Rallyman de légende, homme politique, mais aussi véritable humaniste, Ari Vatanen est tout cela à la fois. Il nous parle de la place de l’automobile dans une société responsable.
1952 : naissance à Tuupovaara (Finlande)
1970 : débuts en rallye
1981 : Champion du monde des rallyes
1984 : intègre l’équipe officielle Peugeot
1985 : grave accident au rallye d’Argentine
1987 : retour à la compétition
1987, 89, 90, 91 : victoires au Paris-Dakar
1988 : remporte la course de Pikes Peak au volant d’une 405 T16
1999 : élu député européen (jusqu’en 2009)
2009 : brigue la présidence de la FIA, battu par Jean Todt
2013 : Président de la Fédération estonienne de sport automobile
Je ne suis plus vraiment actif en politique, dans la mesure où je ne suis plus élu. Mais j’ai des regrets, car j’ai aimé cette période. Elle symbolise bien des choses, y compris mon amour pour la France. Un pays dans lequel je suis toujours extrêmement populaire, sans que je ne sache vraiment pourquoi. Peut-être parce qu’on ne peut pas s’identifier aux gens parfaits ! Je n’ai pas eu une carrière à la Schumacher, mais j’ai toujours été animé par cette passion pure. Dans la vie, il faut être passionné, que ce soit de sport automobile ou de littérature. Sinon tu es tiède, et tu perds ton temps.
Dans ma jeunesse, en Finlande, il y avait beaucoup de routes désertes, sans aucun trafic. Je partais seul le samedi soir avec la voiture de la famille, je prenais 10 litres de carburant dans un jerrycan pour être sûr de pouvoir rentrer, et je roulais jusqu’à l’aube sur des petites routes, généralement enneigées, en hiver. Comme ça, de nuit, je voyais si des gens arrivaient en face. Tout ce qui m’intéressait était de maîtriser la voiture dans les virages, freiner le plus tard possible, braquer, contrebraquer, la maîtriser. Tu prends un plaisir fou à ça, et tu es seul au monde, comme un pianiste. La conduite comme joie de vivre. Après, ce plaisir pur t’amène jusqu’au Parlement européen, à être élu en France…
Aujourd’hui, dire que je respecte à la lettre les limitations serait exagéré, mais je fais très attention, il n’y pas une loi spécifique pour Vatanen. Je ne fais pas l’amalgame entre le rallye et la sécurité routière. Il y a quelques années, on avait 10 000 morts par an sur la route en France, et aujourd’hui on est à 3 000, soit 7 000 familles endeuillées en moins chaque année ! Nous vivons en démocratie, pas dans une république bananière. Bien sûr que j’aimerais rouler plus vite, mais ça fait partie d’une société moderne et démocratique, il faut l’accepter, en avoir l’intelligence et la maturité. Et si je me fais prendre à 240 km/h sur autoroute, ça fait une très mauvaise publicité à mon sport qui n’en a pas besoin.
Par exemple, rien n’est plus injuste que les critiques sur le Dakar à l’époque où il traversait l’Afrique. Je suis allé il y a quelques temps au Sénégal et les gens à qui j’ai parlé étaient attristés que la course ne vienne plus. Les populations là-bas sont déjà privées de tout. Faut-il en plus les priver du Dakar ? C’était aussi une joie, un moyen d’oublier leurs soucis. Ici en Europe, les chiens sont mieux traités que les Africains chez eux. Les animaux ont de l’eau propre, des antibiotiques. Le Dakar est un thermomètre de ce qu’il se passe en Afrique. Quelle est la vie des gens aujourd’hui, si même un événement ne peut s’y tenir ? C’est désespérant. Oui, il y a eu des débordements, mais les comportements individuels ne doivent pas jeter l’opprobre sur les autres. Un Dakar, humainement parlant, c’est formidable. Je n’ai pas côtoyé que le succès dans ma carrière, j’ai vu la misère, je ne pouvais rester indifférent. Je me disais que ça pourrait être moi. C’est pour ça que j’ai voulu faire de la politique au niveau européen, pour traiter des grandes questions qui régissent notre monde. Il ne faut jamais oublier d’où l’on vient et ce que la guerre peut coûter. Quand Staline a attaqué la Finlande, mon père a perdu quatre de ses frères ! La démocratie et l’état de droit, c’est la seule solution. Au début, on avance avec des a priori : c’est un milieu dur, sale. Et puis on y va, car il faut être à l’intérieur si l’on veut changer les choses. Avant les européennes de 1999, jamais je n’avais appartenu à un parti. Puis, nous sommes allés au congrès annuel du Parti conservateur en Finlande. On y a passé trois jours, avec les politiciens et les militants, que j’assimile en quelque sorte à des croyants. En rentrant, ma femme m’a demandé : «Ari, tu veux vraiment te lancer là-dedans ? Toi qui es un artiste, qui a toujours vécu avec ton cœur, qui es parti dans le désert, tu veux aller dans ce milieu si difficile ? - Oui Rita, car je veux changer les choses». Et quand on me dit que ce n’est pas possible, je réponds que si personne n’avait jamais bougé, nous serions tous sous le joug de l’esclavage. Alors tu essaies d’apporter ta contribution. Quand j’allais au parlement de Strasbourg, mon hôtel donnait sur la cathédrale. Et je la regardais chaque matin, et réfléchissais sur la force et la volonté nécessaires pour bâtir un monument pareil il y a mille ans ! C’est un message spirituel, pour servir Dieu. Ces milliers de pièces taillées, c’est incroyable. Je pense que dans la vie, chacun construit sa cathédrale, selon ses possibilités. Et à la fin, peu importe qu’elle soit grande, petite, spectaculaire ou non. La seule question est : est-elle solide ? Résiste-t-elle au temps ? A l’histoire? En politique, je me vois comme un petit médecin, qui essaie d’apporter des solutions face aux maladies, et qui essaie de faire la prévention. Trouver des solutions, alors que des politiques mal menées produisent de la souffrance, de la pauvreté, ou la guerre ! Je considère qu’il faut être optimiste et croire au progrès.