Si ces sportifs de haut niveau font à peu près ce qu’ils veulent au volant dans l’exercice de leur métier, il en va différemment sur route où ils sont soumis aux mêmes règles que les autres conducteurs. Enfin, en théorie.
« Hé, tu te prends pour Fangio ? » Chose curieuse, cette expression traditionnellement lancée à un conducteur un peu trop pressé n’a jamais vraiment connu de succession telle que « tu te prends pour Senna ? » ou « pour Schumacher ? ». Encore plus étrange, Fangio, dans la vie civile, roulait comme une limace. Ce qui n’est pas le cas de ses héritiers. Certes, les pilotes répondent, avec un demi-sourire, qu’ils respectent les limitations de vitesse. Ainsi, Jacques Villeneuve, champion du monde de F1 en 1996, déclarait dans une interview à notre confrère Question Auto qu’il était un conducteur super calme, avec lequel on s’ennuyait quand on était à bord. Mais la plupart d’entre eux passent leur temps à jouer au chat et à la souris avec les radars et les gendarmes. On les comprend.
Car, même si cela peut paraître incompréhensible pour un profane ou un juge d’instruction, un pilote de Formule 1 ou de WRC, quel qu’il soit, y compris le dernier de la ligne de départ, est capable de rouler 50 % au-dessus de la vitesse autorisée sans prendre le moindre risque. Ces gens-là ont un rapport à la vitesse totalement différent du nôtre. Rouler à 200 km/h, ou même bien au-delà, ne leur procure pas la moindre sensation par rapport à ce qu’ils peuvent accomplir en course. Un départ en F1, par exemple, ce sont 20 voitures lancées à 300 km/h et regroupées au premier freinage dans un espace de 100 m de long sur 15 m de large. Et parfois sous la pluie ! Un authentique embouteillage dans lequel 20 conducteurs du dimanche provoqueraient déjà une belle série d’accrochages à 50 km/h. En rallye, les équilibristes du WRC jettent leur bolide en glissade des quatre roues sur une piste enneigée entre les sapins ou au bord d’un précipice à près de 200 km/h. Alors, évidemment, dans la circulation, c’est comme si toutes les scènes se déroulaient au ralenti pour ces professionnels de la vitesse.
Loeb, tout en excès
Mais la loi doit être la même pour tout le monde, ce qu’aucun d’entre eux ne conteste jamais d’ailleurs – et les pilotes sont tenus aux mêmes règles que vous et moi. Ne serait-ce qu’en termes d’exemplarité. Alors pourquoi ce besoin de toujours rouler vite ? Question de gènes. Certaines personnes aiment la vitesse, ce qui provoque souvent des accidents. Les pilotes professionnels, eux, aiment la maîtrise : rouler le plus vite possible sans jamais se faire peur ou courir le moindre risque, ni pour eux, ni, bien sûr, pour leur entourage. « Vu comment nous roulons en course, si nous étions des fous du volant, nous serions tous morts depuis longtemps » , plaide Yvan Muller, quadruple champion du monde WTCC.
Sébastien Loeb, son équipier dans ce même championnat, est l’un de ceux qui dissimulent le moins la réalité dans ce domaine. Avant même l’âge du permis, notre futur champion du monde avait commis quelques excès franchement honteux : « Ma plus grosse connerie, emprunter la Citroën CX du père d’un copain et la pousser à 240 km/h sur une petite route en pleine nuit. » Aujourd’hui, l’Alsacien s’est assagi, mais reste l’un des plus turbulents. Pilote de rallye, c'est pourtant lui qui risque le plus, la détention du permis de conduire étant une obligation dans sa discipline. Utilisateur d’une Citroën DS3 de fonction pour l’apparence, il est également propriétaire d'une Ferrari 458, d’une Lamborghini Aventador et de divers monstres motorisés à deux ou quatre roues qu’il utilise à bloc. Plusieurs fois interpellé pour des infractions caractérisées – rond-point abordé les portières en avant avec la Lamborghini, ou encore un magnifique 192 km/h en voiture de location sur une nationale grecque –, le nonuple champion du monde conclut la plupart de ses mésaventures par une discussion avec les gendarmes et quelques autographes. La plus grande vitesse qu’il ait reconnu avoir atteinte dans la circulation ? 340 km/h sur une autoroute… allemande ! Mieux que son dauphin, Sébastien Ogier, qui avance un « petit » 280 km/h en guise de record perso. Mais les deux s’entendent sur un point : la conduite sur route, c’est la corvée !
