il y a un tel dispositif désormais, comme les rambardes ou les feux rouges à l’arrière lorsqu’il pleut. Jackie se battait pour tout ça. Avec d’autres pilotes, mais il était le leader, celui qui bataillait pour faire évoluer les choses et rendre la compétition moins dangereuse. Il en parle dans le film : un pilote de F1 avait alors une chance sur trois de survivre sur une période de cinq ans. D’ailleurs, tous ceux que l’on voit faire la queue, dans une scène, pour serrer la main du prince de Monaco, sont morts dans des accidents de course. Si j’ai mis l’accent sur la sécurité lors de nos retrouvailles, c’est parce que c’était une de ses obsessions. Son combat a porté ses fruits.

À de rares exceptions près, ce film tourné en 1971 est resté quasiment inédit. Il a pourtant été distribué, mais les documentaires étaient peu prisés au cinéma. Il est passé une fois à la télévision en Angleterre, il a obtenu un prix en 1972 au Festival de Berlin. Et ce fut tout.
Il y a cinq ans, le laboratoire Technicolor de Londres m’a contacté pour savoir s’ils pouvaient disposer du négatif du film. Je n’en avais pas entendu parler depuis très longtemps. Je leur ai demandé de me tirer une copie. Après l’avoir visionnée, je leur ai réclamé un master et j’ai dit à mon monteur, Hervé de Luze, que je voulais restaurer le film et tourner une partie contemporaine avec Jackie. Nous avons passé pas mal de temps sur la version d’origine : on l’a remontée, amputée d’environ trente minutes, complétée avec du matériel d’archives puis remixée. J’ai travaillé avec mes collaborateurs habituels, qui ne connaissaient pas la première mouture. Après Weekend of a champion, Frank Simon a entamé un autre projet, The Chicken Chronicles. Puis j’ai appris qu’il avait eu un accident vasculaire et qu’il était hospitalisé à une heure de New York. C’était il y a une trentaine d’années. C’est la dernière fois que j’ai entendu parler de lui. Il est décédé quelque temps après. J’aimais beaucoup Frank. En plus d’être un réalisateur de documentaires hors pair, il était un formidable joueur d’échecs. Il m’a beaucoup appris. Si j’ai choisi de ressortir ce film aujourd’hui, c’est pour des raison sentimentales, et la nostalgie d’une très belle époque.