Car Life
Jackie Stewart : « Deux chances sur trois de mourir en course »


Sir John Young Stewart, ou Jackie Stewart OBE est né le 11 juin 1939 en Écosse. Ancien pilote de Formule 1, il a couru entre 1965 et 1973, conquérant trois titres de champion du monde. Réputé pour ses qualités d’analyse, dans son domaine d’activité, mais également les affaires, il fut le premier à se préoccuper des questions de sécurité en sport automobile dans les années 60.

On a coutume de dire que le sport qui aura le plus évolué ces cinquante dernières années est la Formule 1. Ce qui est logique : si l’homme ne fait que progresser, la technique elle, se révolutionne en permanence. Quelle différence entre la Formule 1 d’aujourd’hui et celles de mes débuts, dans les années 60 ? Le plus majeur : le risque, bien entendu. On apprenait à vivre avec… J’ai calculé que pendant certaines années, j’avais deux chances sur trois de mourir à chaque course. Je suis la personne qui a assisté au plus grand nombre d’enterrements que je connaisse. C’était terrible de voir des pilotes brûler dans leurs voitures, car dans la plupart des cas, le carburant prenait feu et immolait le pilote avant que quiconque puisse faire quoi que ce soit. Williamson, Bandini… Ils ont tous brûlé dans leurs voitures. Voilà plus de vingt ans que le dernier accident mortel a eu lieu en F1. Ayrton Senna est le dernier à être parti. À mon époque, en 1968, Jim Clark est mort le 7 avril, Mike Spence le 6 mai, Scafario le 7 juin, Jo Schlesser pendant le week end du 7 Juillet. Je me rappelle avoir gagné au Nürburgring cette année là – avec 4 minutes d’avance – et en sortant de la voiture, la première chose que j’ai demandé était “avons-nous perdu quelqu’un ?” Car la mort devenait une routine. Mais depuis la disparition de Jim Clark, c’était aussi devenu mon combat. Jim Clark était le meilleur pilote contre qui je n’ai jamais couru. Mon héros était Juan Manuel Fangio. J’ai même pu devenir ami avec lui alors que je ne parlais pas un mot d’espagnol, et qu’il ne parlait pas bien anglais non plus. J’ai eu la chance de nouer des liens avec lui à sa retraite. A l’occasion, je passais du temps à son appartement à Rome, où nous avons appris à mieux nous connaître. Nous avons conduit ensemble à de nombreux évènements caritatifs. Pour moi, Fangio était le pilote le plus accompli que je connaissais. Il s’est retiré avec toute la dignité, le style, d’un grand sportif. C’était mon héros, mais mon ami était Jim Clark.
Nous partagions un appartement à Londres et nous étions tous les deux Ecossais. Nous aimions représenter notre petit pays dans le monde entier. Jimmy était très timide, très modeste, presque introverti. Il était l’homme à battre en F1. Lorsque nous pilotions tous les deux, on nous appelait Batman et Robin. Quand il est mort en 68, j’ai récupéré la place de numéro 1 en F1. Mon pire souvenir de compétition. J’étais déterminé à rendre la Formule 1 plus sûre et à faire en sorte que les circuits prennent des mesures afin de protéger les pilotes, d’une façon ou d’une autre. Il était compliqué de convaincre les propriétaires des circuits de dépenser de l’argent dans des rails de sécurité ou des centres médicaux. Leur attitude était : “si tu n’es pas content, tu peux aller te faire voir”. Sur le Nürburgring, il n’y avait aucun rail de sécurité, malgré le fait que nous roulions à plus de 320 km/h dans la forêt. Je me rappelle avoir couru dans des conditions où je ne voyais pas à 50 mètres devant moi. Il y avait 178 virages par tour et la voiture pouvait décoller jusqu’à 13 fois. Ce type de circuit ne pouvait plus durer, et je l’ai fait fermer en 1970 car les propriétaires ne voulaient pas faire d’effort pour la sécurité. Ironiquement, j’ai gagné quatre fois au Nürburgring. J’ai des photos de moi en tête de la course. En arrière-plan, on devine une berline à l’envers dans un ravin, qui était là depuis la course précédente.
L’autre grande différence entre mon époque et aujourd’hui est l’emploi du temps. Contrairement aux idées reçues, nous étions bien plus occupés que les pilotes actuels. Vettel doit avoir environ 13 journées sponsor dans l’année. J’en avais le double. En 1971, j’ai traversé l’Atlantique 86 fois pour le championnat de F1, le Can-Am Racing, et les reportages. En outre, nous passions le reste du temps à essayer nos voitures, tandis qu’aujourd’hui, il y a de strictes restrictions sur les temps d’essais.Nous conduisions durant l’équivalent de deux grands prix par jour pendant deux semaines, rien que pour essayer les pneus. Et nous étions une grande famille : Jim Clarck, Jochen Rindt, Francois Cevert, Piers Courage… on passait tous du temps chez les uns et les autres et on partait en vacances ensemble. Nous étions comme une fratrie et c’était, bien entendu, lié au fait que certains d’entre nous mourraient chaque année. C’est pour cela que, malgré la nostalgie, je n’échangerais pour rien au monde la Formule 1 meurtrière de mon époque avec celle d’aujourd’hui.