Début 2015, Jean-Pierre Beltoise nous a quittés. Survivant miraculé (plusieurs fois !) d’une époque tragique pour les pilotes, star parmi les sportifs français et précurseur en matière de sécurité routière, il a aspiré derrière lui toute une génération de champions -Jabouille, Pironi, Depailler, Prost…-, qui ont brillé tout en haut de la hiérarchie de la F1. Rencontre avec le père du sport auto français moderne, quelques mois avant sa disparition.
Jean-Pierre Beltoise le disait lui-même : « j’ai eu cinq vies ». Plusieurs vies de pilote (de moto, de Formule 1, d’Endurance, de Tourisme…), mais, plus étonnant, il reste le seul pilote de notoriété à avoir mis sa science de la conduite au service du grand public avec ses stages de formation Conduire Juste. Il mériterait un immense respect, uniquement pour cette raison, mais il y en a bien d’autres. Nous l’avions rencontré la dernière fois pour une interview dans Question Auto, autre magazine du groupe. Entretien que nous avons décidé de retranscrire aujourd’hui dans Car Life. En fait, une interview de Jean-Pierre, ce n’est pas véritablement une interview. Plutôt une discussion passionnée, animée, imagée, d’une demi-journée minimum, (alors que le créneau accordé n’était que de « 45 mn maximum Thierry »). Ca, c’est pour le bon moment. Le mauvais, c’est quand il faut retranscrire les cinq heures de conversation par écrit, soit au bas mot, plusieurs jours de travail. Mais le résultat en vaut la peine.
Jean-Pierre, vous êtes un cas unique parmi les pilotes de Grand Prix. Vous êtes le seul à vous être reconverti dans la formation des conducteurs. Pourquoi ?
Déjà, je suis d’un naturel extrêmement prudent. A la maison, quand les enfants étaient petits, je mettais de la mousse aux coins des tables pour éviter qu’ils se fassent mal. Et puis bien sûr, dans les années 60 et 70, que ce soit en compétition ou sur la route, la mortalité automobile était un véritable fléau. Personnellement, j’ai perdu un de mes frères et ma première femme dans des accidents de la route. En course, mon beau-frère, François Cevert et tout un tas de copains ont trouvé la mort. Alors, avec Christian Bonnal, un pilote qui est devenu mon beau-frère et mon associé à Conduire Juste, on s’est dit, c’est quand même pas possible, avec tout ce qu’on sait faire avec un volant à 200 km/h, on a beaucoup de chose à apprendre aux gens.
S’il n’y avait pas eu le sport automobile, je serais devenu garçon-boucher.
Vous n’avez jamais été tenté d’aller plus loin, pourquoi pas avec des responsabilités politiques dans ce domaine ?
La politique non, j’aime trop la vie que j’ai. En revanche, il y a quelques années, on a failli monter un centre Conduire Juste à la Réunion. Ca ne s’est pas fait et c’est vraiment dommage parce que là, on aurait pu démontrer l’efficacité de nos formations dans un périmètre bien précis, pratiquement en autarcie. Ca pouvait devenir un département pilote, un exemple. En plus dans ces territoires, la sécurité routière est vraiment sinistrée.
Vous êtes en phase avec la législation routière actuelle ?
Non, pas du tout. Le permis à points est un scandale. Combien de bons conducteurs n’ont plus de permis ? Combien de chauffards continuent à rouler n’importe comment ? Moi, je suis contre l’uniformité. Je serais pour un permis progressif, mais je sais que ça n’existera jamais. Il y aurait un permis simple, avec un signe distinctif comme le « A » actuel pour les débutants. Mais au lieu de devenir automatiquement des conducteurs confirmés au bout de deux ans comme c’est le cas aujourd’hui –période durant laquelle ils n’ont d’ailleurs peut-être jamais pris le volant !-, il faudrait, pour ceux qui le désirent, passer une épreuve plus contraignante pour se libérer du « A ». Enfin, il y aurait un permis summum qui ne serait obtenu que par de très bons conducteurs à l’issue d’une formation poussée.
(je l’interromps) qui seraient autorisés à rouler plus vite bien sûr ?..
Oui, je sais que c’est dérangeant. C’est pour cette raison que ça ne verra jamais le jour.
Les récentes mesures répressives ont fait leurs preuves tout de même. Il y a deux fois moins de morts sur les routes qu’il y a dix ans.