Schumi chauffeur de taxi
Autre immense champion, Alain Prost, ne se cache pas trop non plus : « Quand je roule en France, je suis en plaques suisses. Donc… » Mais le « Professeur » doit être aussi malin sur la route qu’en course : nous n’avons trouvé qu’une trace connue d’un excès de vitesse dans son palmarès. Car, côté forces de l’ordre, c’est tout ou rien et, en cas de verbalisation, la gendarmerie prend bien soin d’alerter la presse lorsqu’elle attrape un gros poisson. Ainsi, les grands excès de vitesse des stars de la F1 font souvent la une des journaux (voir tableau). C’est sans doute pour éviter l’opprobre médiatique que Michael Schumacher, le plus populaire d’entre tous, s’efforce de respecter au mieux les limitations. Son goût prononcé pour les Harley-Davidson, engins plutôt propices à la balade, et pour les voitures de service bourgeoises (Maserati Quattroporte à l’époque Ferrari et, bien sûr, grosse Mercedes aujourd’hui) en témoigne. Néanmoins, une anecdote savoureuse nous rappelle que ce bon père de famille est capable de redevenir le « Baron rouge » si le besoin s’en fait sentir. En 2007, il demande au chauffeur de taxi chargé de l’accompagner à l’aéroport de lui laisser le volant de son monospace, de peur de rater l’avion. Bien qu’accompagné de son épouse et de sa fille, Michael s’autorise alors une démonstration de pilotage sur route ouverte peu appréciée de la maréchaussée. Curieusement, nous n’avons jamais eu vent de la conclusion de cette affaire.
Duel de pros
Il est clair que l’ambiance sécuritaire fait que les pilotes ne peuvent plus se permettre n’importe quoi comme autrefois. Les anciens se souviennent avec angoisse des duels routiers de Gilles Villeneuve et Didier Pironi, équipiers chez Ferrari en 1981 et 1982, façon Bullit ou Amicalement Vôtre, mais à plus de 250 km/h dans leurs Ferrari de fonction. Les carabinieri se découvraient pour saluer le passage des deux furieux. Nul doute que les choses se passeraient différemment aujourd’hui, même en Italie.
En 1987, René Arnoux s’est fait flasher sur la route de Magny-Cours à 247 km/h, dans une agglomération où la vitesse était limitée à 60 km/h. L’ancien coéquipier d’Alain Prost chez Renault traversait un village de la Nièvre qu’il connaissait bien. Des accidents ? Jamais. On se souvient juste de Ralf Schumacher emboutissant sa BMW 750i de fonction dans un autobus… à 40 km/h. Le cadet de la famille avait quitté la route des yeux pour régler la radio. Comme quoi, à vouloir conduire contre nature…
Quelques « records » homologués
Les pilotes de course disposent d’une capacité de concentration hors norme. Ils repèrent les radars souvent avant tout le monde, et l’on peut donc penser que les chronos relevés ici ne sont pas tout à fait représentatifs de la réalité. En clair, ils avaient probablement levé le pied avant de se faire chronométrer…
Pilote | Année | Véhicule | Limitation | Vitesse mesurée |
René Arnoux | 1987 | Mercedes S | 60 km/h | 247 km/h |
Philippe Alliot | 1989 | Mercedes S | 130 km/h | 233, puis 218 km/h* |
Jenson Button | 2000 | BMW Série 3 | 130 km/h | 228 km/h |
Olivier Panis | 2008 | Ferrari F430 | 130 km/h | 212 km/h |
Juan Pablo Montoya | 2003 | BMW X5 | 130 km/h | 204 km/h |
Lewis Hamilton | 2007 | Mercedes CLK | 130 km/h | 196 km/h |
Sébastien Loeb | 2005 | Citroën C5 | 90 km/h | 192 km/h |
Jean Alesi | 2003 | Mercedes E | 110 km/h | 191 km/h |
Alain Prost | 2007 | Lexus RX | 80 km/h | 174 km/h |
Michael Schumacher | 2008 | Audi A5 Cabriolet | 100 km/h | 145 km/h |
*A 45 minutes d’intervalle.