À la tête de PSA Peugeot-Citroën, il était LE patron-star des années 1990, véritable bête de médias qui raffolaient de son franc-parler, qu’accompagnaient régulièrement des saillies contre l’industrie automobile japonaisse. L’homme garde un œil aiguisé sur le monde de l’automobile.
1931 : naissance à Boulogne-Billancourt (92)
1957 : sort de l’ENA
1962-1974 : travaille dans le milieu politique, notamment au service de Valéry Giscard d’Estaing.
1974 : rejoint la BNP, dont il prend la direction en 1979
1983-1997 : P-DG du groupe PSA, qu’il quittera avec un bilan flatteur : succès de la 205, production doublée, faible endettement… En 1988, il sera le premier patron invité à “L’heure de vérité”. Il aura aussi sa marionnette aux “Guignols”, toujours en retard du fait des pannes répétées de sa 605…
J’ai toujours été considéré comme un anti-japonais. C’est une erreur. A l’époque, le Japon bénéficiait d’une sorte de monopole dans l’organisation de la baisse de leur monnaie, le yen, ce qui donnait un avantage à leurs exportations. Ce n’est plus le cas. Mais j’ai toujours considéré Toyota comme un modèle au Japon. Dans les années 80-90, j’ai eu la très grande chance d’être accueilli chez tous les constructeurs japonais, alors que ceux-ci n’aiment pas s’ouvrir la porte entre eux, et j’ai beaucoup appris, notamment chez Toyota, dont j’appréciais les dirigeants. Chez PSA Peugeot-Citroën, nous nous sommes beaucoup inspirés de leurs méthodes, comme la production just in time et le kaizen, qui consiste à apporter de petites améliorations les unes après les autres. A Sochaux, j’avais fait désosser une Corolla jusqu’à la dernière vis pour étudier la façon dont travaillaient les monteurs. Nous nous étions alors aperçus qu’il y avait une recherche technologique pour réduire toutes les pénibilités du travail à la chaîne, et avions revu nos propres modalités de fabrication en conséquence. Résultat, notre personnel nous a dit que la 406 était plus facile à monter que le modèle précédent. Grâce à Toyota… C’est finalement Peugeot qui a copié les japonais !
Tout cela appartient à la préhistoire de l’automobile, même si je suis heureux d’avoir travaillé sur les prémices des grands enjeux environnementaux. Et dans ce domaine, comme toujours, la commission de Bruxelles a voulu aller trop vite dans la fixation des normes d’émissions de gaz d’échappement. A raison sur le principe, mais en cherchant à nous forcer à aller au-delà de ce qui était concevable au niveau des études, cela a entraîné quelques échecs techniques. Cela dit, la vision des choses était exacte, même si l’on observe que la fin du pétrole est toujours reportée chaque fois qu’on arrive à l’échéance précédemment annoncée…
Sur l’électrique, j’ai voulu aller trop vite. Je regrette d’avoir consacré 90 millions d’euros à nos études. Enthousiastes, nous avons été les premiers à faire des recherches, en coopération avec d’autres constructeurs, notamment Ford. Nous sommes allés très loin, en étudiant par exemple les bornes de recharge sur des parkings de RER pour des automobilistes de banlieue voulant gagner les centres-villes pour aller travailler…Mais comme tout le monde, nous nous sommes heurtés à trois difficultés : le temps de “regonflage” des batteries, une autonomie qui rend impossible les départs en week-end, et le prix. J’avoue aujourd’hui être frappé par la conviction générale qu’il n’existe pas d’autre solution à moyen terme que l’électricité, alors qu’en même temps rien de concret ne sort. J’en suis un peu déçu, je l’avoue. Sur ce point, permettez-moi de dégainer mon excuse de retraité depuis longtemps de l’automobile, un univers qui est devenu ma passion, alors même que rien ne m’y prédestinait. D’ailleurs, on m’a beaucoup reproché, chez Peugeot, d’être trop attaché à Citroën. Ma thèse était qu’il fallait être trois fois président. Or, je n’avais pas d’attachement plus grand à Citroën qu’à Peugeot, mais le fait est que, quand je suis arrivé, la marque était en difficulté, et nous avons donc dû déployer plus d’efforts pour elle… J’ai toujours comparé Peugeot à l’infanterie. Vous avez tel objectif à atteindre dans tel délai, et disposez de tous les moyens de soutien possibles, et vous y parvenez finalement. Citroën, c’est la cavalerie. Elle s’égare parfois un peu dans les forêts, n’arrive pas forcément à temps, comme à Waterloo, mais c’est la cavalerie : innovation, invention, recherche et, même si je trouve l’expression parfois un peu ridicule, le goût de “se faire plaisir”. Il y a chez Citroën cette joie d’être différent. Diriger ces sociétés en même temps n’est pas un travail difficile pour un seul homme. Avec, bien sûr, parfois des tensions, mais c’est passionnant. Par exemple, j’adorais les présentations de voitures ! La direction chargée des produits fournissait des rapports avant chaque présentation, mais je refusais de les lire au préalable pour éviter d’être influencé. J’arrivais vierge, et j’avais les réactions de l’utilisateur moyen. C’étaient des séances extraordinaires et vraiment passionnantes. Entre technique, prix, aérodynamisme et design, les choix étaient toujours compliqués et difficiles. La transformation d’une tonne d’acier, de caoutchouc, d’aluminium, de plastique, en une espèce d’être concret, c’est un moment unique, même si je n’intervenais pas dans les études, car il fallait un bagage scientifique que je n’avais pas. Mais je me suis concentré sur l’organisation, la gestion. L’automobile avait une pointe de folie que je ne connaissais pas au ministère des Finances ou dans la banque. Au carrefour des techniques, des matériaux et de la vie humaine, c’est le seul métier pris entre l’industrie lourde et la haute couture. Il est impossible, quand on arrive dans l’automobile, de ne pas en devenir un fanatique !