Bien sûr, mais il y a trois explications. La première, c’est vrai, c’est la peur du gendarme. On se sent plus surveillé, donc ça a calmé pas mal de gens dangereux. La deuxième, c’est l’amélioration du réseau routier, les ronds-points etc. Et surtout, la plus importante, les progrès dans la sécurité des voitures.
Et vous, votre comportement a changé sur la route ?
Déjà, je roule moins qu’avant à cause des radars. Je ne prends pas le train ou l’avion parce que j’aime toujours la liberté que procure l’automobile. Je pars quand je veux, je reviens quand je veux et j’ai toujours tout un tas de bazar dans mon coffre : mes boules de pétanques, mes jouets de collection… Au niveau de la vitesse, ça n’a rien à voir. Sur l’autoroute, je me cale à 139 km/h compteur au régulateur, mais je suis en train de devenir un mauvais conducteur. Je ne suis plus concentré, je fais autre chose en même temps, je travaille… Bon, il faut se faire une raison. Ce n’est plus possible de se comporter comme il y a 35 ans. A l’époque, j’avais une Mercedes 300 SEL 6.3 l. Je roulais rarement en dessous de 220 km/h. Même en faisant gaffe, vis-à-vis des autres, ce n’est pas raisonnable. Doubler une voiture avec 100 km/h de plus, ça peut provoquer des réactions dangereuses. Et de toute façon, je n’ai plus les moyens de rouler à ces vitesses. Comme ça, je pollue moins.
Et votre première passion, la moto ?
Non, la moto, ce n’était pas ma passion, c’était le seul moyen financièrement réaliste pour moi d’accéder un jour au sport automobile. Je vais vous faire une confidence, je m’étais même juré de ne jamais faire de moto après une aventure que j’avais vécue lorsque j’étais jeune scout. Je me souviens d’un soir où il fallait passer une épreuve terrible pour moi : toute une nuit, abandonné, seul dans une forêt. Moi, c’était pas du tout mon truc, j’avais peur des loups, peur du noir… A un moment, je vois des lumières : une fête dans un village. Là, j’aperçois un motard qui quitte la fête et démarre en trombe. Il devait être bourré parce qu’au premier virage, boum, il tombe dans la rivière, juste à côté de moi. Je ne sais pas si le type s’en est sorti. Ce qui est sûr, c’est que je me suis fait à l’idée cette nuit-là de ne jamais monter sur une moto.
Pour finir, 11 titres de champion de France sur deux roues…
Oui, mais le niveau n’était pas extraordinaire quand même.
A l’époque, j’avais une Mercedes 300 SEL 6.3 l. Je roulais rarement en dessous de 220 km/h. Même en faisant gaffe, vis-à-vis des autres, ce n’est pas raisonnable.
Votre père était boucher et personne dans votre famille ne faisait partie de ce milieu. Comment cette passion est-elle née ?
En trois événements dont je me souviens très distinctement. Adolescent, mes parents m’avaient mis pensionnaire au séminaire, non pas pour devenir curé, mais pour me redresser. Soit-dit en passant, il y en avait bien besoin et ça a plutôt bien marché. Un soir, j’écoutais un radio reportage sur les 24 Heures du Mans. Je crois que c’était l’édition 1952. J’avais 15 ans, Jean Behra, qui allait devenir mon idole, était en tête avec sa petite Gordini devant la grosse Talbot de Levegh et les Ferrari. Ca a été le déclic. Ensuite, pendant les vacances, toute la famille partait à Pornichet. A deux pas de là, il y avait le Grand Prix de la Baule. Moi évidemment, je passais mon temps à fouiner dans les stands à rêver devant les voitures. Et le troisième révélateur, plus inattendu, c’est dans la cour de l’école. Notre prof d’anglais, l’abbé dont j’ai oublié le nom, retapait à ses heures perdues une grosse Amilcar. Quand il a eu fini de la remonter, il la démarra et se lança dans des grands dérapages sur les graviers de la cour. Quel spectacle ! C’était décidé, je veux faire pilote de course.
Mais pas d’argent.
