Le circuit Paul Ricard : le 24 juin 2018 marquera le retour sur sa piste du Grand Prix de France de Formule 1, vingt-huit ans plus tard. Derrière l’appellation de ce lieu de légende, un nom propre, prononcé par habitude sans se poser de question : Paul Ricard. Et pourtant… Paul Ricard, c’est un destin, une histoire incroyables.
Mais où est donc passé Paul Ricard ? 19 avril 1970, 40 000 personnes se sont déplacées, des centaines de personnalités et le ministre de la Jeunesse et des Sports, Joseph Comiti : c’est l’inauguration du circuit automobile Paul Ricard, sur la commune du Castellet. Mais celui qui coupera le ruban s’appelle Patrick, son fils. Car le bâtisseur et propriétaire boycotte tout simplement l’événement, SON événement ! La raison de ce geste de protestation pour le moins magistral : la préfecture n’a pas homologué les tribunes, et donc interdit leur utilisation.
Cette anecdote, c’est un condensé de tout un pan de la personnalité de Paul Ricard : de l’ambition et l’amour du défi dans la Provence de son coeur -construire un circuit automobile avec des moyens privés-, du caractère, une force qui l’empêche de douter, et une haine -oui, on peut parler de haine- viscérale de celle qu’il nomme la « Sainte Administration »* et qui, tout au long de sa vie, le freinera dans ses projets, même si in fine, il rebondira toujours.
La vie de Paul Ricard se lit comme un roman, vraiment, destin à part, celui d’un entrepreneur qui se voulait visionnaire et humaniste. Tout commence le 9 juillet 1909 à Sainte-Marthe, son village, un quartier de Marseille. Paul sera baptisé dans le chais paternel, son père s’étant lancé dans le commerce du vin. Sa première expérience automobile, il la vivra à l’adolescence, au volant d’un camion Berliet qu’il mènera, hasard des chemins, jusqu’au plateau qui accueillera cinquante ans plus tard son propre circuit… « Mon enfance se situe à la charnière du cheval et de l’automobile. »*
La période est rude, à dix-sept ans, Paul quitte le lycée pour travailler avec son père, avec déjà un goût de la conquête et des idées plein la tête. Le vin ? Pas suffisant, il faut se diversifier, avec des apéritifs. Mais la Grande Guerre est là, et l’absinthe est interdite, l’anis avec, le pastis circule alors en toute clandestinité.
Un Ricard sinon rien
La loi sera assouplie en 1932, et c’est dans ce contexte que Paul Ricard lance « le vrai pastis de Marseille », avec l’ambition de faire du nom Ricard un nom commun.
Tel un conquistador, car « un marché se conquiert comme un territoire »**, il part à l’assaut de sa région, puis de Paris, avant de se tourner vers le reste du monde.
Son entreprise grandit, de manière presque vertigineuse, Paul Ricard avance, sûr de lui, en patron paternaliste, charismatique, ou plutôt en chef, selon sa propre doctrine. Il attend beaucoup de ses employés, il les « protège » en retour : actionnariat, construction de logements, de centres de loisirs et de vacances…
Ses méthodes de conquête publicitaire sont concrètes, cela n’enlève rien à leur côté révolutionnaire. Dans toute la Provence, il s’appuiera sur ses représentants, qui iront de café en café faire découvrir son breuvage qu’il veut unique et populaire.
Mais la deuxième guerre mondiale pointe à l’horizon, avec son lot d’interdictions : le pastis est banni à partir de l’été 1940. Qu’à cela ne tienne : Paul Ricard produira des jus de fruits, du lait, de l’eau, se lancera dans l’agriculture, la production de riz...
L’homme aux mille ressources. Les lois freinent la publicité de l’alcool ? Il les contournera avec la caravane du Tour de France cycliste, des corridas, une caravane de dromadaires (oui, vous avez bien lu !)…
Paul Ricard se bâtit un empire, pêle-mêle une société cotée en bourse (1962), des îles à lui (Ile de Bendor et des Embiez), des immeubles, des clubs taurins, un observatoire de la mer… Et donc, un circuit automobile.
Alors ce sera un circuit…
Drôle d’histoire d’ailleurs : un jour, Paul acquiert mille hectares sur le plateau du Castellet. Son ambition, construire un aérodrome, un centre Paul Ricard, des bureaux, etc. Mais une fois de plus, l’administration qu’il déteste tant freine son initiative, « je criais dans le désert »*, dira-t-il. Le projet doit être abandonné, mais les mille hectares sont toujours là ! Le lieu se prête aux loisirs, et voici un nouveau défi pour le chef : construire un circuit automobile privé. De la pure folie pour les réfractaires. « Eh quoi ! leur disais-je. Pourrait-on trouver mieux que cette étendue plate et inculte pour faire 5 km 800 de ruban permettant à des voitures de course de se doubler à 300 à l’heure… des ponts et des protections… des parkings… des campings… »*
Dix mois plus tard, après 770 000 mètres carrés de terrain dérochés et 150 000 mètres cube de sable transportés, entre autres travaux titanesques, le circuit est bouclé, inauguré en avril 1970, et il décroche un an plus tard l’organisation du Grand Prix de France de Formule 1. Le circuit niché dans cette Provence que Paul Ricard chérit tant devient un site de légende (F1, Bol d’Or…). Mais il perdra la Formule 1 en 1991, d’autres circuits tels Magny-Cours ayant vu le jour…
« Mon bonheur est de faire découvrir à d’autres ce que j’ai découvert, de les faire profiter des bonnes choses qui me sont offertes et des occasions que je débusque. »* Paul Ricard avait débusqué ce terrain devenu circuit connu du monde entier.
Disparu en 1997, il ne pourra vivre ce retour du grand prix de Formule 1 dans son jardin.
Toutefois, comme un petit clin d’œil face au soleil et la mer de Provence qu’il disait avoir « toujours connu », les deux couleurs de son Pastis, il rêverait sans doute qu’à chaque citation l’on dise « circuit Paul Ricard » et non circuit du Castellet… Car râlait-il, un peu aigri sans doute, « on l’appelle circuit du Castellet alors que la municipalité du Castellet n’a rien à voir, puisqu’elle a tout fait pour m’empêcher de le réaliser »*. Rendons-lui ce petit hommage… Incorrigible Paul Ricard.
* La passion de créer, par Paul Ricard, Éditions Albin Michel, 1983, 2009.
** Paul Ricard et le vrai pastis de Marseille, par J. Domenichino, X. Daumalin, J.-M. Guillon, Éditions Jeanne Laffitte, 2009.