Non, pas d’argent parce que je n’étais pas bien brillant, ni à l’école, ni dans le boulot. Ma formation de pilote, c’était surtout dans ma tête que je l’accomplissais. Et à vélo. Avec les copains, on passait notre temps à faire des dérapages sur le gravier. Ensuite, à Mobylette et avec la camionnette de mon père : le Carroussel du Louvre, c’était notre anneau de vitesse. Ensuite, je suis devenu livreur et la seule moto de compétition que j’ai pu me payer était une Jonghi 125 qui devait plafonner à 120 km/h. Malgré ça, j’arrivais à sortir du lot, mais à chaque fois que je devais passer à l’auto, un événement faisait tout capoter. En juin 56, Annie Bousquet, qui était une pilote assez connue à l’époque, et accessoirement cliente de la boucherie de mon père à Paris, vient prendre un verre à la maison. Mes parents, qui étaient plutôt opposés à ce que je fasse de la compétition, voyaient bien que c’était vraiment mon truc. Donc, ils me présentent Annie. Convaincue que je mérite un test sur quatre roues, elle me propose d’essayer sa Porsche après les vacances. Elle se tue quelques jours plus tard à Reims. Première occasion ratée dans des conditions dramatiques. Je suis parti à l’armée et au retour, avec les quelques 2 000 francs économisés durant mes 30 mois de service militaire, je décide d’acheter la moto d’Eric Offenstadt, un très bon pilote de l’époque. Le premier soir de mon retour d’Algérie, mon père me prête la camionnette de la boucherie. Boulevard Saint Germain, un conducteur fait un écart et pour l’éviter, je me paie le trottoir. En apparence, la voiture intacte, mais le train avant avait reculé jusqu’au moteur. Mon père me demande « combien tu as d’argent ? ». Deux mille francs. Il me dit, « je pense que ce sera suffisant pour payer la réparation ». Je rappelle Offenstad et je lui dis Eric, laisse tomber, j’ai fait une connerie, je n’ai plus l’argent. Il me répond « pas question prends la moto, tu me paieras plus tard ». Je ne voulais surtout pas commencer avec des dettes, mais il a tellement insisté que j’ai fini par accepter. A la fin de l’année, j’étais champion de France.
C’est assez symptomatique de cette époque, ces gens qui aidaient des jeunes sans aucun calcul, ni intérêt. D’autres pilotes comme Laffite ou Pescarolo ont croisé des mécènes sans qui ils n’auraient jamais fait carrière. Vous-même, vous avez aidé nombre de pilotes à démarrer : Depailler, Jarier, Wollek… C’est inconcevable aujourd’hui.
Oui, vous avez raison, mais à l’époque on raisonnait de façon très simple. Si un type marchait bien, la seule chose à faire, c’était de l’aider. On se disait, il faut qu’il coure. Ce n’était pas un ennemi, c’était un concurrent, il fallait qu’il soit là. Donc voilà, Offenstadt, il croyait en moi, tout simplement.
Fangio était un homme d’un calme, d’une capacité d’analyse et d’une sagesse incroyables.
Ensuite, c’est René Bonnet, petit constructeur de voitures de course, qui finit par vous donner votre chance sur quatre roues.
Oui, mais je rentre par la toute petite porte puisque je démarre comme apprenti-mécanicien. Je lavais les voitures, je faisais les vidanges et je rêvais surtout de pouvoir monter un jour dans une auto. Mais comme je continuais mes courses de moto, j’arrivais parfois en retard le matin. René Bonnet, qui me voyait comme n’importe quel employé, a fini par me dire, «petit, si tu n’es pas capable d’être à l’heure, tu ne peux pas rester chez moi ». En pleurs, je m’en vais. Heureusement, j’étais devenu copain avec Georges Bonnet, son neveu. On faisait les mêmes surprises-parties. Et comme je commençais à avoir des très bons résultats à moto, Georges le disait à son oncle. Tous les lundis matin, il lui apportait l’Equipe qui titrait « Beltoise a encore gagné, Beltoise a encore gagné ». Et là, René Bonnet finit par se dire : « voilà le pilote qu’il me faut ». C’est là que tout a vraiment commencé. Quelques semaines plus tard, je prends le départ de la Targa Florio, mais l’ambiance n’a rien à voir avec ce que j’imaginais. A cette époque, c’étaient surtout les riches pilotes amateurs qui finançaient les équipes. Je pensais débarquer dans un monde très sportif et finalement, je découvre un milieu ou l’argent coule à flot, mais pas pour les voitures : les beaux hôtels, la bonne bouffe… Moi, à cette époque, avec un œuf dur, je faisais un repas. Ce que je voulais, c’était consacrer cet argent à acheter des pneus et de l’essence pour faire des essais… Le summum, c’était aux 24 Heures du Mans : pendant une semaine, on vivait vraiment comme des rois.
Vous avez toujours détesté cette épreuve. Pourtant, dès votre première participation en 1963, vous gagnez votre catégorie.
Ce que j’aime dans la course automobile, c’est la performance. Au Mans, il faut respecter un tableau de marche, conduire à l’économie pour économiser la voiture et ça, c’est pas du tout mon truc. Je me souviens qu’à la fin de mon premier relais, René Bonnet m’interpelle et me dis « dis-donc petit, ça ne va pas du tout, le commissaire du poste de Mulsanne a envoyé un rapport : conducteur dangereux, passe sur deux roues à tous les tours. Il va falloir te calmer ». Et puis moi, je suis un gros dormeur. A l’époque, il n’y avait que deux pilotes, donc on venait me réveiller en permanence, juste quand je commençais trouver le bon sommeil. Alors, une fois, deux fois, ça va, mais dix fois (il rit) !...
Vous avez également souvent parlé du danger au Mans.
C’est là que j’ai vraiment pris conscience du risque. Toujours cette année-là, en pleine nuit, l’Aston Martin de Bruce McLaren explose son carter dans la courbe des Hunnaudières. Ma voiture est partie en luge sur la mare d’huile répandue sur la piste et je la rattrape miraculeusement. J’apprends ensuite que Bino Heinz sur l’Alpine vient de se tuer à cet endroit. Là, pour la première fois, je comprends que le sport automobile, c’est vraiment un jeu dangereux.
Quand François s'est tué, Jody Scheckter était déjà sur place. Il me dit « non Jean-Pierre, n’y va pas, c’est François. Il est mort, c’est fini »
Mais vous ne l’aviez jamais réalisé avant ? Il y a avait pratiquement un mort chaque week-end à cette époque.
Non, pas vraiment, on n’y pense jamais à cette âge-là. Ou alors, en se disant que ça n’arrive qu’aux autres. On se sent invincible. Pourtant, ça m’arrive à moi aussi, un an plus tard à Reims et je manque vraiment d’y rester. Après trois jours de coma, j’ouvre les yeux et je vois Eliane ma première femme, mon frère, mes parents. Et là, juste avant de retomber dans les pommes, j’entends le médecin me dire « toi, t’as du pot, tu vas garder ton bras ». Je me dis, quel con, de quoi il se mêle, comme si moi je pouvais perdre un bras, j’ai des courses à gagner. Finalement, j’appris plus tard que le premier médecin voulait m’amputer. On m’a rapatrié à Paris, à l’hôpital des Peupliers. C’est drôle, je récupérais le lit de Claude Nougaro qui venait de sortir après un grave accident de la route. Je l’ai bien connu ensuite. En tous cas, j’ai gardé mon bras qui restera bloqué définitivement, mais dans une position qui me permet de tenir un volant !
Vous étiez un jeune espoir, à quel moment votre carrière a-t-elle décollé ?
L’année suivante, en 1965, encore grâce à Eric Offenstadt. Il me dit voilà, l’avenir c’est Matra, une entreprise qui fabrique de l’armement. Pour se construire une image un peu plus positive, il se lance dans le sport automobile et vont racheter René Bonnet. Il parle de moi à Jean-Luc Lagardère en lui disant « c’est le meilleur d’entre nous ». Et me voilà parti dans l’aventure Matra qui durera pour moi jusqu’en 1971 : champion de France de Formule 3 la première année, Le Mans, la Formule 1…
Mais ce n’est pas avec eux que vous gagnez votre unique victoire en Formule 1 à Monaco.
Non, nous nous étions quittés six mois avant. Matra avait embauché Chris Amon qui venait de chez Ferrari. Moi j’étais plutôt content de voir arriver un pilote qui allait nous apporter toute son expérience. Et surtout, je voulais démontrer que j’étais le meilleur. J’allais vite déchanter lorsque j’appris qu’Amon avait un contrat de pilote numéro 1. De fait, le mien était donc de numéro 2. Pas question de faire de la figuration. J’ai eu une proposition de BRM qui était une équipe qui marchait bien, j’ai signé. En fait l’écurie était sur une pente descendante, il n’y avait plus d’argent. Malgré cela, je gagne à Monaco. La veille de la course, je dîne avec Jean-Luc Lagardère dans un petit bistrot près du port. Nous étions restés en très bons termes. Il me dit « demain Jean-Pierre, vous gagnez la course ! ». Bien vu.
Votre fin de carrière en F1 sera encore marquée par un drame avec la mort de François Cevert aux essais du Grand Prix des Etats-Unis en 1973.
François était le grand espoir du sport automobile. Il devait remplacer Stewart l’année suivante. Nous nous étions rencontrés avant même qu’il ne commence sa carrière et je m’étais marié avec sa sœur, Jacqueline. Elle nous accompagnait sur les Grands Prix et je ne sais pas comment elle gérait cette situation du bord de la piste, entre son frère et son mari.
ndlr, Jacqueline nous dira durant l’entretien : « c’était une vie de rêve. Par rapport au risque, j’étais complètement inconsciente. Je filmais tout avec ma petite caméra, convaincue que les accidents ne pouvaient pas toucher un de mes deux hommes. ».
Pour cette course, elle était restée en France. L’accident s’est produit aux essais. Quand je suis arrivé dans le virage, je me suis arrêté pour voir qui c’était. Jody Scheckter était déjà sur place. Il me dit « non Jean-Pierre, n’y va pas, c’est François. Il est mort, c’est fini ». Il ne voulait pas que je vois ça, il avait été décapité. L’année suivante, au même endroit, je sors de la piste, ma voiture s’encastre dans le rail, mais je ne suis pas touché. Je suis resté bloqué un quart d’heure sans que la voiture prenne feu. Encore un miracle. Ma vie est un miracle.
Ce sera votre dernière saison en Formule 1. Vous ne vouliez plus continuer ?
Si bien sûr, je voulais même être champion du monde. J’ai signé pour revenir chez Matra pour la saison 1975, mais finalement, le programme a été abandonné faute de moyens. Le budget des cigarettes Gitanes est parti chez Ligier et je me suis retrouvé à pied.
Et l’ouverture chez Ligier justement ?
Les deux pilotes devaient être Pescarolo et moi. Finalement, il n’y aura qu’une voiture et ce sera Jacques Laffite.
Vous lui en voulez à Laffite ?
Non pas du tout, il n’y est pour rien. Il sait très bien que le test pour nous départager n’était pas correct (ndlr, ce que Laffite, très fair play comme d’habitude, nous a confirmé lui-même).
Y a-t-il des pilotes qui vous ont marqué plus que d’autres ?
Oui bien sûr. Les pilotes, je ne les juge pas sur une saison ou sur une carrière, mais sur des faits précis. Je me souviens d’une course de F2 à Albi, un circuit d’aspiration (il y avait trois virages !). Nous étions tout un groupe à batailler en tête de la course. Jim Clark était juste devant moi et sans que je me rende compte de rien, hop, il m’a sorti de l’aspiration et m’a décroché. C’était irréel. L’autre pilote qui m’a vraiment impressionné, c’est Jackie Stewart. Au Nurburgring, il nous a collé 10 secondes au tour ! Mais attention, par moment, j’étais devant aussi. A Silverstone, il a essayé ma voiture et n’a jamais réussi à approcher mes temps. Comme personnage, j’ai beaucoup apprécié Fangio. Je ne l’ai pas connu comme pilote, mais comme directeur de course en Argentine. J’avais eu un accident dans lequel un pilote avait trouvé la mort. Il m’a aidé tout au long de l’affaire car les autorités voulaient vraiment me faire des misères. Un homme d’un calme, d’une capacité d’analyse et d’une sagesse incroyables. Toujours sur le plan humain, Jean-Luc Lagardère était un sacré bonhomme. Un immense professionnel, avec lequel il suffisait de se taper dans la main.
Aucun regret alors ?
Aucun. J’ai eu une vie de rêve. Quand j’étais gosse, je n’étais pas bon à grand-chose. Je savais faire des dérapages avec un vélo et des chronos en mobylette. Alors, je n’ai pas été champion du monde, j’ai certainement fait quelques mauvais choix à certains moments, mais s’il n’y avait pas eu le sport automobile, je serais devenu garçon-boucher.